Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Réalisé par Sydney Pollack
Avec Robert Redford, Will Geer, Allyn Ann McLerie,
Stefan Gierasch, Charlers Tyner, Paul Benedict, Delle Bolton
Jack Colvin, Josh Albee, Joaquín Martínez, Matt Clark
Genre Western
Production Américaine
Sortie en france le 15 septembre 1972
Le scénario de John Milius et Edward Anhalt est inspiré des romans de Vardis Fisher "The Montain Man" et celui de Raymond V. Throp "The Crow Killer".
John Milius est un homme extrême, aux idées qui ne le sont pas moins. Tout d'abord uniquement scénariste, il décide de devenir également réalisateur car il n'est pas satisfait des modifications apportées à ses scénarios. C'est aussi un homme dont l’efficacité d’écriture est, dans son registre bien particulier, quasiment sans égale. Personnage complexe, surfeur, fasciné par les armes à feu, à la fois défenseur des valeurs traditionnelles et romantiques révolutionnaires, et grand admirateur de figures conquérantes. Un homme qui a démontré à de nombreuses reprises sa maîtrise du pouvoir de l’image et de l’icônisation. Et surtout, surtout, un homme hanté. Il se définit comme un anarchiste zen et est devenu une figure légendaire du cinéma américain. Que rêver de mieux pour un film tel que celui-ci ?
Dans Jeremiah Johnson, les années 1850 dépeintes sont celles pour les États-Unis d’une guerre avec le Mexique. Un soldat qui a quitté ou déserté les rangs de l’armée. On peut y voir en filigrane le conflit du Vietnam.
Cet homme, aux cheveux de blés interprété par Robert Redford semble tout autant décidé à quitter la civilisation qu’inquiet à l’idée de se perdre à l’Ouest. Armé de l’esprit conquérant du pionnier, et le nez au vent et le regard à l’horizon, Johnson trace sa piste. Une piste, semée d’embûches et de rencontres, qui le mènera jusque dans les bras d’une indienne puis aux prises avec des guerriers Crows.
Robert Redford excellent, plein de charme et dans la force de l'âge trouve un rôle en adéquation avec son engagement écologique. Certainement l’un de ses plus grands rôles. Privé de dialogue, affublé d’un orphelin muet et d’une femme dont la langue diffère de la sienne, son jeu passe généralement par le regard. On ne peut être qu’étonné par l’expressivité dont il fait preuve. Il se met au service du metteur en scène, agréant son respect envers la nature. Sobre, habité, refusant tout glamour dans son apparence, Robert Redford n’est plus Redford. Il est Jeremiah Johnson.
Mais, bien plus qu’une incarnation physique, c’est dans l’esprit même de l'acteur que l’on retrouve toute l’essence du personnage. Robert Redford peut également jouer près de sa chère Sundance dans l'Utah. C'est d'ailleurs dans cette même ville que, quelques années plus tard, il crééra son fameux festival de films indépendants.
Jeremiah Johnson et son regard désanchanté sur la société. Ce besoin de solitude. Le héros contemple et tâche de survivre. Après tout il n’a besoin de rien d’autre.
A l’époque, Sydney Pollack, est déjà un réalisateur reconnu. Il s’impliquera profondément dans la réalisation de Jeremiah Johnson, allant jusqu’à hypothéquer sa propre maison pour obtenir des fonds et ainsi compenser le dépassement de budget qui menaçait toute la production. La réussite artistique indiscutable de Jeremiah Johnson est d’autant plus remarquable que ce film a été mis en boîte avec un maximum de deux prises par scène. Jeremiah Johnson sera nominé à Cannes en 1972, mais ne remportera malheureusement aucun prix.
Cette œuvre bouleversante est pétrie de contradictions. Elle peut se donner à voir selon un point de vue optimiste ou pessimiste, voire même les deux, car Jeremiah Johnson est un animal social porteur des valeurs de la civilisation qui ne peut s’accomplir qu’en étant pleinement conscient de son identité et en apprenant finalement à être maître de son destin.
Sydney Pollack traite brillamment de ce rapport qui lie l’homme à la nature. La mise en scène est discrète et tout à fait efficace. Le tout magnifiquement quadrillé par la majestueuse beauté d’un environnement escarpé. Jeremiah Johnson est un film volontairement lent. Indispensable lenteur pour nous faire comprendre les longs moments de solitude d'une vie au milieu des montagnes.
Mais c'est cette lenteur, alliée a la magnificence des paysages, qui nous envôute.
Synopsis
Un homme seul. Il en a assez de la guerre. Il en a assez de la civilisation. Il veut autre chose. Il s’en va. Loin des hommes. Loin des conflits. En 1850, les endroits sauvages sont encore nombreux : la montagne fera l’affaire. L’apprentissage de la vie de trappeur n’est pas facile. Le vent. Le froid. La faim. La solitude. Mais notre homme n’est pas de ceux qui renoncent. Lentement, comme deux vieux adversaires, la montagne et lui apprendront à se respecter l’un l’autre.
Au milieu du 19ème siècle, Jeremiah Johnson (Robert Redford), ancien militaire, décide de fuir la violence des hommes et la civilisation pour gagner les hauteurs sauvages des montagnes Rocheuses.
Mal préparé à cette rude vie, confronté à un environnement qu'il ne connaît pas, il connaît des débuts difficiles; jusqu’au jour où il fait la rencontre de Griffes d’Ours (Will Geer), un vieux chasseur de Grizzlis qui lui apprend le dur métier de trappeur et les coutumes des indiens.
Will Geer et Robert Redford
Un jour, Jeremiah découvre une cabane dont les occupants pionniers ont été massacrés par des Indiens. À la demande de sa mère (Allyn Ann McLerie) devenue folle à la suite de ce traumatisme, Jeremiah recueille alors un jeune garçon muet survivant de cette tuerie, et le nommera Caleb (Josh Albee). Les colons massacrés par les indiens sont presque aussitôt remplacés par d’autres. Les indiens de la tribue des Crows voient leur territoire rétrécir comme peau de chagrin et leurs terres sacrées profanées par les blancs.
Chemin faisant, Jeremiah sauve un trappeur d'une mort certaine, Del Gue (Stefan Gierasch) chasseur cynique et malhonnête. Celui-ci a été enterré vivant et détroussé par la tribu des indiens Pieds Noirs. Del Gue récupère ses effets avec l’aide de Jeremiah.
Josh Albee, Stefan Gierasch et Robert Redford
Peu de temps après Del Gue repère les indiens qui l’ont détroussé. Del Gue provoque le massacre des indiens et leur prend le scalp. Ils se rendent chez les Têtes-Plates Jeremiah offre les chevaux des indiens tués.
Le chef, Deux langues (Richard Angarola), en remerciement donne à Jeremiah Johnson sa fille Swan (Delle Bolton). Jeremiah est tout d’abord encombré mais elle fait montre d’amour envers lui. Après la cérémonie de mariage Del Gue quitte ses compagnons en leur souhaitant une bonne lune de miel.
Robert Redford, Delle Bolton et Josh Albee
Après avoir longtemps erré, Jeremiah trouve enfin un endroit idéal pour construire une habitation et fonder une famille heureuse avec Swan et Caleb. Il fabrique une maison pour donner un abri aux siens. Il parle avec sa femme, on s’en rend compte alors qu'il a appris son langage. Il joue avec elle et son fils. Il coupe sa barbe. Veut-il par ce geste ressembler d’avantage aux indiens, qui n’ont pas de barbes, et par là plaire à sa femme ? D’ailleurs, pas besoin de dialogues. Pas besoin d’explications. Tout l’amour entre Jeremiah et Swan se traduit par des gestes simples et naturels. Pas besoin de baisers démonstratifs, ni de scènes de coucheries. Swan fabrique le vêtement de peau de Jeremiah. Une caresse douce de Jeremiah soigné par Swan. Un regard intense et brûlant de fierté lorsque cette dernière observe son époux. Voilà des scènes contenant toute la tendresse du monde. De même, lorsque Jeremiah doit partir, Caleb ne dit rien mais serre fort son père adoptif dans ses bras pour le retenir. L’amour pur et simple se transmet par des gestes. Pas par des paroles.
Mais le bonheur sera de courte durée…
Un jour, des militaires demandent l’aide de Jeremiah afin de les guider vers un convoi de colons bloqué par la neige. En chemin, afin de gagner du temps, ils profanent un cimetière Crows en le traversant contre l'avis de Jeremiah. À son retour Jeremiah découvre avec stupeur Swan et Caleb tués par les Crows. Après une nuit de deuil et de réflexion auprès des corps de ses aimés, Jeremiah quitte définitivement le lieu de son bonheur passé. Il berce une dernière fois les corps de son épouse et de son fils dans leur lit, puis met le feu à sa demeure. Sa croisade a commencé. Elle sera sans fin.
Il sombre alors dans une vendetta personnelle contre les indiens Crows qui ont assassiné sa famille. Et Jeremiah les massacre. Il n’est plus l’homme innocent du début. Il devient effrayant, sans la moindre once de pitié, inexorable. Il n’a plus de cœur : on le lui a pris. Jeremiah arrive devant le dernier indien qui se sait condamné. Ce dernier tombe alors à genoux et se met à chanter. Au-delà des mots, cette scène dépasse encore en intensité tout ce que l’on a pu précédemment voir. Atteignant une dimension presque métaphysique, on ne peut que contempler et écouter cet indien chantant sa propre fin, communiant une ultime fois avec la nature et reliant à jamais victime et coupable dans le sang et la mort.
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Jeremiah partira finalement vers le Canada, recroisant une dernière fois Del Gue, qui s'est laissé pousser les cheveux pour laisser une "trace sur cette terre" puis retournant sur le site de la ferme des parents de Caleb. Il y apprend par les nouveaux colons, Qualen (Matt Clark) et sa famille, que la mère de Caleb est morte. Jeremiah y trouve également une sorte de monument en forme de tombe commémorative dressée en son honneur par les indiens qui y laissent périodiquement des tributs votifs. Il est donc devenu aux yeux des indiens aussi sacré que la nature elle-même. Les crows lui érigent même une sorte d’autel-mausolée, consacrant à la fois sa mort qu’ils désirent mais ne peuvent obtenir et sa vie éternelle.
Il rencontrera une nouvelle dois son ami Griffes d’Ours, toujours à la chasse au grizzli, et qui lui réaffirme sa préférence pour la vie rude des montagnes.
Jeremiah sera également attaqué par une meute de loups. Il les tuera, sans tirer un seul coup de fusil. Jeremiah y est arrivé : il est un véritable trappeur. Ce statut d’homme de la montagne passe également par une perte progressive de la notion du temps. Il ne se repère plus via un calendrier, mais via le temps qu’il fait, via l’écoulement des saisons. Son cycle est devenu animal et non plus humain.
Le film se clôture sur une rencontre avec Chemise Rouge (Joaquín Martínez) un indien Crow, ennemi de Jeremiah. L'indien lève son bras dans un geste de paix que Jeremiah lui retourne après un moment d'hésitation.
Jeremiah Johnson, seul, presque aveuglé par le coucher de soleil, regarde l’horizon et cherche à saisir de la main la montagne qui se dresse devant lui. A-t-il terminé son voyage ?
Non, il ne fait que commencer.
L’histoire de Jeremiah Johnson, du fait du continent et du genre où elle s’inscrit, est à bien des égards mythique. C’est d’abord celle, tirée de faits réels, d’un trappeur qui, bien avant les pionniers, allait déborder la Frontière pour rejoindre l’Ouest et ses montages Rocheuses. Itinéraire emblématique, le parcours de Jeremiah Johnson se réfère à toute une tradition de la culture américaine où le récit consiste à cerner la relation de l’individu à la société et le rapport d’une âme solitaire avec la Nature.
Étrange cas que ce chef-d’œuvre de Sydney Pollack et sans doute, l’un des derniers monuments du western. Entre réalisme documentaire et lyrisme onirique, Jeremiah Johnson est l’un des seuls films de la décennie à autant préserver les codes classiques du genre qu’à s’en émarger discrètement.
Si la rencontre avec le fameux Griffe d’Ours dégage un côté picaresque qu’un John Ford ne dénigrerait pas, la figure errante et quelque peu tourmentée de Jeremiah Johnson n’a rien à voir avec un John Wayne sans peur et sans reproche. De même, si le système des personnages qui gravite autour de Jeremiah reste largement identifiable, la figure de l’indien reste en apparence plus problématique.
En plus de la romance avec l’indienne, l’amour vu comme deux terres étrangères, la peinture des rites et des costumes inspirés par des recherches de fonds ne laissent planer aucun doute quant à l’intention de Sydney Pollack de ne plus alimenter les clichés d’alors. Ainsi, et à la différence du pasteur fanatique et de l’armée qui profanent le cimetière, les guerriers indiens qui pourchassent Jeremiah dans la seconde partie dégagent une autonomie au travers du noble courage et du respect sacré dont ils sont nimbés.
Il ne faut donc pas voir dans les scènes de corps-à-corps entre Jeremiah et les vaillants peaux-rouges, un motif réactionnaire mais bien ce qui habite et surgit du fond hostile de la Nature. Pareille à la puissante séquence de combat avec les loups, l’imagerie indienne repose sur cet authentique trait du récit américain où la Nature abrite en son sein une pure menace.
Écrit à plusieurs mains dont celles du fidèle Robert Redford, Jeremiah Johnson fonctionne et enivre encore aujourd’hui avant tout grâce à son échafaud soigné. Il aura fallu six mois de montage à Sidney Pollack pour faire du parcours de Jeremiah Johnson un circuit en miroir sous forme de boucle. Le meurtre de la famille et l’incendie de la maison marque ainsi une césure où de l’errance initiale qui le conduira à l’établissement pastoral dans les bois, Jeremiah va devenir le héros une guerre sans fin qui fera de lui une légende de l’Ouest.
Tous les personnages rencontrés en chemin et que Jeremiah recroisera plus tard actualisent à chaque reprise la stature mythique de l’aventurier John Johnson. Enfin, l’instinct du trappeur est ici redoublé et profondément idéalisé par la monumentalité de l’environnement qu’il a conquis, où il a appris se fondre.
D’une profonde inclinaison envers la Nature. Ici celle des Rocky Mountains superbement embellie par l’usage du Technicolor et de la Panavision. Du passage des saisons au bestiaire qui le traverse, le regard du cinéaste les accueille pour dresser d’immenses toiles en référence directe à l’inspiration romantique des peintres américain, Albert Bierstadt et Frederic Edwin Church.
Le battement harmonieux qui en découle, la religiosité de ces œuvres sublimes de la Nature confèrent au film une immense grâce. Grâce rendue par le manteau neigeux qui l’enveloppe et sans doute symbolisée par cette parfaite surimpression où la montagne, le feu et le visage de Jeremiah Johnson ne font désormais plus qu’un.
Sources :
http://lesnuitsduchasseurdefilms.com
http://louvreuse.net
http://www.critikat.com - Romain Genissel
http://www.imdb.com
http://www.dvdclassik.com - Ronny Chester
http://www.allocine.fr
http://fr.wikipedia.org