Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Réalisé par Pedro Almodóvar
Avec Victoria Abril, Marisa Paredes, Miguel Bosé,
Anna Lizaran, Mayrata O'Wisiedo, Cristina Marcos,
Féodor Atkine, Bibí Andersen, Pedro Díez del Corral,
Javier Bardem
Genre Comédie dramatique
Coproduction Espagnole, Française
Titre original Tacones lejanos
Date de sortie 15 janvier 1992
Tacones lejanos César du meilleur film étranger en 1991.
Marisa Paredes et Victoria Abril
Synopsis
Après des années passées à l'étranger, la grande chanteuse Becky Del Paramo (Marisa Paredes) retourne à Madrid, sa ville natale. Elle se sait atteinte d'une grave maladie de cœur et souhaite, avant de mourir, y donner un concert d'adieu et se réconcilier avec sa fille Rebeca (Victoria Abril), négligée depuis sa plus tendre enfance.
Féodor Atkine, Victoria Abril et Marisa Paredes
Rebeca est aujourd'hui la présentatrice d'un journal télévisé et l'épouse du directeur de la chaîne, Manuel (Feodor Atkine), qui fut jadis l'amant de Becky. Égoïste et sans scrupules, Manuel a pour maîtresse une autre présentatrice, Isabel (Miriam Diaz Aroca), ce qui ne l'empêche pas de renouer avec Becky tout en manifestant l'intention de divorcer d'avec Rebeca.
Victoria Abril et Miriam Diaz Aroca
Tiraillée entre son amour, sa rancune et sa rivalité envers sa mère, Rebeca se console auprès de Letal (Miguel Bosé), un travesti imitateur de Becky Del Paramo, et finit par céder à ses avances.
Victoria Abril et Miguel Bosé
Peu après, Manuel est assassiné dans sa maison de campagne et le juge Dominguez convoque les trois suspectes : Becky, Isabel et Rebeca.
Le soir même, Rebeca annonce au journal télévisé qu'elle est la meurtrière.
Emprisonnée, elle se lie d'amitié avec Paula (Christina Marcos), une assistante sociale, dont le petit ami, Hugo, un indicateur, s'avère être Letal.
Bibí Andersen
Le juge Dominguez organise une rencontre entre Rebeca et Becky, au cours de laquelle la jeune femme avoue qu'enfant, elle a causé la mort d'Alberto, le deuxième mari de sa mère, afin de permettre à celle-ci de vivre pleinement sa carrière.
Bouleversée par cette révélation et consciente de sa dette à l'égard de sa fille, Becky décide d'endosser la responsabilité du meurtre. Lorsque Rebeca, enceinte, est libérée par le juge, les deux femmes fabriquent les preuves visant à incriminer Becky.
Victoria Abril et Marisa Paredes
Rebeca découvre alors que Letal, Hugo et Dominguez sont un seul et même homme et qui plus est, père de l'enfant qu'elle porte.
Miguel Bosé
Innocentée par l'ultime sacrifice de sa mère, et soulagée de s'être réconciliée avec elle, la voilà prête à commencer une nouvelle vie.
Le compositeur et acteur japonais Ryūichi Sakamoto a réalisé la bande originale du film à l'exception des titres Un Año De Amor composé par Nino Ferrer, initialement intitulée Un an d'amour (C'est irréparable).
Piensa en mí une chanson mexicaine datant de 1937 composée par Agustín Lara interprétée dans le film par Luz Casal.
Talons aiguilles, reste avant tout une histoire de femmes. Une mère absente qui ne s’est jamais préoccupé de sa propre fille. Une fille qui aime sa mère par-dessus tout. C’est aussi une histoire sur l’illusion et l’artifice : privée de sa mère, Rebeca reporte son affection sur Lethal, le travesti qui imite en play-back Becky Del Paramo dans sa période espagnole. Lorsque Becky rencontrera Lethal, celui-ci lui donnera un sein en souvenir, symbole évident de la maternité qu’il lui transmet.
Mélodrame poignant, haut en couleur, sur l’absence de la mère et désespoir d’une fille à la recherche de l’amour maternel. Cette incontestable réussite tient en grande partie au talent de ses interprètes, Marisa Paredes et Victoria Abril en tête. La première incarne cette femme mégalomane dont l’existence toute entière est centrée sur sa carrière et la gloire, au détriment de sa fille, Victoria Abril, fragile et pourtant capable des actes les plus sombres par amour pour sa mère. Miguel Bosé, quant à lui, sublime le double rôle du juge Miguel et du travesti Lethal, interprétant avec le même brio la sobriété du premier et l’extravagance du deuxième, dont les caractères troublants vont se mélanger au fil du récit pour nous perdre habilement.
Féodor Atkine, tout aussi excellent mais également l’exubérance de Bibí Andersen , qui est ici l'élément comique du film. Chaque personnage trouve ainsi son intérêt et sert le film comme il faut, oscillant entre mélodrame, comique de mot, de situation, mensonges, déclarations d’amour, de haine, insufflant, comme pour chaque œuvre d’Almodovar, une vie qui lui devient propre et dont nous nous trouvons être les heureux spectateurs.
Talons aiguilles marque une transition importante dans l'oeuvre de Pedro Almodóvar Celui-ci va en effet abandonner le kitsch et la trame policière de ses premières oeuvres pour se tourner vers un mélodrame axé sur le deuil, celui de la mère, de la femme ou de l'enfant aimé. Les talons du titres sont en fait les "talons lointains", titre original et objet d'une scène digne du Truffaut fétichiste de L'homme qui aimait les femmes, d'une mère trop absente dont la fille s'est toujours sentie privée.
Ce changement de style est révélé par le choix et l'utilisation de la référence cinématographique, Sonate d'Automne d'Ingmar Bergman, à laquelle il a pensé durant tout son film.
Alors que Pedro Almodóvar a cité beaucoup de films américains dans ces précédents opus, Talons aiguilles marque un tournant important dans ses emprunts : pour la première fois, la référence cinématographique est européenne et surtout elle est d'autant moins montrée, aucun extrait cette fois-ci, qu'elle est prise avec beaucoup plus de sérieux que d'habitude. Pedro Almodóvar s'en sert même pour réfuter les accusations d'assagissement qui le mettent en cause à cette époque :
Victoria Abril et Marisa Paredes
"Beaucoup de gens disent que je prends moins de risques en tant que cinéaste que par le passé. Je crois que j'en prends autant sinon plus mais en travaillant sur d'autres matériaux. Deux personnages qui se parlent et qui, pour se comprendre finissent par parler du film de Bergman, c'est une scène très risquée qui pourrait être très ridicule. Victoria avait trois pages de dialogues pour parler de Sonate d'automne et, à travers cela, expliquer la relation de son personnage avec sa mère. Avant de tourner, j'ai dit à Victoria que ce monologue pouvait tuer le film. Nous avons fait quinze prises de cette scène que je voulais faire en plan séquence pour laisser Victoria jouer pleinement tout le texte…. Tous les techniciens étaient assis et regardaient. Je n'avais encore jamais ressenti une atmosphère d'une telle intensité sur un de mes tournages."
Pedro Almodóvar utilise aussi un autre point de convergence avec le film de Bergman dans cette séquence de confrontation mère-fille. Juste après le monologue, intervient en effet un flash-back sur l'enfant tuant son beau-père par l'échange de comprimés. Dans Sonate d'automne intervenaient aussi de nombreux flash-back sur la petite fille souffrant de l'absence de la mère. Formellement les différences sont pourtant flagrantes : son directe contre voix off, filmage de près de l'enfant contre renvoie dans la pénombre avec indistinction du visage, expression d'une action contre expression d'une douleur.
Si la scène décrite par Pedro Almodóvar évite bien le ridicule, elle ne constitue pas pour autant un des points forts du film. La séquence introduite par un "Maman est-ce que tu as vu le film de Bergman, Sonate d'automne ? " est très explicative de la difficulté pour une fille de se hisser au niveau d'une mère célèbre.
Victoria Abril, Pedro Almodóvar, Miguel Bose,
Bibí Andersen, Marisa Paredes, Miriam Diaz Aroca
Talons aiguilles est une oeuvre passionnante où les deux facettes du réalisateur, la brillante et la déjà plus noire sont réunies avec brio.
Sources :
Cahiers du Cinéma- 1994. Conversations avec Frédéric Strauss
http://www.cineclubdecaen.com
http://archive.filmdeculte.com
http://www.toutlecine.com