Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Date de sortie 18 septembre 2013
Réalisé par Emmanuelle Bercot
Avec Catherine Deneuve
Emmanuelle Bercot a fait le choix de prendre des personnes qui ne sont pas acteurs pour les rencontres que croise son héroïne sur sa route : "Ce sont tous des personnages "ordinaires" au sens noble du terme, même si parfois je force un tout petit peu le trait parce qu’il faut faire exister chaque personnage en très peu de temps." Ils donnent la réplique à Catherine Deneuve qu’ils n’avaient jamais vu de leur vie. "Leur émerveillement était fabuleux. Et très émouvant à voir", confie la réalisatrice.
Claude Gensac, Hafsia Herzi et Mylène Demongeot sont les seules actrices professionnelles du film… Leurs personnages appartiennent à la jeunesse de Bettie, ou à sa vie d’avant sa "fugue". Lorsqu’elle part, l’horizon change de couleur.
Avec Camille, Nemo Schiffman, Gérard Garouste, Paul Hamy,
Genre Comédie dramatique
Production Française
Synopsis
Nous sommes en Bretagne.
Bettie (Catherine Deneuve), veuve et portant élégamment la soixantaine se voit soudain abandonnée par son amant, un industriel qui lui promet depuis toujours de divorcer pour l'épouser. Elle apprend qu'il vient de le faire, mais pour se marier avec une jeune femme enceinte.
Tout s'effondre autour d'elle. De plus, son restaurant est en péril économique, sa banque la menace de faillite.
Elle a longtemps vécu dans une sorte de routine en reprenant le restaurant qui appartenait à ses parents pour perpétrer la tradition. C’est un établissement qui a une certain réputation, la cuisine est bonne, donc on continue parce qu’il faut vivre.
Au lendemain de ces mauvaises nouvelles, alors que c'est le coup de feu de midi, Bettie, se prend le bec avec sa mère (Claude Gensac), claque la porte et quitte soudainement le restaurant sous le prétexte d'aller acheter des cigarettes. Elle bougonne, exactement comme quand elle avait 14 ans. Sur la fenêtre de sa chambre, reste encore un vieil autocollant de Mike Brant qui refuse de se décoller. Bettie est tout le contraire d'une femme résignée. Elle prend sa voiture, croyant faire le tour du pâté de maison. Ce sera une échappée.
Que faire de sa vie ? À 60 ans les choses se compliquent. Une certaine routine tente de s'imposer. Il faut la fuir. Échapper à la sclérose.
Mais au lieu de revenir, elle part à l'aventure sur les routes. Des rencontres la ramènent à son passé, comme en Savoie où elle retrouve l'ex “Miss Bocage normand” qu'elle a connue autrefois en concourant en tant que “Miss Bretagne” pour le titre de Miss France 1969.
Elle va également retrouver son petit fils qu’elle connaît à peine.
À l'issue de ses déambulations, Bettie, régénérée, reprend sa route, ayant retrouvé de nouveau l'envie de vivre…
Son horizon semble s’élargir à l’infini.
C’est Catherine Deneuve qui a inspiré le film à la réalisatrice Emmanuelle Bercot, laquelle a conçu le personnage de Bettie sur mesure pour l'actrice : "J’ai vraiment écrit Elle s’en va pour elle, et Catherine a été mon moteur absolu tout au long de l’aventure de ce film. Comme beaucoup de gens de ma génération, Catherine fait partie de ma vie – il n’y a pas une époque où je n’ai pas été marquée par elle, au travers de ses films."
En dehors de son envie de faire un film avec Catherine Deneuve, le but de Elle s'en va est de mettre en avant une sexagénaire de caractère et indépendante : "On parle peu des relations mères-filles à cet âge de la vie et, lorsqu’on les évoque, c’est généralement pour montrer un adulte confronté à la dépendance d’une personne âgée. Dans le cas de Bettie, c’est encore la mère qui a le dessus. Une mère excessive, très envahissante et dont elle doit se libérer. J’aimais l’idée qu’à soixante ans, elle soit retournée vivre avec elle, qu’elle soit en quelque sorte sous sa coupe."
Selon la réalisatrice : "À trente ou quarante ans, on se dit qu’il est assez facile de changer de vie; à soixante, ça doit être plus difficile : il s’ouvre moins de portes, l’étendue des possibles est réduite. Depuis toute petite, l’âge est un sujet qui m’angoisse. Et, jusqu’à ce film, je n’étais pas très optimiste sur cette question. Elle s’en va répond à cette inquiétude. Je l’ai probablement écrit autant pour me rassurer que pour donner de l’espoir à ceux qui n’en auraient pas."
Au-delà du road movie, Elle s’en va est un formidable hommage à la filmographie de Catherine Deneuve, bourré de références à François Truffaut, André Téchiné, François Dupeyron avec Drôle d’endroit pour une rencontre , entre autres.
Toute la filmographie de Catherine Deneuve ... Cliquez ICI
Emmanuelle Bercot reconnait ces références cinématographiques : "Je le vois maintenant, mais ce n’est absolument pas prémédité. Cependant, il est évident, qu’inconsciemment, je suis marquée par l’image que j’ai d’elle dans ses films. En tournant Elle s’en va, j’ai le sentiment d’avoir plutôt capté des traits de sa personnalité qui m’impressionnent et qu’on connait peut être moins d’elle : sa puissance de vie exceptionnelle, sa curiosité, sa joie de vivre, son goût du rire, son humour. Teintés de cette poignante mélancolie qu’on lui connaît. Au delà de l’actrice, que j’admire, il y a sa personne, la femme qu’elle est, que j’aime. Et c’est tout autant cela qui m’a donné si envie de la filmer. D’ailleurs, je n’en reviens toujours pas d’avoir fait un film avec elle ! D’avoir eu cette chance. C’est une immense rencontre, pour moi."
Il s’agit du tout premier film dans lequel joue le jeune Nemo Schiffman, dans le rôle de Charly. Dans la vie, il est le fils d’Emmanuelle Bercot, et de Guillaume Schiffman, le directeur de la photographie. C’est sa fascination pour cette actrice emblématique que la cinéaste a décidé d’introduire ce personnage de petit-fils dans les pattes de Catherine. "Je pourrais venir sur le tournage ?" , m’a-t-il demandé lorsqu’il a appris que j’écrivais pour elle,
"Mon rêve, c’est de serrer Catherine Deneuve dans mes bras !".
Alors j’ai d’abord pensé écrire une petite scène pour lui, où il la serrerait dans ses bras, et, de fil en aiguille, le personnage du petit garçon est devenu un élément à part entière du scénario."
Le personnage de Bettie prend le prétexte d’aller chercher des cigarettes pour partir, un motif comique qui pourrait s'attirer les foudres du comité de la loi Evin : "On sent qu’elle est capable de tout pour en trouver. Je pense que la ligue anti-tabac ne va pas aimer. Elle fait vraiment l’apologie de la cigarette !"
Catherine Deneuve dans ECLECTIK émission de Rébecca Manzoni
Dimanche 15 septembre 2013 sur France Inter. Cliquez ICI !
Un passage émouvant du film se centre sur la rencontre entre Bettie et un vieil homme : "Ce vieux monsieur ne comprenait pas tout, mais lorsqu’il s’est mis à parler, c’était bouleversant. Je connaissais par Emmanuelle l’histoire de sa fiancée, morte très jeune d’une tuberculose et qui lui avait fait promettre de ne jamais se marier. Je lui ai posé des questions sur sa vie et il s’est mis à se raconter. Dans cette scène, il ne me regarde même pas, il est dans le passé, ailleurs, avec ses mains tellement pleines d’arthrite qu’il peut à peine rouler sa cigarette. On voit ses doigts gourds, c’est une scène inouïe ; un moment dont je me souviendrai toute ma vie", se souvient Catherine Deneuve. Avant de continuer : "J’ai voulu aller voir où il vivait : c’est incroyable, c’est une ferme qui n’a pas dû bouger depuis deux cents ans. Le sol est en terre battue, il a dû posséder beaucoup de champs et avoir des ouvriers à son service. Maintenant, il n’y a plus personne, il est seul."
La réalisatrice s’est, en partie, inspirée du film de David Lynch, Une histoire vraie, dans lequel un vieil homme parcourt un périple de plus de 500 km sur une tondeuse à gazon, son seul moyen de locomotion, afin de retrouver son frère qu’il n’a pas vu depuis 10 ans.
Le film a été tourné en 2012, principalement en Bretagne. Emmanuelle Bercot raconte "On a tourné dans des conditions d’urgence que ni Catherine, ni beaucoup des techniciens, n’avaient connues jusque-là. Plus, la contrainte des décors qui changeaient sans cesse – il y en avait 65; et les contraintes liées au travail avec des comédiens non professionnels qui n’ont aucun repère et aucun mode d’emploi. Leur présence imposait un dispositif particulier : impensable, par exemple, de tourner en plans séquence ! Tout allait si vite qu’il est arrivé qu’on ne prenne même pas le temps de répéter avec Catherine. Elle me demandait : "On ne répète pas ?". Je hurlais : "Non ! Mettez-vous là ! Il faut y aller !".
En raison d’un budget minimum, Emmanuelle Bercot a dû sacrifier des plans qui ont alors amputé le film de scènes sur le paysage ou de Catherine Deneuve au volant de sa voiture : "Faute d’avoir dû faire l’économie de ces "moments" typiques des road movies lorsqu’il a fallu réduire le coût du film, et je le regrette. Ainsi, c’est plutôt à travers la variété des rencontres qu’elle fait qu’on retrouve les schémas du road movie."
Catherine Deneuve au sujet de réalisatrice "Elle est très stimulante et très présente. Elle est vraiment DANS le moment, au cœur de la scène, on sent son regard sur soi quand on tourne. Emmanuelle est quelqu’un qui impulse quelque chose de très physique. Son film est d’ailleurs très physique. Chaque plan nécessitait de notre part une remobilisation entière. Pas question de se dire :"Ah, ça fait déjà trois heures qu’on tourne, on fait une pause." Avec elle, c’est "Non, non, allez, on continue." C’est parfois cette force au début des scènes qui manque au cinéma français. Je reproche aux Américains de parler trop fort dans la vie, mais dans leurs films, on sent que ça jaillit. Et il fallait cette force dans Elle s’en va. Plus le temps passe, plus je crois en la puissance de l’énergie au cinéma."
Bettie ne quitte pratiquement jamais les habits qu’elle porte au moment de son départ. Catherine Deneuve s'explique sur cette décision conjointe concernant les costumes de Pascaline Chavanne : "Emmanuelle et moi avons beaucoup discuté des vêtements et de la coiffure de Bettie. : On triche souvent avec les costumes - en France, on a un peu trop tendance à perdre le réalisme de vue - et j’aimais l’idée qu’on ne le fasse pas sur le film. Lorsqu’elle s’en va, Bettie est dans sa cuisine, il fallait qu’on comprenne l’instantanéité du moment. Elle ne prend pas la décision de partir : elle quitte son lieu de travail et elle part. Ce n’est pas la même chose. Elle n’a pratiquement rien sur elle. On a dû trouver des astuces. C’est une femme active : elle pouvait quand même avoir un cabas dans sa voiture avec deux ou trois trucs dedans; et comme on est en Bretagne, il paraissait crédible qu’elle ait un ciré et des bottes dans son coffre. Il fallait qu’on la sente un peu démunie et on a respecté cette continuité."
À noter, la présence de la chanteuse Camille. Bien qu’ayant déjà participé au tournage des Morsures de l’aube d’Antoine de Caunes en 2001, il s’agit, ici, de son premier rôle joué : "Fidèle à mon principe de faire jouer l’entourage familial de Bettie à des professionnels, j’ai d’abord cherché une comédienne pour interpréter Muriel. Mais je n’aimais pas l’idée qu’une actrice revienne dans le film lorsque Bettie est sur les routes et je ne trouvais pas non plus la singularité que j’imaginais pour ce rôle dans celles que j’avais rencontrées. J’ai alors pensé à Camille, pour son sens inouï du rythme et son débit de parole, indispensable pour la longue logorrhée du coup de fil à Bettie. Elle a accepté de passer des essais, et ça a été une évidence immédiate. Pour moi, elle est l’une des plus grandes artistes contemporaines", explique Emmanuelle Bercot.
Le tournage de Elle s'en va a eu lieu en 2012 et les extérieurs ont notamment été tournés en juin en Bretagne à Le Trévoux dans le Finistère et à La Roche-Bernard et Quistinic dans le Morbihan, mais aussi à Izieu dans l'Ain, ainsi qu'à Menthon-Saint-Bernard en Haute-Savoie.
Mon opinion :
Devant la caméra d'Emmanuelle Bercot, Catherine Deneuve démontre, une nouvelle fois et avec maestria, l'ampleur de son talent. Sans artifice aucun, elle incarne ici le rôle d'une ex miss Bretagne, je me souviens avec délices de La Reine Blanche réalisé par Jean-Loup Hubert, et plus précisément celui d'une femme qui ne veut plus étouffer dans le ronron d'une vie trop bien rangée.
Pas question de retraite comme dans le film de Marion Vernoux "Les Beaux jours". Mais davantage un appel vers le large, pour respirer, ne pas exploser et regarder ailleurs. Le scénario, spécialement écrit pour Catherine Deneuve, par la réalisatrice et Jérôme Tonnerre, lui colle à la peau.
Dans un entretien accordé à France Inter, l'actrice avouait, en parlant de ses mains, "Voyez, elles n’ont pas tenu que des mouchoirs de soie". Dans ce film encore moins qu'ailleurs. Point de filtre flatteur ou d'éclairages avantageux. Pas de costumes soignés ou de photo magnifiée pour mettre l'actrice en valeur.
Elle irradie par sa seule présence tout au long de ce film.
De beaux et nombreux décors sont autant de haltes pour des rencontres souvent étonnantes dans une France magnifique, celle qui se mérite quand on "prend le chemin des écoliers" pour reprendre l'expression de Catherine Deneuve relevé dans un entretien télévisé.
Un beau passage sur une aire d'autoroute et le souvenir de "Drôle d'endroit pour une rencontre" de François Dupeyron.
À ses côtés, et dans le rôle du petit-fils, le jeune Némo Schifman est étonnant. Le scénario fait que son caractère ressemble étrangement à celui de sa grand-mère. Souvent attendrissant, parfois irritant toujours en quête d'amour, il n'en reste pas moins juste et parfait.
La chanteuse Camille prouve dans une simple participation un certain talent d'actrice.
Jolie surprise de retrouver Claude Gensac et Mylène Demongeot dans deux belles participations. Valérie Lagrange, aussi comme l'indique le générique de fin. Grande réussite aussi que ces acteurs, non professionnels, qui donnent la réplique à Catherine Deneuve avec un incroyable naturel. Paul Hamy, Gérard Garouste, participent grandement à la réussite de ce film, aussi.
En donnant mon avis, au travers de ces lignes, je me rends compte de l'émotion qui reste bien prégnante. Puisque écrit pour Catherine Deneuve, je ne me pose même pas la question de savoir si le film m'aurait autant touché avec une autre actrice.
J'ai aimé les petites invraisemblances qui donnent encore plus de liberté à l'actrice. La fin aussi. Un joli message d'espoir.
"Elle s'en va" est un film simple, sans esbroufe, sincère et touchant. Un très beau moment de cinéma.
Sources :
http://videos.arte.tv
http://www.unifrance.org
http://www.cinemovies.fr
http://www.allocine.fr