Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Date de reprise 21 novembre 2012
Réalisé par Roman Polanski
Avec Jack Nicholson, Faye Dunaway, John Huston,
Perry Lopez, John Hillerman, Darrell Zwerling,
Diane Ladd, Roy Jenson, Richard Bakalyan
Genre Policier
Production Américaine
Date de sortie 18 décembre 1974
Selon le script original de Robert Towne, le film devait se terminer avec un happy end.
Pour Roman Polanski, cette fin où les bons triomphent gâcherait considérablement l'originalité du film. Il imagine plutôt une fin tragique, où toute la distribution se retrouve sur scène comme dans un opéra. Sa fin est retenue par la production.
Sur onze nominations, seul,
Robert Towne reçut l'Oscar du meilleur scénario original.
Roman Polanski a écrit la quasi-totalité des films qu'il a réalisés.
Chinatown ne fait pas exception à la règle. Cinéaste complet, Roman Polanski a co-écrit le présent Chinatown.
Il s'agit du dernier film de Roman Polanski tourné aux États-Unis. Suite à une affaire de viol en 1977, il sera incarcéré pendant 47 jours, avant d'être libéré sous caution. Mais pour échapper à son procès, il se réfugie en Europe. Il ne reviendra alors plus jamais sur le sol américain.
Synopsis
En 1937, Los Angeles est en pleine sécheresse.
Jack Nicholson
Le détective privé Jake Gittes (Jack Nicholson) gagne sa vie grâce aux moeurs légères du Los Angeles d'avant-guerre. Embauché par une jolie femme pour enquêter sur l'aventure extra-conjugale de son époux, Jake se trouve plongé dans un tourbillon de mensonges et de scandales.
Madame Mulwray engage le détective privé Jake Gittes pour suivre son mari (Darrell Zwerling), ingénieur des eaux de la ville et soupçonné d'adultère. Ce dernier est bientôt retrouvé mort, noyé.
Darrell Zwerling
Les personnages évoluent dans une intrigue et une atmosphère pesante de dangers, où bien des références, telle la scène à Echo Park renvoient à la gestion de l'eau. Gittes poursuit son enquête, et découvre que la femme qui l'a engagé n'est pas la vraie Mme Mulwray.
Il s'éprend ensuite d'Evelyne Mulwray (Faye Dunaway), la véritable femme de l'ingénieur, et poursuit ses recherches malgré les diverses menaces de tueurs professionnels, jusqu'à la découverte de la vérité.
Faye Dunaway
Le film se clôt sur un final dramatique dans le quartier chinois de Los Angeles. Le plus probable reste le fait que Max recherche toujours sa femme.
Le héros est un voyeur professionnel, et toute une stratégie de points de vue et de cadrages nous le rappelle constamment. "Mon premier vrai travail a consisté à rendre le personnage de Gittes subjectif. Ce qui créé l'atmosphère dans les livres de Raymond Chandler ou de Dashiell Hammett, c'est que c'est écrit à la première personne. On doit avoir l'impression de vivre les aventures du détective privé, avec lui, l'impression d'être le témoin invisible de tout ce qui se passe. Il ne faut donc pas de scène vécue ailleurs qu'en sa présence."
Roman Polanski dans L'Express de décembre 1974.
En partant de ce fait, on s'aperçoit qu'effectivement Roman Polanski ne quitte jamais son héros, mais surtout il place sa caméra à hauteur d'homme, filmant fréquemment par-dessus l'épaule de Gittes. Le réalisateur redouble le spectateur dans sa situation d'observateur indiscret et l'interpelle dans son rapport au cinéma. Souvent, Gittes dissimule quelque chose et la caméra bouge ou le suit pour découvrir avec lui ce qu'il observe.
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Ce qui importe avant tout pour le réalisateur est de représenter une réalité qui soit la plus crédible possible, donc de placer sa caméra à la distance exacte où se mettrait un témoin de la scène pour regarder
Roman Polanski n'a pas souhaité faire une œuvre rétro ou un démarquage volontaire des grands classiques, ni à imiter les techniques cinématographiques, ou utiliser un noir et blanc gratuit. Il cherche plutôt à montrer les années trente par l'objectif d'une caméra des années soixante-dix, en reconstituant le monde et l'époque par le décor, les costumes et la langue. Cependant, le choix des costumes est volontairement limité aux couleurs noir, blanc, marron ou beige. Les références aux films de Humphrey Bogart sont narratives ou scénographiques et on parlera plutôt de clins d'œil que de citations ou d'emprunts significatifs. Le choix de John Huston en est évidemment un. La situation au début, avec la femme au fume-cigarette qui se fait passer pour une autre dans le bureau du détective, ou la tache claire des images retirées du mur, en sont d'autres. On peut aussi constater de remarquables rappels à Orson Welles, en interviews, Roman Polanski a souvent tenu Citizen Kane pour film favori, comme par exemple le plan d'ensemble avec grande profondeur de champ de la conférence sur le projet de barrage. On se souviendra même qu'au meeting politique de Kane, un personnage qui l'observait de loin en train de faire son speech s'appelle James W. Gettys, interprété par Ray Collins, oralement proche de Jake J. Gittes. Difficile de ne pas penser à une influence sur ce film...
Écrite pour Jack Nicholson, l'histoire présente un personnage de privé très original, rappelant Marlowe sans s'y réduire. Trop confuse, trop longue, Roman Polanski participe à la réécriture, supprime la moitié des personnages et simplifie l'action. Le tournage commence sans fin écrite. Les divergences artistiques se multiplient.
Jack Nicholson demanda personnellement à Roman Polanski de tourner le film à Hollywood, alors que son scénariste, Robert Towne, s'apprêtait à le réaliser. Roman Polanski, qui venait d'essuyer deux échecs commerciaux avec Macbeth réalisé en 1971 et Quoi ?, en 1972 accepta son offre.
Dans une interview donnée en 2006, Roman Polanski explique ses réticences à l'époque vis-à-vis du tournage du film et sa venue à Los Angeles, en raison de l'assassinat en 1969 de son épouse Sharon Tate dans cette ville.
Evelyn, le rôle féminin principal, a d'abord été offert à Jane Fonda qui l'a refusé au profit de Faye Dunaway. Roman Polanski joue un petit rôle dans le film, celui du d'un malfrat qui coupe le nez de Jack Gittes. Pour cette brève apparition du réalisateur dans le film, c'est Jack Nicholson qui l'a dirigé. Dans cette scène très réaliste, le personnage de Roman Polanski tranche la narine de Jack Nicholson au couteau. Pour le faire, il a utilisé un couteau spécial avec une lame pivotante et une poire emplie de faux sang. Lassé de toujours raconter à la presse comment il s'y est pris, Roman Polanski finira par dire qu'il lui coupé la narine pour de vrai.
Mais pour Roman Polanski, sa véritable croix sur le tournage va s'avérer être Faye Dunaway : une furie. Roman Polanski et Faye Dunaway ont eu des relations conflictuelles pendant tout le tournage du film. Les relations avec Jack Nicholson ont été moins tendues, à l'exception d'un épisode où l'acteur n'a pas voulu terminer une scène parce qu'il souhaitait regarder un match de baseball à la télévision. Pendant la dispute qui s'en est suivie, Roman Polanski a cassé le poste de télévision.
Jack Nicholson et Faye Dunaway
John Huston tient un des rôles principaux dans Chinatown aux côtés de Jack Nicholson qu'il dirige plus tard dans L' Honneur des Prizzi en 1985.
John Huston et Jack Nicholson
Chinatown est à la fois un remarquable thriller, une belle histoire d'amour et un film épique, même s'il compte peu d'action. À l'instar d'un western, Chinatown met en scène l'Amérique dans une phase particulière de son histoire, et dépasse, toujours un western, cette éventualité pour atteindre le niveau du mythe, celui de la fondation de l'Amérique. Effectivement, l'histoire et le développement du Nouveau Monde peuvent se lire à travers la conquête de l'eau. L'extension vers l'Ouest s'est faite par les grands fleuves, l'eau a contribué à la survie puis à la prospérité des colons, éleveurs ou fermiers. Ainsi, l'eau est omniprésente tout au long du film : mer, marécages, lac d'Echo Park, réservoir, etc. Et le jeu de mots sur le nom de Noah (Noé) Cross interprété par John Huston est un signe de la dimension mythique du récit. Inspiré par le scandale qui éclata en Californie au début du siècle dernier, conflits qui ont de nouveau surgi durant les années 70 avec la construction d'un nouvel aqueduc pour alimenter la vallée de l'Owens, le film se base sur les plans technique et juridique des problèmes en approvisionnement en eau au cœur de la croissance de la Californie.
Faye Dunaway
La fin des années trente, période choisie pour le film, était une époque d'importants programmes de travaux publics liés à la politique rooseveltienne et le New Deal. Une époque, également, où la corruption allait bon train. Bref, autant de points communs avec les années du Watergate contemporaines du tournage. Robert Towne a travaillé pendant deux ans sur le scénario quand Roman Polanski en a pris connaissance.
Roman Polanski a l'idée de faire construire un décor de quartier chinois, Chinatown est un titre remarquable mais sans une seule scène dans ce quartier, ce serait un titre mensonger selon le réalisateur. Puis il écrit la scène en deux jours avec l'aide de Jack Nicholson pour les dialogues.
Jack Nicholson
Une autre grande intervention du cinéaste concerne la scène d'amour entre Gittes et Evelyn Mulwray, idée qu'il est seul à défendre et parvient à imposer. Cela donne lieu à un des plus beaux cadrages du film en même temps qu'un superbe plan-séquence en plongée verticale, exploitant tout le rectangle du cinémascope et présentant les deux interprètes principaux en gros plan, couchés dans un lit. Mouvement et cadrage déjà expérimentés par Roman Polanski dans Rosemary's Baby et dans sa version de Macbeth. À cet instant, les tissus des draps rejoignent la subtile apparence d'un ciel du Quattrocento, et la pose maniérée des mains d'Evelyn ainsi que la frontalité des visages nous mettent en présence d'une fresque. On ne sait plus si on les regarde depuis en haut ou si ce sont eux qui nous contemplent depuis un plafond.
Jack Nicholson et Faye Dunaway
L'impressionnante séquence finale nous met en présence d'un autre public, celui des Chinois qui envahissent l'écran, contemplant le corps maculé de sang d'Evelyn Mulwray. Comme la plupart des spectateurs, ils sont silencieux, impuissants, avides de sensations. L'objet de leur regard est le même que celui de Gittes et que le nôtre: le corps sans vie d'Evelyn. Puis le film s'achève par un impressionnant plan à la grue qui rassemble en un mouvement unique et continu tous les voyeurs du film...
En 1990, Jack Nicholson retrouve son rôle de détective privé dans la suite de Chinatown qu'il réalise lui-même. Le film s'intitule The Two Jakes, en référence à son personnage principal, Jake Gittes. On y retrouve Robert Towne au scénario et Faye Dunaway en voix-off.
Sources :
http://romanpolanski.online.fr
http://www.polars.org
http://fr.wikipedia.org
http://www.cinemovies.fr
http://www.allocine.fr