Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d'autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. Jean Luc Godard
Réalisé par Frank Perry
Sydney Pollack non crédité
Avec Burt Lancaster, Janet Landgard, Janice Rule,
Tony Bickley, Marge Champion, Nancy Cushman,
Bill Fiore, David Garfield, Kim Hunter
Genre Drame
Production Américaine, Britannique
Date de sortie 18 septembre 1968
The Swimmer a été tourné en été 1966 mais n'est pas sorti avant 1968.
John Cheever est un écrivain américain connu pour ses nombreuses nouvelles, et son travail de chroniqueur au New Yorker qui lui vaudra un prix Pulitzer en 1979. Ses nouvelles décrivent le plus souvent des milieux aisés et bourgeois qui cachent des personnes sournoises, mesquines, qui avouent leurs travers avant de re-sombrer rapidement dans l'hypocrisie. Certaines de ses œuvres furent adaptées au cinéma : outre The swimmer, le film Parc réalisé en 2006, la télévision n'a pas loupé le talent de l'auteur : O Youth and Beauty! et The Five-Forty-Eight, donnèrent lieu à des épisodes d'Alfred Hitchcock Présente.
Une de ses plus célèbres œuvres s'intitule Le ver dans la pomme.
Le film est encore loin de voir le jour et il faudra encore deux années après le début du tournage pour le voir sortir sur les écrans. La production se révèle en effet houleuse et Frank Perry doit subir les pressions de Sam Spiegel qui ne partage pas du tout sa vision du film. Le réalisateur est même écarté du plateau par le producteur qui le fait remplacer par le jeune Sydney Pollack pour retourner l'une des séquences du film, celle où Ned se confronte à une ancienne amante interprétée par Janice Rule.
C’est un des secrets les mieux gardés du cinéma américain. Longtemps inconnu et invisible, anomalie hollywoodienne comme les studios savaient en produire dans les années 60 et 70, The Swimmer est un chef-d’œuvre.
Pour son troisième long métrage, Frank Perry, cinéaste méconnu, dont une grande partie de la filmographie reste à ce jour difficilement accessible, adapte brillamment avec sa femme Eleanor, qui a déjà écrit les scénarios de ses deux premiers films, une courte nouvelle de quinze pages écrite par John Cheever en 1964. Les époux Perry souhaitent la porter à l'écran dès sa sortie, mais il leur faudra attendre 1966 et la création par Sam Spiegel de sa société de production pour enfin trouver un producteur qui accepte de les accompagner sur ce projet.
Au-delà de la place qu'il occupe, ou devrait occuper, dans l'histoire du septième art, c'est tout simplement un film bouleversant et inoubliable. Satire sociale, fable existentielle, commentaire sur le rêve américain...
The Swimmer est tout cela à la fois et on ne louera jamais assez le talent de Frank Perry et de ses collaborateurs qui sont parvenus contre vents et marées à mener à bien un projet aussi singulier et à nous offrir en bout de course l'un des grands chefs-d'oeuvre du cinéma américain des années 60.
Burt Lancaster s'entraîne avec Bob Horn, le coach de natation de l'UCLA. Le tournage pose rapidement de multiples problèmes et la scénariste Eleanor Perry, femme du réalisateur, s'oppose régulièrement à Burt Lancaster.
Depuis qu'il est lui-même devenu metteur en scène Burt Lancaster se laisse diriger de moins en moins facilement, jugeant souvent qu'il est mieux à même que quiconque de décider ce qui doit être fait.
Synopsis
Par un après-midi d'été ensoleillé, un homme en maillot de bain (Burt Lancaster) sort des bois et pénètre dans une belle propriété d'une banlieue huppée du Connecticut pour profiter de la piscine déserte. Après avoir fait quelques longueurs, il sort de l'eau et se retrouve nez à nez avec les propriétaires des lieux qui, passés quelques secondes d'étonnement, se déclarent ravis de revoir leur ami Ned Merrill qui n'avait pas donné signe de vie depuis bien longtemps.
Nous sommes dans la vallée du Connecticut, dans la bonne société wasp où le temps semble s’être arrêté entre deux cocktails et une barbecue party. Ned est joyeux mais peu attentif, comme perdu dans ses pensées, ailleurs...
Au gré de la conversation, Ned découvre qu’il lui est possible de nager de piscine en piscine jusqu’à sa maison, et décide de relever le défi. “I am swimming home” deviendra le leitmotiv du film, le seul de l’histoire du cinéma où le personnage principal est en maillot de bain de la première à la dernière image. En effet, chacune des propriétés situées dans la vallée possède sa piscine privée et Ned explique qu'il va passer de l'une à l'autre pour regagner sa demeure.
Il prend congés de ses amis interdits et plonge dans cette rivière imaginaire qu'il baptise du prénom de sa femme, Lucinda...
La première séquence du film nous plonge dans une forêt dont Ned émerge, quasi nu. Il ressemble à un homme sauvage et c'est ce à quoi idéalement il aspire : retourner en arrière. Peut-être rêve-t-il de revenir à un stade de l'évolution d'avant cette civilisation du luxe et de la consommation ? Plus certainement, il veut remonter le temps pour retrouver sa vie d'avant le drame, d'avant la chute.
L'enfance et l'innocence qui y sont attachées deviennent pour lui un horizon à atteindre et plusieurs fois dans le film des souvenirs de sa jeunesse lui reviennent en mémoire, souvenirs idéalisés d'un monde qui s'est volatilisé sous ses yeux.
Remonter la Lucinda River jusqu'à la source, c'est remonter le temps, c'est retrouver la pureté dans un monde en déliquescence.
Ned quitte donc le giron protecteur de la forêt matricielle et tente de traverser ce monde auquel il a appartenu mais qui lui est maintenant devenu étranger. Les piscines sont autant d'étapes qui lui permettent de s'isoler, de rester dans son rêve, dans sa bulle, mais il lui faut entre deux plongeons se confronter à ses amis, ses voisins, ses anciens collègues qui irrémédiablement le ramènent à la réalité. Sa tentative de retour au source en empruntant la Lucinda River devient alors un véritable chemin de croix.
"Pool by pool they form a river, on the way to our house"
Le rêve de Ned Merrill fait long feu car il ne peut fuir ce monde auquel il appartient comme il ne peut échapper à son passé, à ce qu'il est devenu.
Frank Perry nous fait constamment partager le point de vue de son héros. Dans un premier temps, on ne sait rien de lui, on ne saisit pas ce qui le travaille, ce qui le meut, ce qu'il tente de fuir car lui-même veut complètement s'oublier. Tout ce qui vient de l'extérieur est vécu comme une agression car chaque rencontre l'oblige à se souvenir, à revenir à ce qu'il est vraiment, à la réalité. Au fil de ses rencontres, on en apprend un peu plus sur lui et on construit patiemment le puzzle, on perce le mystère qui entoure son passé.
Le réalisateur parvient par sa seule mise à scène à nous faire ressentir la fragilité de Ned, sa peur constante d'être amené à se confronter à la réalité. On comprend que s'il fuit, et s'il se fuit lui-même, c'est parce qu'il y a en lui une douleur insurmontable, une perte dont il est incapable de se remettre. Cette perte, on n'arrive pas à la déterminer : sa femme Lucinda ? Ses enfants ? Son emploi ? Sa fortune ? Ses idéaux ? Sa pureté...?
Ce que Ned fuit, outre une histoire que l'on devine traumatique, c'est sa vie même, ce qu'il en a fait, ce qu'il est devenu. On saisit rapidement au fil des mini-séquences qui construisent le film que Ned était un homme arrogant, égoïste, qu'il a abandonné des amis dans le besoin, qu'il a trompé sa femme, trahit son amante.
Ned était un pur produit de la riche société WASP qu'il essaye aujourd'hui de fuir; et au détour d'une séquence on découvre l'ordure qu'il a pu être, l'homme raciste et arrogant qui, il y a quelques temps, se serait lui aussi pavané dans une de ces cocktail parties, un verre de champagne à la main, un sourire satisfait rivé au visage.
Durant son trajet de piscine en piscine, Ned Merrill va croiser une série de personnages qui tous appartiennent à la riche société. À travers ces multiples rencontres, Perry dépeint la haute bourgeoisie, microcosme où se mêlent intellectuels, artistes et hommes d'affaires qui incarnent crânement l'American Way of Life.
Frank Perry nous offre une vision effrayante de cette caste dirigeante, qui célèbre sa réussite à grand renforts de cocktail parties et rivalise dans la débauche de dépenses de luxe.
Le cinéaste décrit les valeurs sur lesquelles se fonde ce monde, où plutôt l'absence de valeurs ou de moralité. Il y a des dizaines de rencontres, d'histoires qui se succèdent à l'écran mais la seule chose qui reste c'est une sensation de vide. Tous les personnages que l'on croise sont si superficiels qu'ils ne semblent être que des enveloppes sans vie, des body snatchers. Le film provoque un profond malaise, un intense sentiment de dégoût, et l'on comprend que Ned Merrill n'en puisse plus de vivre dans ce monde. Il ressent le besoin de repartir à zéro; et l'idée de regagner sa maison à la nage est un geste purificateur, un retour à la source qui vise à le faire renaître lavé, vierge.
Au-delà de la critique d'une certaine Amérique, celle du luxe délirant, du superficiel et du consumérisme, la grande réussite de The Swimmer est de nous offrir le portrait bouleversant d'un homme détruit qui se révèle incapable de se recomposer. Tout le film évoque la lente désagrégation du rêve de renaissance de Ned : on passe de la forêt à l'autoroute, des piscines désertes à celles bondées de monde, le ciel bleu immaculé se couvre de nuages et le soleil disparaît, cédant la place à une terrible tempête...
Toutes les composantes du film incarnent cette dégénérescence, que ce soit la mise en scène, la musique ou encore le corps même de Burt Lancaster.
Frank Perry s'approche souvent du visage de Ned, cadre ses yeux en gros plan et nous fait pénétrer par leur intermédiaire dans son monde intérieur et fantasmatique. Au début du film, Ned a encore la force de refuser le monde tel qu'il est, de le plier à sa volonté. Il reçoit son premier choc lorsqu'il est mis à la porte d'une propriété par une vieille dame qui l'accuse d'avoir abandonné son fils alors qu'il était mourant.
Brutalement rappelé à la réalité, il fuit à travers bois dans une course éperdue. A bout de souffle, il s'adosse à un arbre et la caméra s'approche de son visage jusqu'à ce que son œil emplisse tout le cadre. L'image d'un cheval se superpose alors à celui de l'œil et, comme par magie, lorsque le cadre s'élargit, le cheval est là, prêt à faire la course avec lui. Il n'y a pas dans cette séquence de limite entre la réalité et le fantasme, les deux ne font qu'un et le spectateur ne peut juger de la nature de ce qu'il voit. Mais la musique lyrique et emphatique qui accompagne la course, le sourire béat de Ned, son salut auquel le cheval répond par une courbette... tout dans la mise en scène nous indique que l'on est dans le monde fantasmé et idéal de Ned.
La partition de Marvin Hamlisch, qui à vingt-quatre ans signe ici sa première composition pour le cinéma, accompagne magnifiquement le parcours de Ned. Marvin Hamlisch démarre le film par un thème aux accents lyriques mais qui laisse poindre une sourde mélancolie, évoquant ainsi la puissance de la nature, mais une puissance automnale, sur le déclin. La musique incarne alors le rêve de pureté et de renaissance de Ned mais porte déjà en germe la fin de cette utopie. Lorsque Ned apparaît sortant de la forêt, dos au spectateur, gagnant la piscine de la première propriété, la mélodie se referme, ne répétant plus que quelques notes, boucle musicale qui en s'accélérant annonce déjà la fêlure du personnage, sa folie. Lorsque Ned plonge, le thème lyrique revient, comme si au contact de l'eau il se nettoyait, se purgeait du mal qui le poursuit et l'accable. L'illusion fonctionne encore...
Ned parvient de moins en moins à faire tenir son rêve, à rester dans le déni de ce qui l'entoure, de ce qu'il est devenu. Il accuse avec de plus en plus de mal les secousses extérieures, et chacune d'entre elles vient fissurer un peu plus le mur mental qu'il s'est construit.
Burt Lancaster et Sidney Pollack, réalisateur non crédité de The Swimmer, se sont rencontrés en 1961, alors que Burt Lancaster tournait Le Temps du châtiment de John Frankenheimer et que Pollack était coach pour jeunes acteurs sur le film. Les deux hommes sympathisent, et l'acteur décide d'aider le jeune coach en lui trouvant du travail comme réalisateur à la télévision, puis le fait nommer responsable du doublage anglais du film Le Guépard. Outre The Swimmer, Burt Lancaster et lui tourneront deux films : un western, Les Chasseurs de scalps réalisé en 1968 dans lequel l'acteur joue un chasseur illettré et arrogant et un film de guerre Un Château en enfer en 1969.
Qui de mieux pour interpréter un incroyable nageur que Burt Lancaster ? Plus jeune, il a pratiqué avec talent le basket-ball, l’athlétisme et la gymnastique et a même monté un numéro de cirque ! Lorsqu'il tourne The swimmer, l'acteur a déjà à son actif des films qui ont mis en valeur sa forme physique hors du commun : La Flèche et le flambeau en 1950, Le Corsaire rouge en 1952, il a incarné Jim Thorpe, l’athlète métis du Le Chevalier du stade en 1951 réalisé par Michael Curtiz et surtout, il a réalisé lui-même toutes les cascades de Trapèze en 1956 dirigé par Carol Reed.
Le choix de Frank Perry de confier le rôle à Burt Lancaster se révèle particulièrement judicieux. Avec son corps d'athlète, son sourire légendaire et ses yeux d'un bleu éclatant, l'acteur incarne l'idée même de réussite. Seulement, Burt Lancaster a cinquante-cinq ans au moment du tournage et il n'hésite pas à jouer de son âge pour transmettre au spectateur la fragilité, la fatigue et la solitude de son personnage.
Frank Perry parvient à garder le cap malgré toutes les difficultés rencontrées quant à la réalisation de son film. Il fallait vraiment que le cinéaste ait une vue très claire de son film pour parvenir à passer les écueils de la pré-production et du tournage, et assurer sa cohérence à un œuvre pourtant très complexe de par sa construction et son traitement stylistique. The Swimmer n'a en effet rien du traditionnel film de studio, c'est une œuvre délicate et quasi expérimentale qui repose d'une part sur l'usage de multiples métaphores et d'autre part sur un jeu constant avec les effets de style et les ruptures de tons.
Une mise en scène originale et déroutante qui permet à Frank Perry de raconter uniquement en termes cinématographiques comment la fière Amérique des années 50 est entrée dans l'ère du doute et de la remise en question de ses fondements.
Un remake avait été envisagé, avec Alec Baldwin pour reprendre le rôle de Burt Lancaster. La date de sortie du film était annoncée pour le printemps ou l'été 2004. Une différence avec l'original : le tournage aurait eu lieu à Long Island plutôt qu'au Connecticut. Le projet est resté lettre morte depuis son annonce, en septembre 2003.
Janice Rule a remplacé Barbara Loden, initialement prévue pour le rôle de Julie Ann.
L'auteur de la nouvelle dont est tirée le film, John Cheever, fait un cameo durant la scène de la fête autour d'une des piscines.
Sources :
http://www.dvdclassik.com
http://www.lesinrocks.com
http://www.guardian.co.uk
http://www.imdb.fr
http://www.allocine.fr