Date de sortie 8 octobre 2014
Réalisé par Xavier Dolan
Avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément,
Patrick Huard, Isabelle Nelisse, Alexandre Goyette, Viviane Pacal
Genre Drame
Production Canadienne
Note d'introduction.
Depuis mon premier film, j’ai beaucoup parlé d’amour. J’ai parlé d’adolescence, de séquestration et de transsexualisme. De Jackson Pollock, des années 90, d’ostracisme et d’homophobie. J’ai aussi parlé de pensionnats et du mot “spécial”, du train des vaches, de cristallisation de l’amour telle que conçue par Stendhal et du syndrome de Stockholm. J’ai parlé jouâl et j’ai parlé mal, j’ai sacré comme un charretier, parlé l’Anglais parfois, et parlé à travers mon chapeau plus souvent qu’à mon tour, je suppose. Bref, quand on “parle” de quelque chose, il y a forcément ce risque pratiquement inéluctable de dire n’importe quoi. C’est bien pourquoi j’ai toujours choisi des sujets près de moi, plus ou moins ; des sujets qu’on maîtrise de manière relative parce qu’on connaît sa propre différence et sa banlieue, parce qu’on sait toute l’étendue de la peur de l’autre, les mensonges où l’on se conditionne à vivre caché, ou l’amour stérile que l’on prodigue avec sottise à des voleurs de temps. Ce sont des choses que j’ai connues d’assez près pour m’atteler à les raconter. Mais s’il est un sujet que je connaisse sous toutes ses coutures, qui m’inspire inconditionnellement, et que j’aime par-dessus tout, c’est bien ma mère. Quand je dis ma mère, je pense que je veux dire LA mère en général, sa figure, son rôle. Car c’est à elle que je reviens toujours. C’est elle que je veux voir gagner la bataille, elle à qui je veux écrire des problèmes pour qu’elle ait toute la gloire de les régler, elle à travers qui je me pose des questions, elle qui criera quand nous nous taisons, qui aura raison quand nous avons tort, c’est elle, quoi qu’on fasse, qui aura le dernier mot, dans ma vie. À l’époque de J'ai tué ma mère , j’avais voulu, je pense, punir ma mère. Seulement cinq ans ont passé depuis, mais je crois bien qu’aujourd’hui, à travers Mommy, j’essaie maintenant de la venger. Allez comprendre.
Xavier Dolan, Mai 2014
Sélectionné en compétition pour le 67ème Festival de Cannes, Mommy est le premier film de Xavier Dolan a concourrir dans cette section.
Mommy a remporté le prix du jury (ex aequo avec Adieu au langage de Jean-Luc Godard)
- Césars 2015,
Antoine-Olivier Pilon
Synopsis
"Ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver"
Veuve depuis trois ans, Diane, dite Die, (Anne Dorval), en pleine dégringolade sociale, avait placé son fils Steve (Antoine-Olivier Pilon), victime de trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, dans une institution.
Suite à son renvoi, et refusant de le faire interner, elle décide de le prendre chez elle dans une banlieue de Montréal.
Steve, impulsif et violent met tous ceux qui le côtoient, a fortiori sa mère, en situation de déséquilibre, avec malgré tout un fond attendrissant dans ses désordres et ses fêlures. D’un charisme évident, Steve est un enfant qui, depuis la mort de son père, a connu le marathon des centres spécialisés pour jeunes. Sa réputation n’est plus à faire : c’est un cas “problématique”. Mais son amour excessif pour sa mère, son désir d’être l’homme de la maison, son coeur dans la main en font un antihéros aussi troublant qu’atypique. Nostalgique de la vie d’avant avec son père, il s’accroche à l’idée, au projet d’une existence viable avec Die. Mais sa propre condition, dont il se sent tour à tour coupable, les garde bien d’espérer vivre en paix. Il n’y a rien que Steve ne ferait pas, au final, pour que sa mère soit heureuse. Rien, malheureusement.
Anne Dorval et Antoine-Olivier Pilon
Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l’énigmatique voisine d’en face, Kyla (Suzanne Clément). Enseignante dépressive en congé sabbatique, elle acceptera de jouer pour Steve le rôle de professeure à la maison, malgré un problème, de bégaiement issu de bouleversements récents.
Pour Kyla, le dialogue avec sa fille (Isabelle Nelisse) et son mari (Alexandre Goyette) semble brisé, et la vie de tous les jours reste grise. Quand Steve et Die font leur apparition dans sa vie, elle retrouve une forme d’espoir. Son tempérament froid et timoré s’adoucit, ses tics s’estompent, sa diction se précise.
Suzanne Clément
Ensemble, ils retrouvent une forme d’équilibre et, bientôt, d’espoir.
Mommy marque la troisième collaboration entre Xavier Dolan et le jeune acteur Antoine-Olivier Pilon. Il fait d'abord une apparition dans Laurence Anyways en 2011 et devient surtout deux ans plus tard le College Boy du clip polémique d'Indochine que le cinéaste filme en format 1:1, en noir et blanc et dans lequel l'acteur joue une tête de turc mise à mal par le reste de sa classe dans l'indifférence générale.
À seulement 16 ans, Antoine-Olivier Pilon est l'un des premiers rôles de Mommy.
Le réalisateur a voulu réitérer l'expérience du clip mentionné ci-dessus avec cette image verticale sous forme de quadrilatère à l'instar des pochettes d'albums : "Après avoir tourné le clip d’Indochine ainsi, j’ai constaté toute l’humanité et l’efficacité de ce ratio sur le plan de la communicabilité émotive.
Le quadrilatère qu’il constitue encadre les visages à la perfection, et représente à mes yeux l’idéal en terme de portrait ; aucune distraction ni affectations possibles : le sujet est indéniablement le personnage, au centre de l’image, toujours. Les yeux ne peuvent l’éviter.
C’est par ailleurs le format des jaquettes de CD, de toutes ces pochettes d’album qui ont marqué notre imaginaire. Le Die & Steve Mix 4ever étant un leitmotiv visuel récurrent dans Mommy, l’usage du 1:1 trouvait ici un écho supplémentaire à mes yeux.
Il s’agit aussi de l’aspect-ratio fétiche de mon directeur photo André Turpin, qui à son dire avait toute sa vie rêvé de tourner en 1:1 sans jamais oser le faire (étant aussi réalisateur, notamment du très bon Zigrail, road-trip moyen-oriental en noir et blanc sur fond de John Zorn brutal!). Après maintenant un an à m’avoir cassé les couilles parce qu’il regrettait d’avoir tourné en 1:1 à chaque plan du film, je peux vous confirmer deux choses : André Turpin aime le cinémascope et moi, je ne regrette rien."
Au casting de Mommy, on retrouve notamment les actrices québécoises Anne Dorval et Suzanne Clément, devenues les véritables muses du réalisateur. Les deux comédiennes débutent chez Xavier Dolan en 2009 dans J’ai tué ma mère et tandis que la première collabore à son deuxième long-métrage, Les Amours imaginaires, la seconde à la chevelure flamboyante ne retrouve le réalisateur que trois ans plus tard dans Laurence Anyways,, film fleuve pour lequel elle remporte le Prix d’interprétation féminine dans la catégorie Un Certain Regard du Festival de Cannes 2012.
Pour son sixième long-métrage, Xavier Dolan confie avoir voulu retourner à la simplicité des sentiments ressentis par ses personnages et amener ses acteurs dans une toute autre voix que lors de ses précédents films : "Comme toujours, je voulais que toute la place soit laissée aux acteurs. J’ai envers cette discipline une fascination sans bornes, et comprendre le jeu, l’explorer depuis tous les angles, sous toutes ses coutures et structures, le préciser, l’étudier, c’est pour moi un but ultime. Je crois que sans le jeu, tout s’effondre. Cette fois-ci, j’espérais diriger l’ensemble de la distribution vers une direction moins “latine”, moins exacerbée que dans Laurence Anyways, moins cérébrale que dans Les Amours imaginaires. Les personnages de Mommy ne jouent pas à un jeu, et ne savent pas comment exprimer leurs sentiments de manière aussi précise et décomplexée que dans mes films précédents. Ils ne sont pas théâtraux, ni ne se donnent en spectacle. Mais ils sont des êtres hauts en couleurs qui s’expriment de manière cohérente avec leur milieu et leur histoire. En travaillant avec Anne Dorval et Suzanne Clément, mon intention était d’aller ailleurs et non de marcher dans nos propres traces. C’était un des défis les plus excitants de ce film ; qu’on ne les reconnaisse pas. Quant à Antoine, il est évidemment la surprise, la révélation. N’importe quel cinéaste peut s’enorgueillir de ce qu’il révèle un talent, ou le confirme. C’est un but pour moi ; travailler avec des grands artistes, et, avec eux, créer de grandes performances, de grands moments d’émotions. On perd au cinéma la notion de personnages.
On leur refuse leur surnom, leur style, leur jargon, leur passé, leurs tics, leurs plaisirs coupables, leur héroïsme, leurs manies. On case les acteurs dans des archétypes et des organigrammes scénaristiques, des systèmes rentables. Mais les humains intéressants existent dans la réalité et les acteurs avec qui j’aime travailler mettent à contribution du film la réalité qu’ils observent et connaissent depuis toujours. Pour moi, c’est le propre des grands acteurs ; créer des personnages et non des performances."
Ci-desous, interview du réalisateur relevé sur http://www.metronews.fr
Des milliers d’adjectifs ont été utilisés pour vous qualifier. Quels sont ceux qui vous agacent le plus ?
Les adjectifs qu’on utilise pour me décrire ne me font pas chier. En revanche, ce qui m’énerve, c’est quand on me demande d’y réagir. Les questions du genre : "Comment se sent-on quand on est un enfant prodige ?". Qu’est-ce que, moi, je peux répondre à ça ? Les gens aiment avoir une vision extrêmement narcissique de moi, pédante, très tête à claques… La vérité, évidemment, c’est qu’ils ne me connaissent pas. Je suis en réalité quelqu’un d’assez timoré, qui doute beaucoup, comme la presque totalité des personnalités dont on aime à dire qu’elles sont monstrueuses, imbuvables, arrogantes…
Après quatre films, on a l’impression que vous avez trouvé votre ton avec Mommy, et que ce dernier ressemble à ce qui sera désormais votre cinéma…
Tout à fait. C’est exactement ça ! La vie est faite de films dont certains sont des exercices à part comme Tom à la ferme et Les Amours imaginaires. Mes trois longs métrages qui se ressemblent le plus émotionnellement sont les impairs : J’ai tué ma mère, Laurence Anyways et Mommy. Ce sont les plus latins, intenses et expansifs. Ce que j’ai le plus compris au fil des années, c’est l’importance avant tout de raconter une histoire. A chaque plan et à chaque scène de Mommy, on se disait : histoire, histoire, histoire… personnage, personnage, personnage, personnage… et émotion ! La mise en scène n’a jamais été ma priorité.
Vos films explorent constamment les relations mère-fils, comme dans Mommy où un jeune homme violent et hyperactif rend la vie difficile à sa génitrice. Pour vous, c’est quoi une bonne mère ?
(Long silence) C’est la pire question qu’on ne m’ait jamais posé en ce sens où elle est très intelligente… Franchement, je peux peut être écrire des rôles de mères, me projeter dans leurs peaux. J’aime le faire, je l’avoue, ça me fascine, ça m’amuse, ça m’inspire. Mais je ne vais pas répondre à votre question. Je n’en ai aucune idée. C’est ma réponse.
À l’inverse, comment définiriez-vous un bon fils ?
C’est avoir la maturité, très tôt dans sa vie, de comprendre ce que représente l’étendue des sacrifices qu’une mère peut faire pour bien élever son enfant au mieux de ses capacités, de ses moyens, de ses ressources intellectuelles, financières et émotives. Il faut comprendre qu’une femme a deux vies : celle de jeune femme et celle de mère. Il y a entre les deux une petite mort, l’enterrement de projets, d’amours, de désirs, de rêves.
L’amour, quelle qu’en soit la forme, est-il un passeport pour la souffrance ?
Au cinéma, je pense que c’est… (Une poussette tombe au loin. Xavier blêmit. Heureusement, il n’y avait pas de bébé à l’intérieur). J’ai eu peur ! (Il se reprend) J’aime beaucoup aborder des personnages qui se battent pour leur liberté, leurs idéaux… mais souvent, la vie les écrase, les fait perdre. C’est ça la vie. Les gens s’utilisent sans être des salauds pour autant. La voisine de Mommy a une vie lisse, viciée par la mort, et se retrouve attirée par ceux qui habitent en face. Aller vers eux, c’est s’affranchir.
Si les films de Xavier Dolan sont toujours des expériences visuelles à part entière, les plages de musique utilisées par le cinéaste le sont tout autant. Dans Mommy, sa playlist se compose entre autres de Céline Dion, Oasis, Dido, Sarah McLachlan ou encore Andrea Bocelli : "Je pense que la musique fait avec chaque individu un invisible commerce visant à mettre sa propre histoire à contribution du film. Dido, Sarah McLachlan, Andrea Bocelli, Céline Dion ou Oasis ont tous un passé avec chaque cinéphile ; quand jouait Wonderwall, par exemple, en 1995, l’un était en rupture amoureuse, l’autre seul dans une taverne, en voyages de noces en République Dominicaine, ou sur le chemin du retour après les funérailles d’un ami. Ces vies fermées, ces sensibilités peuvent alors éclore, et l’écriture du film se poursuit soudain au-delà de la salle de montage, en collectivité, dans le noir, comme le principe premier du cinéma. Et l’idée que presque chaque chanson jouant dans le film soit en fait issue de cette compilation, et non de ma playlist intime, était nouveau pour moi en termes de procédés. Je me rappelle Pauline Kael parlant du cinéma de Scorsese et disant que, dans ces types de films, les chansons ne jouaient plus SUR le film, mais DANS le film, à la radio, à la télé, dans les cafés. Il y a dans cet usage intra-diégétique une façon d’encrer le spectateur dans la réalité vraie et nue des personnages, en faisant oublier les idées du réalisateur."
Mon opinion
Quel film !
Difficile d'en parler tant l'émotion reste prégnante plusieurs heures après la fin de la séance.
Tout au long de ce dernier long-métrage Xavier Dolan multiplient les innovations et réserve de belles surprises. Tant au niveau du format de l'image, qu'à l'intelligence d'un montage sans faille. La photographie et les couleurs sont d'une infinie beauté et ne manqueront pas de marquer les esprits.
Une bande son parfaite accompagne plusieurs scènes dont certaines resteront inoubliables. Entre autres celle, sur la musique de "Vivo per Lei" d'Andrea Bocelli. Une autre encore avec le "Wonderwall" d'Oasis. Xavier Dolan réussit à émouvoir sur une rengaine de Céline Dion. En ce qui me concerne le pari est fou, mais gagné.
Des dialogues au cordeau pour ce Mommy et tant d'amour qui déchire le cœur, sans négliger des moments d'humour bienvenus.
Ajouter à cette totale réussite, deux actrices au sommet de leur art. Anne Dorval tout simplement prodigieuse. Suzanne Clément remarquable.
Et bien entendu le tout jeune et bluffant Antoine-Olivier Pilon.
Ce film m'a bouleversé. Je reste impressionné par tant de perfections. La virtuosité de la mise en scène et l'audace du tout jeune Xavier Dolan, son "univers d'un monde qu'il voudrait plein d'espoir" le placent dans la cour des plus grands !
Ce film est un choc profond, et restera pour longtemps dans ma mémoire.
Sources :
http://diaphana.fr
http://www.canalplus.fr
http://www.imdb.com
http://www.konbini.com
http://www.telerama.fr