"Si je n'ai plus la peur de Dieu maintenant,
j'ai en revanche la rage de l'homme dans ce qu'il est capable de faire."
Israel Galván est le fils de deux célèbres danseurs d'une école de flamenco de Séville. José Galván et la danseuse gitane Eugenia de los Reyes. Il apprend avec eux deux, et dès l’enfance, la vie des tournées, leur vie, de théâtres, en festivals finissant à l’aube.
"Enfant, j'ai vécu dans l'amour et la rage de Dieu."confie le danseur. "La mort a toujours été très présente dans la famille et je vivais en permanence avec l'idée du Jugement dernier qui allait me tomber dessus. Je pensais que je n'allais pas vieillir. J'ai longtemps vécu avec cette peur. Encore récemment je ressentais la même angoisse pour mes deux enfants, mais ça va beaucoup mieux." Et de rajouter : "La danse m'a sauvé, assène-t-il. Je suis toujours obsédé par la mort, mais j'ai la sensation de me vider de cette obsession à travers un spectacle. Cela me permet de vivre mieux, mais ça laisse des traces dans le corps."
Eugenia de Los Reyes et José Galvan
Sa sœur, Pastora Galván est elle aussi une danseuse et chorégraphe dans la même discipline.
Israel Galván intègre la Compañía Andaluza de Danza dirigée par Mario Maya en 1994, travaille, entre autres, avec Manuel Soler, et reçoit immédiatement les plus importants prix espagnols de flamenco.
Il reçoit en 1995
- Le Prix Vicente Escudero
au concours national des arts du flamenco de Cordoue.
En 1996
- Le Prix El Desplante
au festival international del Cante de las Minas de La Unión
- Le Prix du concours des jeunes interprètes
de la IXème biennale de flamenco de Séville.
En 1998, il fonde sa propre compagnie et est invité l'année suivante par le Ballet Nacional de España à chorégraphier une farruca (danse andalouse d'origine galicienne qui fait partie du répertoire du flamenco de haut niveau technique) pour la pièce Oripandó.
Il est devenu célèbre dans le milieu de la danse flamenco par son approche contemporaine hétérodoxe et très théâtrale de la danse, faisant appel à de nombreuses sources d'inspiration qui dépassent le champ traditionnel du flamenco. En utilisant des mouvements de pieds très compliqués, il fait évoluer la gestuelle traditionnelle, de la frappe de pied virile aux passes de torero. On sent chez lui l'amour véritable de cette expression artistique née quelque part au XVIIIème siècle, inspirée des traditions arabes, gitanes, juives et andalouses.
"Lorsque je danse, je ressens un mélange d'humilité, de modestie et de rage. J'aime ne pas me reconnaître, devenir une autre personne sur scène, changer ma façon de penser, de voir. Trouver la paix aussi." avoue Israel Galvan.
Un art qui peut vivre encore aujourd'hui parce que lui, plus que tout autre, sait le réinventer.
"Le flamenco ne résout pas la guerre et n’empêchera pas la fin du monde, mais il peut aider à garder la tête haute."
Israel Galvan
Le Sévillan connaît toutes les techniques de cet art sur le bout de ses doigts et orteils, mais il aime plus que tout les étirer par un pas, un geste, sortis d'on ne sait où, "sans jamais trahir le flamenco, ni dans le corps ni dans l'esprit", précise l'Artiste à Mario Cloutier le 29 mars 2014 pour lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre, lors des dernières représentations à Montréal.
Entre autres chorégraphies, retenons, ¡ Mira! / Los zapatos rojos en 1998. Ce spectacle marque un avant et un après dans l’évolution de la création chorégraphique flamenca. Il n’a plus arrété de créer. La metamorfosis en 2000. Une version flamenca de l’oeuvre de Kafka. Galvánicas en 2002 avec le guitariste Gerardo Núñez. Dos hermanos avec Pastora Galván en 2003.
Arena, six dramatiques et surprenantes chorégraphies sur la tauromachie. C'est une oeuvre en six tableaux dont chacun évoque un taureau ayant été mis à mort par son torero durant une corrida. Israel Galván y est accompagné sur scène par des musiciens.
et Cante y orquesta en 2004.
La edad de oro en 2005. Entrepris en 2004, il s'agit de son spectacle le plus populaire. C'est une chorégraphie dépouillée où tout le corps du danseur est exploité pour ses qualités musicales et rythmiques. Le titre du spectacle fait référence à l'âge d'or de la danse andalouse. C'était hier ou presque, il y a environ 100 ans, en fait. Mais il s'agit aussi de clins d'oeil aux films des bêtes sacrées espagnoles que sont Luis Buñuel pour la réalisation et Salvador Dalí pour l'écriture, avec L'âge d'or et Un chien andalou.
Israel Galván - La Edad de Oro
En 2005
Israel Galván reçoit le Prix national de la danse (catégorie chorégraphie)
du Ministère espagnol de la Culture.
Ce Prix lui a été décerné pour sa capacité à générer dans un art comme le flamenco une création nouvelle sans oublier les véritables racines qui l’ont nourri jusqu’à nos jours, et qui le constituent comme un genre universel.
Israel Galván est sans conteste un maître, le chef de file de la scène flamenca. Il est aussi un artiste qui créé un monde, hanté par la mort mais "dansé dans la joie", qui pousse dans leurs retranchements les codes du vénérable arte flamenco.
Tábula rasa et La Francesa pour Pastora Galván en 2006. Solo et El final de este estado de cosas en 2007.
El final de este estado de cosas, redux en 2009. Présenté au FTA en 2011, ce spectacle connaîtra plusieurs versions au cours des ans.
Israel Galván y nargue la mort et s'habille en femme, entre autres.
Entouré de 11 musiciens de flamenco, il utilise le heavy metal et la musique contemporaine pour se livrer à une variation sur L'Apocalypse de Jean.
Pour cette dernière chorégraphie
Israel Galván est récompensé en 2009
par le Grand Prix de la danse du Syndicat de la critique.
Récompense décernée annuellement par le Syndicat de la critique pour le meilleur spectacle de danse créé en France au cours de la saison écoulée
Le danseur a participé au Festival d'Avignon en 2009. Israel Galván y chorégraphiait et dansait, El Final de este estado de cosas . Sur un carré de sable, visage masqué, il livrait un solo somptueux et étrange à la fois, en short et pieds nus. Une prédiction tragique et folle, une révélation au sens fort, au croisement d'une expérience esthétique et d'une confidence intime.
Au cours de l'année 2010 il chorégraphie Je suis venue en collaboration avec Gaspard Delanoë et Yalda Younes et La curva. Celui-ci a valu à Israel Galván le titre de "génie" de la part du quotidien britannique The Guardian. Accompagné de deux chanteurs et d'une musicienne, le danseur exploite l'idée très visuelle de la ligne. On l'y voit fier et droit comme tout bon danseur de flamenco, mais il s'y tord et explose aussi afin d'atteindre un summum de l'expression.
Israel Galván - La Curva
Et enfin en 2012, Lo Real. Ce spectacle pousse encore plus loin l'exploration musicale et corporelle du danseur de flamenco. Cette fois il l'envisage comme une suite à l’Apocalypse. Il s’attaque à un sujet souvent occulté et délicat : le génocide des Gitans par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.
"Je me suis beaucoup documenté sur les camps", raconte le chorégraphe. "Plus j'avançais, plus j'étais fasciné et horrifié. Plus je réalisais aussi que non seulement c'était indansable mais que l'on devait faire très attention. Attention à résister à la fascination et au traitement spectaculaire. Impossible pour moi de jouer de quelque façon que ce soit avec un sujet pareil."
Torse nu, il cingle l’air, saute, se cambre et se tord. Le danseur, littéralement écartelé, se mue en centaure. Mains et doigts fendent l’air ou frappent le sol comme pour faire revenir les morts. Quant à son zapateado, les frappes de pied, il fait crépiter toute une palette percussive et devient danse du métal.
"Gestuelle hachée menu pour massacre jamais vu" écrit Rosita Boisseau dans Le Monde.
Israel Galván,
l'astre du flamenco, est un danseur incandescent et prodigieux.
Toute immense soit-elle, sa réputation comme danseur ne lui pèse pas. Le danseur espagnol est au sommet de son art, selon les critiques internationaux, qui l'ont surnommé le Nijinsky du flamenco, tout comme tous les spectateurs qui l'ont vu au cours des 10 dernières années.
Avec Lo Real, Israel Galván s’entoure sur scène comme à son habitude des noms les plus respectés du cante jondo et convoque pour la première fois deux danseuses remarquables, Isabel Bayón et Belén Maya.
"C'est un sujet indansable évidemment, reconnaît Israel Galván. Lorsque j'ai commencé à travailler sur le projet, je ne pensais pas y arriver. Je me suis entouré de musiciens et, pour la première fois, de danseuses comme Belén Maya et Isabel Bayón pour ne pas être seul dans une aventure pareille. Et, précisément, parce que danser l'Holocauste est impossible, il faut le faire. Pour ne jamais oublier"
Ces deux interprètes féminines apportent une indéniable force à cette création. La partition chorégraphique comme un "double rythme" se joue des extrêmes, lenteur et virtuosité, fureur et silence.
Sur le plateau, qu’Israel Galván a voulu dépouillé, des tôles bruissantes, des poutrelles traînées, un piano qui finit "démembré" les cordes étirées, le bois frappé, un extrait de Canta Gitano, un film de Tony Gatlif…
Autant de matériaux qui galvanisent sa danse.
"J’ai vécu toute mon enfance en entendant parler de l’Holocauste.
Si je n’ai plus la peur de Dieu maintenant,
j’ai en revanche la rage de l’homme dans ce qu’il est capable de faire."
Encore une fois, le flamenco furioso d'Israel Galván plonge dans l’histoire sans peur ni tabou. Et si Le Réel évoque la mort, il est aussi et surtout un formidable cri de résistance.
La vie sur cette scène est la plus forte. Le corps est conducteur de fulgurances.
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Israel Galván sidère.
Restent sans nom les énergies qu’il capte dans l’air sec du temps comme dans la braise de la mémoire, les forces invisibles et souterraines dont son mouvement est le sismographe.
Baile jondo, comme on le dit du chant, quand il puise aux entrailles, et qu’il entaille l’obscur. Israel Galván est un chaman contemporain.
Extraits d'articles de Rosita Boisseau envoyée spéciale à Madrid pour http://www.lemonde.fr et de Jean-Marc Adolphe, 12 février. 2013 pour http://www.mouvement.net
Le travail d’Israel Galván a été distingué en 2012 par des très prestigieuses distinctions dans le monde de la culture :
- Prix Max des Arts de la Scène
"au meilleur interprète masculin de danse" et “à la meilleure chorégraphie”
pour son spectacle La Curva,
accordée par la sociéte des auteurs et éditeurs espagnols (SGAE)
- Bessie Award à La Edad de Oro,
"une production exceptionnelle d'une œuvre
qui élargit les perspectives de l'art traditionnel",
accordé par les professionels de la danse de New York
pour les représentations du spectacle au Joyce Theater en septembre 2011.
- Médaille d’Or des Beaux-Arts,
attribuée par le Conseil des Ministres d’Espagne.
Sa dernière création Lo real, a été présentée le 12 décembre 2012 au Teatro Real de Madrid, sur une commande de Gérard Mortier. Une grande première pour cet art qui faisait ainsi ces débuts dans un lieu plus habité par le bel canto et une danse plus classique. Le spectacle a divisé la presse espagnole comme le public très conservateur. Le ballet a ensuite été présenté, entre autres, du 13 au 18 Février 2013 au Théâtre de la Ville de Paris.
Il s'agit de cette version présentée au Parvis
les 7 et 8 avril 2014.
Mon opinion :
Double hommage rendu par l'Artiste dans ce ballet.
À sa mère, sûrement, grande danseuse de flamenco d'origine tsigane. Mais aussi à tous les Gitans victimes des nazis pendant la deuxième guerre mondiale. Une idéologie meurtrière qui rend ce ballet encore plus puissant par la force émotionnelle dégagée. Le flamenco d'Israel Galván, divise ou trouve quantités d'adeptes, dont je suis, pour cette formidable modernisation d'un art aux origines lointaines souvent très controversées. Le flamenco, mélange hétérogène de cultures gitane, arabe et juive symbolise la misère, la tristesse qui va avec, mais plus que tout et en dépit de tout, une immense joie de vivre.
Belén Maya est remarquable dans un zapateado. Ses pieds chaussés de sabots, elle se retrouvera prisonnière des cordes d'un piano renversé. Cordes meurtrières, comme autant de fils barbelés retenant les prisonniers dans les camps d'extermination.
Isabel Bayon, dans un décor pour le moins épuré et d'une tristesse pesante, danse et joue magnifiquement avec la vie et la mort au travers de cet art du flamenco et la fascination que celui-ci procurait sur les nazis.
Israel Galván, enfin.
Cet immense danseur, également remarquable et remarqué comme chorégraphe, est bien celui de mes souvenirs.
Une nouvelle flamme dans l'âme du flamenco avec tout le respect dû à ses origines. Accompagné par plusieurs musiciens et chanteurs, l'Artiste va prendre possession de la scène. Mettre en place son propre décor. Se livrer enfin, torse nu ou simplement vêtu d'un débardeur blanc.
Sa chorégraphie, son style, puissants et vibrants, font frémir une salle conquise dès les premières minutes du spectacle. Israel Galván joue avec ses bretelles blanches comme autant de menottes qui ne retiendront jamais ses mains prisonnières.
Il rend le plus bel hommage, au travers de cette musique, de son art incomparable et inégalable, de son corps, aussi, à tous ceux qui ne sont plus. Furieuse envie de vivre. "Danser a toujours signifié pour moi : mort et résurrection. Danser comme si c’était le dernier jour, toujours. Danser, sans forces déjà, tirant l’énergie de cela même, du manque de forces. Tout cela Lo Real est en train de me le donner." dit-il dans une interview.
Son spectacle est un coup de fouet, un rappel à l'ordre, une formidable leçon contre l'oubli. Aux saluts, le danseur est visiblement ému par les applaudissements qui envahissent tout l'espace.
Je suis sorti de la salle, assommé, ébloui aussi, une fois de plus.
Au 34ème Festival Montpellier Danse du 22 juin au 9 juillet 2014 Israel Galván sera seul pour Solo, dans la Cour de l’Agora, au milieu du vide et du silence. Car cette fois, il dansera sans musique comme l’avait fait, dans les années 1930, Vicente Escudero, premier flamenquiste d’avant-garde, bien avant que la danse contemporaine ne s’empare de cette idée brillante.
C’est dans cette généalogie que s’inscrit Israel Galván, ce "danseur des solitudes” que n’effraie pas l’immobilité.
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Israel Galván poursuit sa recherche d’un flamenco contemporain, inventif, débarrassé de ses volants et de ses accents folkloriques. Reste un immense danseur de baile jondo sombre, graphique, au mouvement tranchant, tragique et éblouissant. Chaque pièce s’affranchit davantage d’un langage traditionnel, d’un code inutile pour explorer une danse intense, presque primitive et résolument novatrice.
Cette œuvre, conçue pour la Cour de l’Agora, sans même un plancher pour rehausser le son de ses pas, n’aura pour sujet que la danse à l’état brut, originel. Une danse qui s’accompagne du souffle, des halètements, des battements et des frappes que produit le corps humain, rude, sans concession. Et malgré sa silhouette aiguisée, ses mouvements heurtés, Israel Galván distille sans doute l’essence la plus délicate et la plus poétique du flamenco, sachant soudain faire taire sa rage et laisser une vague de tendresse envahir le plateau.
http://www.montpellierdanse.com