Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Réalisé par Douglas Sirk
Avec John Gavin, Liselotte Pulver, Jock Mahoney, Don DeFore
Dieter Borsche, Keenan Wynn, Erich Maria Remarque,
Barbara Rutting, Dorothea Wieck, Wolf Harnisch, Bengt Lindström
Genre Drame, Guerre
Titre original A Time to Love and a Time to Die
Production Américaine
Date de sortie 16 janvier 1959
“Peu importe, Godard, Fuller, moi ou un autre, aucun de nous ne peut arriver à la cheville de Douglas Sirk.
J’ai vu six films de Douglas Sirk.
Parmi eux, il y avait les beaux du monde”
- R. W. Fassbinder, Les films libèrent la tête, L’Arche en 1984.
Le Temps d'aimer et le temps de mourir est souvent considéré par de nombreux cinéphiles comme l'acmé de la période mélodramatique de Douglas Sirk.
Le film est adapté de l'oeuvre de l'un des plus grands écrivains post-guerre 14-18 : l'allemand Erich Maria Remarque.
Erich Maria Remarque écrivit Un temps pour vivre, un temps pour mourir en 1954, également paru en France sous le titre L'Île d'espérance. Pour la petite histoire, le romancier devint très ami avec Douglas Sirk, si bien que sur la fin de sa vie, il emménagea en Suisse, dans une maison non loin de la sienne.
Presque toutes les oeuvres de Erich Maria Remarque ont été portées à l'écran. Le Temps d'aimer et le temps de mourir est ainsi la huitième adaptation. La première, sans doute la plus célèbre, remonte à 1930, avec A l'Ouest, rien de nouveau réalisé par Lewis Milestone. Signalons également en 1937 l'adaptation de Après par James Whale; celle de Trois camarades en 1938 par Frank Borzage; ou encore, plus étonnant, le Bobby Deerfield de Sydney Pollack: il s'agit en effet d'une adaptation de l'oeuvre Le ciel n'a pas de préférés, publiée en 1961. Erich Maria Remarque participa même à l'écriture du scénario.
Au moment d'une diffusion télévisée, Patrick Brion écrivait dans Télérama :
"Ce film marque la rencontre bouleversante de Douglas Sirk et d'Erich Maria Remarque, l'auteur de À l'Ouest, rien de nouveau. Une osmose exceptionnelle s'est créée entre Sirk, le romantique, et Remarque, le pacifiste. Le Temps d'aimer et le Temps de mourir constitue l'une des œuvres les plus déchirantes et les plus intenses, sur la folie et l'absurdité de la guerre."
"Ce qui m'a intéressé - devait déclarer Douglas Sirk - c'est ce décor de ruines et ces deux amants. Cette histoire d'amour est inhabituelle. C'est un film qui est très proche de mes idées, particulièrement par sa description de la brièveté du bonheur".
Dans le décor apocalyptique d'une Allemagne qui s'effondre moralement, militairement et physiquement, deux êtres unis par un amour subit vont vivre quelques instants de bonheur.
La force de ce film est de ne pas défendre une thèse. Douglas Sirk nous épargne les habituelles théories antimilitaristes. Pourtant, nous sommes extraordinairement concernés par cette guerre, machine folle qui broie tout. Remarquablement joué et dirigé, avec la tendresse d'un grand auteur, Le Temps de vivre et le Temps de mourir est une œuvre belle et douloureuse, à ne pas manquer.
Dans le numéro d'avril 1959 des Cahiers du Cinéma, Jean-Luc Godard écrivit une lettre enflammée à Douglas Sirk, expliquant que son adaptation de l'oeuvre Erich Maria Remarque était son film préféré dans sa filmographie.
Synopsis
Revenant du front russe en 1944 pour trois semaines de permission, Ernst Graeber (John Gavin) trouve sa ville en ruines et sa maison enfouie sous les décombres. Alors qu'il est à la recherche de ses parents disparus, il rencontre Elizabeth Kruse (Liselotte Pulver), fille du médecin de la famille. Ce dernier a été envoyé dans un camp de concentration. Ernst et Elizabeth sont immédiatement attirés l'un par l'autre.
Durant ces trois semaines, ils vont connaître un bonheur précaire au milieu des bombardements, dans un monde qui agonise. Ils se marient et trouvent un havre provisoire de paix.
Les circonstances extrêmes provoquent ce sentiment de tendresse douloureuse partagée par les amants dans leurs rares moments de bonheur. Seules les choses condamnées peuvent être si douloureusement tendre.
Ernst va de désillusion en désillusion et découvre les "réalités" du régime nazi au cours de diverses rencontres. Il apprend que ses parents se sont réfugiés à la campagne. Mais le père d'Elizabeth est mort et ses cendres sont remises à sa fille.
Le rêve s'achève : Ernst doit regagner le front russe. Il rejoint son régiment en retraite. Lorsqu'il reçoit l'ordre d'abattre de sang-froid des partisans russes, il refuse et tue le nazi fanatique qui le menaçait. Il libère les prisonniers et s'éloigne, lisant la lettre d'Elizabeth qu'il vient de recevoir.
Il est abattu par un partisan. Ernst s'écroule, la lettre flotte sur l'eau d'une mare.
L'arbre précocement en fleur de par sa proximité avec l'incendie. La mort de Ernst un jour de printemps font partie des images les plus ironiques de Douglas Sirk. Non pas qu'elles introduisent une distance mais plutot qu'elle donnent cette impression que jamais rien n'est certain ni du malheur, ni du bonheur. L'impression de menace provient aussi de ce que Douglas Sirk reconnaît avoir appris de Dreyer : faire durer les plans et utiliser un montage "hésitant" multipliant les angles et les mouvements d'appareils.
Douglas Sirk tourna son film en Allemagne, en un temps où de nombreux cinéastes exilés aux États-Unis revenaient en Europe. Mais pour Douglas Sirk, l'une de ses motivations était familiale : le cinéaste était hanté par le sort tragique de son fils, né d'un premier mariage. Sa première femme était une militante nazie et avait embrigadé son fils en partie par vengeance envers Douglas Sirk dont la seconde femme était d'origine juive. Le fils de Douglas Sirk a probablement été tué sur le front russe au printemps 1944.
John Gavin et Erich Maria Remarque
Ainsi, le film semble hanté par ce que Douglas Sirk imagine être les dernières semaines de son fils.
Le titre d'un film est comme le prologue d'un drame disait Douglas Sirk qui a beaucoup insisté pour le changement de "vivre" en "aimer". Le temps de vivre et le temps de mourir, titre du roman de Erich Maria Remarque.
Il ainsi souhaité que l’enjeu du film s'inscrive dans une thématique qui lui est chère, celle de l’amour impossible soumis aux vicissitudes d’un milieu qui n’a que faire des individus.
Les soldats allemands, pour une fois "héros" du film, sont soigneusement caractérisés, et le réalisateur scrute la peur et la difficulté de faire son devoir avec une acuité glaçante. Le Front, univers froid, dominé par les blancs gris et verts, n’a pas d’horizon, chaque arrière plan est saturé de bâtiments dévastés aux angles acérés, dessinant l’état d’esprit torturé des soldats. Le même traitement est fait à Berlin, ville en ruine dévastée par les bombardements, et on reste estomaqué par l’impressionnante reconstitution de la ville.
Entremêlant le parcours impossible des amants, leur difficulté à exister ensemble, et la destruction imminente de leurs pays, le réalisateur exprime mieux que jamais cette peur du lendemain dans un récit précipité par la conscience aiguë de l’après guerre, qui sera aussi douloureux que le présent. La maitrise de l’espace, le génie de certains panoramiques et la flamboyance du cinémascope nous rappellent que c’est bien un film hollywoodien, mais habité d’un supplément d’âme, une capacité à faire art de la folie des sentiments et de la démesure, une œuvre d’une beauté folle. Si Douglas Sirk, exilé au moment de la guerre, n’a pas effectivement vécu le conflit en Allemagne, c’est de son pays qu’il peint les traits brouillés, ce pays "qui doit perdre la guerre pour retrouver son âme", et on perçoit de bout en bout ce lien intime entre le réalisateur et son sujet.
Rien n’est anodin dans cette œuvre magistrale et plus personnelle qu’il n’y parait, jusqu’à la maison où se réfugie le couple avant de se séparer, qui a des allures de maisons de poupée expressionniste, un cocon plein d’angles et de recoins peuplés d’ombres étranges mais protectrices, où le couple, las, choisit de s’aimer une dernière fois.
Douglas Sirk pense qu'il a été trop explicite. Il aurait aimé supprimer la scène du bûcher sur le piano. Dans la critique sociale il ne faut pas être trop explicite et dans un film sur le nazisme, il faut peut-être l'être encore moins.
Douglas Sirk n'a laissé le titre original qu'à l'Allemagne patrie de Erich Maria Remarque.
Pour Douglas Sirk, la dénonciation du nazisme devait laisser le pas à l'histoire d'amour. Dans ses entretiens avec Jon Hallyday, Douglas Sirk se déclarera ravi que Godard ait fait du changement de titre la base de son article dans les cahiers du cinéma.
Douglas Sirk comme Erich Maria Remarque ont été très déçus que le film ait été pris comme politique. Il a été refusé par l'Union Soviétique car ce sont des partisans qui abattent le bon allemand.
De même, Israël refusa de diffuser le film sur son territoire.
Malade, Douglas Sirk n'a pas pu terminer le montage de son film. C'est donc Robert Arthur producteur du film, qui s'en est chargé, selon l'architecture et les consignes du cinéaste.
De nombreux acteurs et actrices allemands jouent dans le film, Dieter Borsche, Barbara Rutting, Dorothea Wieck, Wolf Harnisch, Bengt Lindström...
Mais le cinéaste souhaitait que ces derniers ne soient pas ou peu doublés : la majorité d'entre eux parlent donc anglais dans le film.
Sources :
http://www.cineclubdecaen.com
http://www.allocine.fr
http://www.imdb.com
http://www.dvdbeaver.com
http://www.moviemail-online.co.uk
http://www.iletaitunefoislecinema.com
http://ilestcinqheures.wordpress.com