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Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard

Conversation secrète "The Conversation"

 

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Réalisé par Francis Ford Coppola


Avec Gene Hackman, John Cazale, Allen Garfield,

Frederic Forrest, Cindy Williams, Michael Higgins,

Elizabeth MacRae, Teri Garr, Harrison Ford, Robert Duvall


Genre Thriller, Drame


Titre original The Conversation


Production Américaine


Date de sortie juin 1974

 

The Conversation reçut la Palme d'or et le Prix du jury œcuménique,

lors du Festival de Cannes 1974.

 


Conversation Secrète est parfois un peu oublié lorsque l’on évoque la carrière du cinéaste. C’est une injustice, car il s’agit de l’un des sommets de son œuvre, maîtrisé du début à la fin, au carrefour du thriller et du cinéma expérimental. À redécouvrir absolument.

 

Revoir aujourd’hui Conversation secrète, c’est mesurer tout ce que le cinéma américain a perdu depuis vingt-cinq ans. D’abord, un certain grain de lumière, une matière quasi tactile de l’image. Ensuite, une façon de ne pas craindre les durées et les silences, de laisser du temps au non-événementiel pour mieux pénétrer l’intériorité des personnages.

 

Enfin, l’ambition de construire des œuvres denses, en phase avec la réalité contemporaine dans ses dimensions politiques, existentielles, métaphysiques.  

 

Conversation secrète est bien sûr un thriller sur la surveillance, la paranoïa et le pouvoir, plus que jamais d’actualité vu le développement exponentiel des technologies.

 

C’est aussi un film sur la glaciation des rapports humains et la solitude urbaine.

 

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Gene Hackman

Synopsis

 

Sur un terre-plein où se promènent des badauds et où une conversation, pour le moment anodine, s’installe entre un homme et une femme, un long zoom pris sur les hauteurs d’immeubles nous rapproche insidieusement du couple. Ce long cheminement qui donne à voir et à entendre une banale discussion est alors brouillée par les réverbérations digitales qui résultent de la lointaine distance où la mise en écoute se réalise. Des plans focalisés sur le toit des immeubles qui entourent la place dévoilent alors des hommes armés de micro multi-directionnel et révèlent aussi tout un dispositif de traque organisé et centré sur ce jeune couple qui pourrait tout aussi bien être amants.

 

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Alors qu’ils s’échangent des propos confus et abstraits "Il nous tuerait s’il le pouvait" et que l’écoute se resserre grâce à des agents positionnés à terre, le décodage des propos reste brouillé, parasité par l’impossibilité de déchiffrer en direct, et par les multiples sources d’enregistrement, cette fameuse conversation dérobée.

 

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Cindy Williams et Frederic Forrest

 

Et de cette conversation criblée d’interférences, répercutée ultérieurement en ondes sur d’autres images, on découvrira que c’est cette silhouette planquée sous un pardessus gris et assise anonymement sur un banc qui en est le maitre d’œuvre. Et peu à peu, le film montrera que celui que l’on croit être l’instigateur éclairé d’un tel dispositif n’est en fait que le dépositaire aliéné.

 

Gene Hackman Conversation-secrete---Gene-Hackman-copie-4.jpg


Harry Caul est un homme de l’ombre, un entrepreneur anonyme, un professionnel de la filature et de l’écoute. Il a consacré toute son existence au mouchardage et à l’écoute de l’autre. Il se révèle être un personnage distant, glacial, dont les traits du visage, lunettes et moustache, et les contours flous du corps sont dessinés par les notes bleues d’un jazz aux accents brumeux et solitaires. Figure anonyme, désolidarisée du monde extérieur, repliée sur elle-même et ici, sur une tâche qu’elle exécute en toute froideur.


Il est engagé pour suivre un couple et enregistrer leur conversation. Une fois sa mission accomplie, Harry Caul écoute la bande sonore.


Conversation-secrete---Gene-Hackman-1.jpgIl enregistre des conversations sur contrat, froidement, sans jamais s’impliquer. Cette obsession a des conséquences sur sa vie privée; il se montre distant jusqu’à la paranoïa avec ses collègues, et même son amie. Seul l’intéresse le travail bien fait.

 

Le contenu des conversations ne l’intéresse pas, seule compte la qualité de l’enregistrement. Il passe des heures à écouter ses bandes. Le soir, il rentre seul dans un appartement sans charme et joue du saxophone. Un jour, poussé par le vide de son existence, taraudé par la culpabilité, il est catholique, effrayé par son activité absurde et létale, il se révolte.

 

Les choses changent lorsque Harry est surpris par la banalité des propos. S'agit-il d'un code secret ? Un crime pourrait-il être commis ?

 

De cette conversation enregistrée qu’il se repasse et épuise jusqu’à ce qu’un sens veuille bien y échapper, Harry Caul finira par se condamner en refusant de livrer la bande à ses commanditaires et en s’immisçant peu à peu dans leurs affaires privées. Pris dans un imbroglio dont les tenants et les aboutissants restent aussi flous et abstraits que l’enregistrement de la conversation, l’écouteur va alors s’abîmer et se faire broyer par sa folle investigation.

 

 

Ecrit en 1967, Conversation Secrète aurait dû être réalisé juste après Les Gens de la Pluie réalisé en 1969. Mais les impératifs commerciaux en décidèrent autrement, et Francis Ford Coppola se retrouva à diriger Le Parrain pour le compte de la Paramount. Le triomphe de ce dernier permettra au réalisateur de mener à bien son projet, qui viendra s’intercaler entre les deux premiers opus de la saga mafieuse.


Le projet naît à la suite d’une conversation entre Francis Ford Coppola et Irvin Kershner sur les écoutes à longue distance. Constatant l’intérêt du jeune scénariste, le futur réalisateur des Yeux de Laura Mars lui fait parvenir de la documentation sur Hal Lipset, qui se rendra plus tard célèbre en analysant les bandes enregistrées du Watergate. Il sera d’ailleurs crédité comme consultant, et son nom sera même évoqué durant le film.

 

Gene Hackman Conversation secrète - Gene Hackman-copie-2


La paranoïa est au cœur de Conversation Secrète, que ce soit celle des commanditaires des écoutes ou celle de Harry, protégeant son intimité jusqu’à l’extrême. Cette intimité sera d’ailleurs violée à tous les niveaux. Sa compétence est remise en question lorsqu’il accepte le stylo-micro, et à une plus grande échelle lorsqu’il s’aperçoit que son propre appartement a été placé sur écoute. Ce viol de son espace physique se complètera par celui de sa conscience. Harry, catholique fervent et obsessionnel que les jurons hérissent, sera conduit à briser une statuette de la Vierge lors de sa quête du mouchard.

 

Il fallait tout le talent de Gene Hackman pour donner vie à un personnage si intériorisé et torturé. L’acteur livre ici l’une de ses meilleures performances, et semble-t-il celle dont il est le plus fier. Et si Harry Caul est le personnage central, les second rôles ne sont pas laissés pour compte. Le regretté John Cazale, sublime de frustration, ainsi qu’un tout jeune Harrison Ford, encore officiellement charpentier, et pourtant suffisamment professionnel pour donner corps à son personnage. Harrison Ford devait à l'origine jouer le rôle de Mark, interprété finalement par Frederic Forrest. À noter également, une petite apparition de Robert Duvall dans le rôle du directeur qui embauche Harry Caul. Gian-Carlo Coppola, le fils du cinéaste alors âgé de 12 ans, apparaît dans la scène de l'église.

 

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Le chef opérateur Haskell Wexler fut remplacé par Bill Butler pour cause de divergences artistiques.

 

Le personnage d’Harry Caul est partiellement basé sur la propre histoire d'Hal Lipset. Néanmoins, la source principale du film vient d’une double inspiration. L’héritage hitchcockien, l’individu victime de la machination, bien entendu. Mais c’est surtout l’ombre du Blow Up de Michelangelo Antonioni qui plane sur ce film, comme sur tout un pan du cinéma des années 70.

 

Son influence se fera ainsi sentir sur toute la première partie de la carrière de Dario Argento, ainsi que sur la majorité de l’œuvre de Brian De Palma. Tous ces films sont basés sur des images à interpréter, voire à réinterpréter, des phrases mal comprises, bref une analyse du réel et de sa représentation. Ce thème n’est pas innocent dans une Amérique qui n’a pas oublié le meurtre de JFK filmé par Abraham Zapruder.


Certes, les moyens techniques qui permettent au héros de s'infiltrer dans la vie des gens ont bien évolué, mais, paradoxalement, le côté désuet des écoutes de Harry Caul rend encore plus effrayant et dérisoire son professionnalisme, avec sa sécheresse, son refus des autres qui masque si mal ses troubles et ses névroses.

 

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Gene Hackman


Rarement une mise en scène aura été autant contaminée par son sujet. La caméra recherche son sujet comme Harry cherche la réception parfaite. Le ton est donné dès le premier long plan-séquence, qui s’ouvre sur un plan d’ensemble de la place, et qui va se resserrer jusqu’à isoler Harry, suivi par le mime, autre référence à Blow Up. Mais la caméra ne l’a retrouvé que pour le perdre presque aussitôt, car il sera flou la prochaine fois qu’il traversera le champ, le point étant fait sur le couple. Ceci traduit le caractère insaisissable de Harry Caul : même lorsqu’il se trouve dans l’intimité de son foyer, il sort du champ, et la caméra doit faire un panoramique pour le recadrer. On admirera également la triple répétition du travelling latéral sur Harry parti s’isoler dans son atelier, proche d’un sample sonore mis en boucle.

 
On le voit, le son est le moteur narratif essentiel de Conversation Secrète. Et rares sont les films qui possèdent une piste sonore aussi sophistiquée. D’un côté, la partition musicale, une magnifique mélodie en boucle composée par David Shire pour piano seul, est dépouillée à l’extrême.

 

De l’autre, les enregistrements de conversations sont filtrés, déformés, parfois noyés dans le brouillage électronique, déstabilisant le spectateur, le plongeant dans l’esprit froid d’Harry Caul, aussi déshumanisé que les décors dans lesquels il évolue,  le plus troublant étant sans doute son atelier, une cage grillagée isolée dans ce qui ressemble à un grand parking vide.
 
Le tournage de Conversation Secrète a débuté le 26 novembre 1972 et s'est déroulé à San Francisco. Il coïncidera avec le scandale du Watergate, qui offrira au film une résonance supplémentaire. 

 

 

 

Sources :

http://www.critikat.com - Romain Genissel

http://www.imdb.com

http://www.lesinrocks.com

http://www.telerama.fr

http://www.dvdclassik.com - Franck Suzanne

http://www.allocine.fr

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