Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Réalisé par Mervyn LeRoy
Avec Vivien Leigh, Robert Taylor, Lucile Watson,
Virginia Field , Maria Ouspenskaya, C. Aubrey Smith,
Janet Shaw, Janet Waldo, Steffi Duna, Virginia Carroll
Genre Drame
Titre original Waterloo Bridge
Production Américaine - 1940
Au Waterloo Bridge de James Whale pour la Universal en 1931 répond la version de Mervyn LeRoy en 1940… La firme au lion rugissant se réapproprie ces histoires, les habille de ses critères esthétiques et leur offre des variations thématiques importantes. Quand il s’agissait de remakes, le Hollywood de l’époque ne se contentait pas de reproduire les films originaux en les affublant d’oripeaux cachant la misère imaginative du système; non, il s’agissait d’offrir au public autre chose, une autre expérience avec la même histoire. De la variation donc, davantage que de la répétition. Du respect en somme, davantage que de l’exploitation de thèmes éculés. En confiant ce genre de projets à des cinéastes confirmés et au talent certain, la MGM permettait à ces projets d’atteindre leurs propres sommets artistiques. Mervyn LeRoy en est l’exemple type, un metteur en scène un peu oublié dont la carrière, souvent très riche, recèle pourtant de nombreuses surprises et pépites diverses.
Mervyn LeRoy fut l’un des meilleurs de son époque, à l’aise partout, un homme à tout faire mais pas seulement… Un cinéaste à l’univers très reconnaissable, un réalisateur qui savait tout faire, souvent pour le meilleur et rarement pour le pire.
La MGM lui offre un pont d’or et fait de lui un réalisateur prestigieux, mais aussi un producteur. Il devient rapidement l’un des meilleurs metteurs en scène de la Major, et dirige les plus grandes stars du studio. Il se spécialise dans le mélodrame flamboyant, voire lyrique, plie les œuvres les plus déchirantes à sa sensibilité personnelle et réalise une flopée de classiques
Quand Mervyn LeRoy réalise Waterloo Bridge, sa réputation laisse présager un film qui n’aura de cesse d’aller chercher le meilleur là où il se trouve. Ce film, c’est aussi l’histoire de Vivien Leigh, auréolée de la gloire qu’elle a obtenue depuis son film précédent, Autant en emporte le vent, un triomphe historique et mondial, et sa prestation dans Un tramway nommé Désir, affirmait pourtant que son rôle préféré était celui de Myra dans La Valse dans l’ombre.
Robert Taylor, star montante de la MGM depuis le milieu des années 1930. Ce dernier a déjà tourné avec certains des meilleurs réalisateurs de la Major et sa popularité ne fait que grandir auprès d’un public toujours plus heureux de le retrouver sur grand écran. Avec Waterloo Bridge, il obtiendra enfin la consécration, celle qui fera de lui l’une des grandes stars immortelles d’Hollywood.
Vivien Leigh et Robert Taylor sont époustouflants par leur justesse de ton et leur indéniable présence, ils font cause commune dans un exceptionnel élan d’alchimie afin de redéfinir les bases fortes d’un couple tragique dont l’aura illimité brille encore de tous ses feux aujourd’hui.
Waterloo Bridge est inspiré de la pièce originale écrite par Robert E. Sherwood
Synopsis
1939, sur Waterloo Bridge, le pont londonien qui enjambe la Tamise, le Colonel Roy Cronin (Robert Taylor)se souvient : il y a 22 ans, Myra, la femme de sa vie, se jetait sous ses yeux sous un camion.
Maria Ouspenskaya, Vivien Leigh et Virginia Field
Myra (Vivien Leigh) une jeune femme pure et gracile, danseuse étoile obéissant à une hygiène de vie particulièrement stricte, fait partie d'un ballet, dirigé d'une main de fer par Mme Olga (Maria Ouspenskaya).
C'est un véritable coup de foudre. Ils décident de se marier avant le départ pour le front de Roy. Myra, suivie et soutenue par sa meilleure amie Kitty (Virginia Field), quitte le ballet. Roy met tout en œuvre pour la célébration de leur union mais le destin s'acharne et Roy part sans avoir épousé Myra.
Maria Ouspenskaya, Virginia Field et Vivien Leigh
Roy étant d'une grande et respectable famille écossaise, il a confié Myra, celle-ci n'ayant plus de travail, aux bons soins de sa mère, Lady Margaret Cronin (Lucile Watson) qui descend à Londres pour rencontrer la jeune fille.
Myra patiente dans un salon de thé. En feuilletant le journal, elle découvre le nom de son fiancé dans la colonne des morts au combat. Son univers s'effondre.
La mère de Roy, n'étant manifestement pas au courant, elle fait face du mieux qu'elle peut. Son comportement étrange intrigue la mère de Roy. Elles se quittent, se promettant de se revoir mais Myra sait qu'il n'en sera rien.
Vivien Leigh et Lucile Watson
Myra et Kitty survivent comme elles peuvent. Elles font ce qu'elles ont à faire pour manger et payer leur loyer. S’ensuit une longue descente aux enfers qui conduit Myra sur le chemin de la prostitution, choix qu’elle n’assumera pas lorsqu’il s’agira de retrouver une place auprès de la belle-famille.
Virginia Field et Vivien Leigh
Mais un jour, le hasard remet Myra et Roy en présence. Alors qu’elle se rend à la gare à la recherche de client potentiels, elle aperçoit celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer… L'annonce de sa mort était une erreur. Roy est fou de joie et compte bien reprendre la relation là où elle s'est arrêtée. Myra veut y croire mais réalise au contact des amis et de la famille de Roy qu'elle sera un poids pour lui.
Elle disparaît, il la cherche partout à Londres jusqu'au Waterloo bridge...
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Inutile de revenir longuement sur les différences qui opposent le film de James Whale à celui de Mervyn LeRoy, elles sont bien trop nombreuses. Le système narratif, un immense flash-back, ainsi que le comportement des deux protagonistes principaux, et surtout le personnage de Vivien Leigh qui ne ressemble qu’en partie à celui de Mae Clarke, l’atmosphère générale, le ton de l’intrigue, sans oublier la progression du récit et bien entendu l’issue fatale qui, dans ces parages, ne semble cette fois-ci pas régie par une autorité supérieure mais bien admise par les personnages eux-mêmes.
Vivien Leigh et Robert Taylor
Mervyn LeRoy signe en fin de compte un film qui n’a sur le plan du style rien à voir avec le film de James Whale, un film MGM dans la grande tradition de la firme, superbement réalisé avec cette fluidité habituelle de la caméra.
Doté de costumes détaillés, signés par Adrian et Gile Steele, de décors soignés réalisés par Edwin B. Willis et de la belle musique de Herbert Stothart.
Il est également indispensable de souligner la douce et enveloppante photographie Joseph Ruttenberg. Il convient d’admirer avec quel sens de la perfection la photographie souligne le magnifique visage de Vivien Leigh, qu’il s’agisse de l’illuminer ou de le cacher dans la pénombre, et avec quelle précision les sources lumineuses semblent habiter le regard des deux stars. D’infimes touches de lumière apparaissent sur les iris, nimbant leur délicatesse dans un scintillement permanent.
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Waterloo Bridge, un film cher et audacieux à la fois, maitrisé par un réalisateur qui dynamise les atouts de la firme grâce à sa science du rythme et à sa faculté à emballer certaines séquences romantiques avec une apesanteur totale.
L’exemple flagrant de ce don s’apprécie dans cet instant sublime où notre couple vedette danse doucement au son de Ce n’est qu’un au-revoir, alors que les musiciens arrêtent petit à petit de jouer de leur instrument et qu’ils éteignent les dernières chandelles. Cette pénombre, cette musique, ce climat grave et léger à la fois, sont soulignés par des plans mobiles et harmonieux qui suivent le couple pas à pas, puis montrent régulièrement les musiciens éteindre les bougies pour ensuite revenir sur le couple dans un fondu-enchainé d’une grande force poétique. La scène donne une très belle impression de circularité et un doux vertige amoureux lucide et entrainant. La réalisation semble presque se faire au gré des musiciens, se faire complice d’une autre mise en scène, celle du restaurant où se déroule cette dernière danse qui, chaque soir, invite les couples à quitter les lieux pour reprendre contact avec la réalité extérieure.
Une fois cette séquence passée, le spectateur sait pertinemment qu’il est emporté par l’un de ces moments de grâce dont la très fragile alchimie ne sera probablement jamais rompue jusque dans les dernières secondes du film.
Difficile après cela de penser encore à la version de James Whale qui, sans qu’elle soit forcément inférieure mais juste très différente, embrassait un ton plus dur, plus brutal, plus trivial. Ici, jamais le sordide n’est pourtant écarté de la narration, il est même peut-être encore plus présent dans ce que le récit traite de la descente aux enfers du personnage féminin. Là où le personnage de la version de 1931 surgissait déjà dans la rue, prostituée et prématurément fatiguée par la vie, le personnage incarné par Vivien Leigh va physiquement et moralement affronter sa chute inévitable sous les yeux du spectateur. Cette perspective change considérablement la donne du scénario et articule dès lors les enjeux autour d’un fil conducteur bien différent, moins politiquement incorrect.
En prenant le temps d’expliquer la chute sociale du personnage, le film évite les foudres d’un Code Hays à l’époque fortement appliqué à Hollywood, mais aussi plus perturbant d’un point de vue dramatique pour le spectateur.
Vivien Leigh et Robert Taylor
Le film de Mervin LeRoy insiste moins sur la destinée que sur un tragique de situation implicitement causé par les personnages eux-mêmes : leur devenir, leurs réactions parfois tardives comme le retour inespéré de Robert Taylor alors que tout le monde le croyait mort, ou bien l’accueil glacial et torturé de Vivien Leigh durant sa première rencontre avec la mère de Taylor. Alors que l’univers de son futur époux semble prêt à lui offrir un avenir meilleur et la prendre dans ses bras pour toujours, elle refuse de s’y laisser porter, honteuse de ses actes. Elle s’est prostituée pour survivre, et ne peut supporter de lui cacher la vérité comme de la lui raconter. Un nœud tragique donc, impossible à démêler, et qui ne cesse de se resserrer sur son héroïne de plus en plus implacablement trahie par sa conscience. L'héroïne choisit ici le suicide comme seule échappatoire à une vie qu’elle ne supporterait ni dans un cas ni dans l’autre. Il suffit d’observer sa rencontre avec la dame plus âgée vers la fin du film, sur le pont de Waterloo, pour s’en convaincre. Cette dame plus expérimentée, ce n’est autre qu’une version plus âgée d’elle-même et donc son avenir potentiel. Le regard perdu de Vivien Leigh sur cette silhouette qui s’éloigne en dit alors long sur le désespoir qui l’anime, et c’est dans un mouvement halluciné qu’elle finira par se jeter sous les roues d’une ambulance, ultime ironie d’une existence vouée à la souffrance.
Le personnage de Vivien Leigh est une femme adorable, cernée par les événements, consciente de ses choix obligés et folle d’espérance, excepté dans les dernières minutes du film.
Robert Taylor est quant à lui un militaire d’expérience, issu d’une très riche et noble famille, ainsi que d’un univers dans lequel l’honneur et le respect semblent dominer sa vie toute entière, à l’image de cet écusson militaire appartenant à une confrérie dont il est l’un des membres.
D’une destinée percutée par le malheur, il en est donc question dans le film de Mervin LeRoy, mais les personnages semblent davantage maîtres de leurs choix, puisque l’héroïne décide de renoncer même à la vie. Le pont lui-même devient une figure métaphorique bien plus présente que dans le film de James Whale. Un témoin du temps qui passe, au-dessous duquel s’écoule ce dernier. Les personnages s’y croisent, y croisent leur passé tel Robert Taylor se remémorant son histoire d’amour, leur avenir avec Vivien Leigh se retournant sur le passage de son "moi futur" avant que le brouillard ne la fasse disparaitre et qu'ils prennent conscience du temps qui les traverse. Chérir cet homme revient à chérir tout ce qu’il représente, et donc forcément salir son univers d’un voile impropre, chose insupportable pour cette femme dont l’honnêteté va bien au-delà du respect pour sa propre personne.
Rarement un film aura su aussi bien capter le croisement des temporalités, un film où il n’est finalement jamais question du présent, ce minuscule et insaisissable espace situé entre le passé et l’avenir, mais toujours du passé, définitif, regretté, par opposition à un avenir incertain mais où tout est possible.
L’âme de ces deux acteurs semble constamment pleurer sur l’épaule du destin, lequel demeure pourtant indifférent à leur cause. La Valse dans l’ombre fait partie de ces nombreux films de l’âge d’or des studios qui contiennent en eux toute la magie de la constante fusion du matériau hollywoodien, là où tous les niveaux de la production d’un film se rejoignent pour se mêler les uns aux autres. Et force est d’avouer qu’en maître d’œuvre de premier ordre, Mervyn LeRoy concentre de bien beaux efforts autour de son film, parvenant à ajouter un nouveau chef-d’œuvre dans sa filmographie.
Sources :
http://www.critikat.com - Clément Graminiès
http://www.dvdclassik.com - Julien Léonard
http://loisirs.lemessager.fr
http://www.allocine.fr
http://fr.wikipedia.org