Date de sortie 22 janvier 2014
Réalisé par Solveig Anspach
Avec Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac,
Pascal Demolon, Marie Payen, Philippe Rebbot,
Corinne Masiero, Nina Meurisse, Solène Rigot, Thomas Blanchard
Genre Comédie dramatique
Production Française
La réalisatrice franco-islandaise Solveig Anspach est décédée dans la nuit de vendredi à samedi 8 août 2015 à l’âge de 54 ans des suites d’un cancer dans sa maison dans la Drôme.
À Laurent Carpentier qui l’avait rencontrée pour Le Monde début 2014 et lui avait demandé la raison de cette frénésie de projets, elle avait répondu :
"Ce qui me presse tant ? C’est que je sais comme tout le monde que la vie peut s’arrêter demain. Simplement, moi, j’y pense peut-être plus souvent que d’autres… ".
Sources : Thomas Sotinel pour www.lemonde.fr
Lulu femme nue est l'adaptation de la bande-dessinée du même nom d'Etienne Davodeau publiée en 2008 aux éditions Futuropolis et qui a remporté de nombreux prix dans son domaine, dont le Prix Essentiel au Festival de la BD d'Angoulême en 2009. Le deuxième tome de la BD est sorti en 2010 et la sortie du film est l'occasion d'une ressortie intégrale des deux volumes le 9 janvier 2014. L'auteur n'avait jamais vu l'une de ses oeuvres passer sur grand écran avant Lulu femme nue.
Karin Viard
Synopsis
Après un entretien d'embauche qui tourne mal Lulu (Karin Viard), devait prendre le train pour rentrer chez elle, pour rejoindre son mari et ses enfants. Elle le rate.
C’est presque un acte manqué. Rien n’a été prémédité, elle va juste prendre du temps pour elle, se laisser porter au gré de ses rencontres. Ça se passe très simplement. Elle s’octroie quelques jours de liberté, seule, sur la côte, sans autre projet que d’en profiter pleinement et sans culpabilité.
En chemin, elle va croiser des gens qui, eux aussi, sont au bord du monde.
Karin Viard et Bouli Lanners
Charles (Bouli Lanners), un drôle d'oiseau couvé par ses frères loufoques Richard (Pascal Demolon) et Jean-marie (Philippe Rebbot).
Marthe (Claude Gensac) une vieille qui s’ennuie à mourir.
Et aussi Virginie, (Nina Meurisse) jeune serveuse harcelée par une épouvantable patronne de bar (Corinne Masiero) ...
Trois rencontres décisives qui vont aider Lulu à retrouver une ancienne connaissance qu’elle a perdu de vue : elle-même.
Claude Gensac et Karin Viard
Ayant passé une grande période dans le documentaire, la réalisatrice Solveig Anspach a tendance à laisser ses comédiens se débrouiller tout seuls sans aucune direction sur leur jeu. Elle explique : "Je ne crois pas trop à la direction d’acteur. Cela tient sans doute à mes dix années de documentaires. À l’école du documentaire, on apprend à regarder, à écouter, à essayer de comprendre les gens. J’opère de la même manière avec les comédiens en essayant d’instaurer un climat de confiance sur le plateau. Ils peuvent s’abandonner, ils savent qu’ils ne seront pas jugés. Ce que je recherche, c’est la sincérité. Lorsque Karin a lu le scénario final, elle m’a dit qu’elle ne pourrait pas forcément pleurer là où c’était écrit. Je me souviens qu’elle m’avait fait la même remarque sur le scénario de Haut les cœurs ! Du coup, nous nous sommes mises d’accord sur le fait qu’elle ne pleurerait que lorsqu’elle le sentirait; non plus en fonction du scénario, mais en fonction de la sincérité du moment. et c’est ce qui s’est produit sur le tournage, pour les deux séquences où Lulu "craque", celle de l’entretien d’embauche, et celle du garage avec Marthe. J’ai aussi eu la chance d’avoir une bande d’acteurs formidables : Corinne Masiero, véritable amour dans la vie; Pascal Demolon et Philippe Rebbot; Marie Payen, avec laquelle j’avais envie de travailler depuis longtemps- qui joue la sœur de Lulu; Solène Rigot sa fille, et puis Nina Meurice, ou encore Thomas Blanchard le réceptionniste de l’hôtel... et bien sûr Claude Gensac, que je trouve parfaite dans le rôle de Marthe.Je ne crois pas trop à la direction d’acteur. (...) J’opère de la même manière avec les comédiens en essayant d’instaurer un climat de confiance sur le plateau. Ils peuvent s’abandonner, ils savent qu’ils ne seront pas jugés. Ce que je recherche, c’est la sincérité."
La réalisatrice ne connaissait pas cette bande dessinée. Elle l’ai lue sur les conseils de Caroline Roussel, la productrice du film et ai tout de suite été touchée par Lulu, cette femme effacée, devenue presque transparente pour ceux qui l’entourent, son mari et ses enfants, et qui peu à peu retrouve ses couleurs au cours d’un road movie initiatique. "Cette femme, à l’image de tant d’autres, s’est perdue en chemin. elle a oublié qui elle était vraiment. Je suis très différente de Lulu mais je la comprends et elle me touche. Il ne me restait plus qu’à convaincre Étienne Davodeau de me confier l’histoire de Lulu" confie la réalisatrice.
Karin Viard
Le cinéma de Solveig Anspach fait la part belle aux personnages atypiques, sur le bord de la route. Elle répond : "J’ai toujours eu pour eux une affection particulière. et cela ne date pas d’aujourd’hui. Je leur ai consacré des documentaires. J’ai par exemple réalisé des portraits de femmes en prison. Braqueuses ou pickpockets, elles avaient du mal à rentrer dans le moule. Lulu, à l’inverse, s’est trop mise dans le moule; elle s’est cadenassée de l’intérieur. elle va devoir faire sauter les verrous."
Le chemin que Lulu décide d’emprunter pour ne plus subir sa vie mais la vivre pleinement prend la forme d’une initiation - certes tardive, mais essentielle. Lulu absente à elle-même, regarde en arrière et s’aperçoit qu’elle s’est perdue en route. Cette route, elle doit la reprendre, et dans ce road movie qui l’a conduite à moins de 50 km de chez elle, elle retrouve par bribes son désir égaré, sa personnalité propre, une audace qu’elle ne se connaissait pas.
"C’est ce parcours que j’ai souhaité capter au mieux, ce retour à la vie : la capacité à rencontrer les autres, à éprouver à nouveau des sentiments, à tomber amoureuse, à suivre ses élans. C’est face aux autres qu’elle prend son autonomie et trouve enfin sa place, celle qu’on ne pourra plus lui prendre : la sienne. Être, ce que chacun redoute et désire le plus, à la fois acteur et metteur en scène de sa propre vie." rajoute Solveig Anspach.
Entre Charles et Lulu il y a des scènes magiques pleines de pudeur, d’émotion et de sensualité. on découvre, grâce à Solveig Anspach, un Bouli lanners sous un tout autre visage. La réalisatrice reconnait : "J’aime tout chez Bouli : l’acteur, le réalisateur et l’homme. J’ai eu envie d’en faire quelqu’un de séduisant, un homme dont on tombe amoureuse. et qu’on ait envie de passer un hiver sous la couette avec lui ! Des hommes comme ça, il en existe mais on ne les regarde pas forcément. On est dans une société où il faut être beau, jeune, sportif. Pourtant il n’y a pas d’âge pour être amoureux, pour être heureux. Lulu femme nue raconte aussi cela. Pour moi, c’est un film sur le bonheur."
Karin Viard et Solveig Anspach ne se sont jamais perdues de vue. Il leur fallait un projet fort, surtout après Haut les cœurs ! La réalisatrice confie "On ne voulait pas se décevoir l’une l’autre. Lulu, femme fragile, effacée, timide qui va se reconstruire est un rôle à contre-emploi pour elle. Karin m’étonnera toujours. une fois encore, elle a réussi à me bluffer. Dans la vie, elle est tout le contraire de Lulu ! C’est une véritable locomotive dotée d’une incroyable énergie et d’une intelligence rare. J’aime cette femme. elle est d’une extrême justesse dans ce nouveau registre."
Concernant son rôle Karin Viard déclare : "Lulu s’est ensevelie dans un schéma qu’elle avait elle-même mis en place. Elle n’a aucune confiance en elle. Et un jour, mue par une force qu’elle n’imaginait pas, elle décide de prendre une journée pour elle. Cette journée se transforme en deux, puis trois, puis quatre jours... et à un moment donné, elle s’aperçoit qu’elle n’est pas encore prête à rentrer chez elle. Elle a peu de chose à offrir à ceux qu’elle va découvrir en chemin. Mais elle les regarde avec tant de curiosité, de générosité, d’amour, d’absence de jugement surtout, qu’elle va s’illuminer à leur contact. Avec Lulu femme nue, on échappe aussi à une vision unilatérale que je trouve terrifiante et angoissante. Cette vision qui vous fait penser que si on a de l’argent, du succès, on a forcément raison. et que, si on n’appartient pas à cette catégorie, si on fait partie des petites gens, on a l’impression d’avoir tort ou de ne pas avoir voix au chapitre. Sólveig montre des êtres qui ont une intériorité, une humanité sans aucun misérabilisme. Des gens qui militent pour une certaine façon de voir la vie. J’apprécie cela énormément."
Au sujet de la réalisatrice Karin Viard confie : "Je l’aime elle ! et ses films lui ressemblent. Ils sont constitués d’un mélange inhabituel de filles intelligentes mais pas intellectuelles, gentilles mais pas mièvres. Sólveig a frôlé la mort. elle connait le poids de la vie, le prix des choses. Cela donne une personnalité très profonde. Sólveig est une bonne personne. Ce qui nous lie c’est une affection sincère."
Et de rajouter sur Bouli Lanners : "Avec Charles, Lulu découvre une relation inhabituelle faite de douceur, de complicité, de découverte l’un de l’autre où on s’avoue ses failles, ses faiblesses. J’avais déjà croisé Bouli sur Rien à déclarer de Dany Boon et j’ai été heureuse de le retrouver. Pudique, Bouli ne joue jamais sur son physique ou sur la séduction. C’était donc intéressant de lui confier un rôle dans lequel il devait user de son charme. et il l’a interprété en amenant ses fragilités et une forme d’innocence. Bouli ne croit pas pouvoir être séduisant... Du coup, il l’est infiniment."
Karin Viard et Bouli Lanners
La fraternité est l’élément fondateur de Solveig Anspach. "C’est capital, sans ça, à quoi bon ?" avoue la réalisatrice. Elle s’entoure depuis des années d’une fidèle tribu. en premier lieu, Jean-Luc Gaget, son co-scénariste. Isabelle Ravazet, la chef opératrice, Éric Boisteau l’ingénieur du son, le compositeur de musique Martin Wheeler, Anne Riegel, monteuse qu'elle a connue à l’époque de la Fémis, et Marie Le Garrec, complice et costumière. "Ils me suivraient jusqu’au bout du monde et, ce qui ne gâche rien, ils sont talentueux. Se connaître si bien, c’est une force et un gain de temps. On n’a pas besoin de ménager les egos des uns et des autres." rajoute Solveig Anspach.
Mon opinion
Les femmes prennent le large.
Après Catherine Deneuve dans le beau film d'Emmanuelle Bercot, Elle s'en va, c'est au tour de Karin Viard de larguer les amarres devant la caméra de la trop rare Sólveig Anspach.
Le début du film nous plonge de plein fouet dans la morne actualité d'une femme mal aimée et débordée par ses obligations familiales. On la voit fatiguée et dépitée, face à un odieux recruteur, au cours d'un entretien d'embauche qui s'avèrera être un échec de plus.
Le dernier à supporter, et le coup de pied nécessaire pour tenter l'aventure.
Tout en étant d'une simplicité extrême, l'écriture du scénario est solide et sert avec subtilité et finesse le propos du film. La réalisatrice et son complice Jean-Luc Gaget, associés dans cette écriture, font preuve d'une certaine poésie, et démontrent avec brio les surprises que peut offrir la vie au moment même où l'on pense que tout est fini. La dernière balle à saisir, la dernière porte à pousser pour recouvrer une liberté dont on s'est volontairement privé. Les ellipses bien maitrisées évitent habilement des longueurs.
Après le très beau rôle d'Emma dans Haut les cœurs, avec à la clé, un César de la Meilleure actrice, Karin Viard, est, une nouvelle fois devant la caméra de Sólveig Anspach. Elle est absolument formidable. Quand son image se reflète dans le miroir d'un hôtel bon marché, il y a de la magie pure dans ce seul instant.
On sent l'actrice totalement libre pour s'exprimer, imprégnée par cette Lulu à laquelle elle donne une intensité, une lumière aussi, qui touche au plus profond. Le jeu de Karin Viard est à la fois touchant de sincérité, simple et magnifique dans des élans de générosité.
À croire que Claude Gensac, déjà présente dans le film d'Emmanuelle Bercot, devient la partenaire incontournable de ces femmes qui décident de tenter l'aventure. "J'en ai marre d'être vieille" … "Je ne veux pas mourir toute seule" … dit-elle dans le film. Douceur et splendeur d'une comédienne qui s'est accordée le luxe de vivre avec le temps qui passe sans en effacer les marques
Quant à Bouli Lanners, à la fois, émouvant, drôle, sensible et bourru, il est tout simplement épatant. Le couple, formé dans le film, avec Karin Viard, devrait marquer les esprits.
L'ensemble du casting est un sans faute. Corinne Masiero en tête, dans le rôle ingrat d'une garce épouvantable devant laquelle Nina Meurisse baisse les yeux. Pascal Demolon et Philippe Rebbot apportent une fantaisie joyeusement débridée.
Un film de femme sur l'histoire d'une femme.
J'aime cette approche à la fois tendre et réaliste. Poétique sans être mièvre.
Sources :
http://www.unifrance.org
http://www.allocine.fr