Date de reprise le 3 août 2016
Version restaurée
Réalisé par Douglas Sirk
Avec Jane Wyman, Rock Hudson, Agnes Moorehead,
Conrad Nagel, Virginia Grey, Gloria Talbott,
William Reynolds II, Charles Drake
Genre Comédie dramatique
Titre original All that Heaven Allows
Production Américaine - 1955
Il aura fallu les éloges d’un Godard, Martin Scorsese ou d’un Fassbinder pour faire taire les esprits trop littéraires qui ne voyaient en Douglas Sirk que l’équivalent cinématographique des romans à l’eau de rose. Fassbinder avouera que son film Tous les autres s'appellent Ali était un remake du chef-d'oeuvre de Douglas Sirk.
Rock Hudson et Jane Wyman
Tout ce que le ciel permet fut un succès public et critique relatif, le qualifiant pour certaines de "film tout juste bon pour les femmes pleurnichardes". Le temps faisant heureusement son oeuvre, est aujourd'hui unanimement considéré comme l'un des plus beaux films du maître. Il fut d'ailleurs élu en 1995 pour rejoindre la prestigieuse collection de films dressées par la Bibliothèque du Congrès Américain.
Aujourd’hui l’époque des railleries est belle et bien révolue et le cinéaste est cité comme influence par tous les réalisateurs en vogue, de Pedro Almodovar à Quentin Tarantino en passant par François Ozon… Comme aimait à le rappeler Douglas Sirk, la distance entre le roman de gare et le grand Art est mince. All That Heaven Allows en est le plus bel exemple. L’intrigue est simple comme une chanson de Claude François : il est pauvre, elle est riche, il est jeune, elle est plus âgée, et malgré tout, ils s’aiment… Pourtant, loin de crouler sous la guimauve qu’impose un tel sujet, le spectateur se voit terrassé par cette histoire qui possède la force des grandes tragédies.
Douglas Sirk n'est pas ce cynique cultivé qui aborderait un matériau jugé impur avec la distance amusée de l'esthète. Il instrumentalise simplement les codes du mélodrame pour créer un langage cinématographique unique, prêt à rendre au plus près la vérité du cœur.
Selon Douglas Sirk : "Le succès américain provient du fait que le film est fondé sur une philosophie typiquement américaine, celle d'Emerson et de ces disciples où la nature tient une grande place… Le thème du retour à la nature a sans douté été inspiré par Rousseau. Son influence n'a gagné l'Amérique qu'assez tard parce qu'à l'époque où il écrivait les problèmes qu'il abordait ne se posaient pas encore aux américains qui n'avaient encore que des contrées sauvages et pas encore construit des villes. Ce désir de retour à une vie primitive et simple était à mon avis parfaitement incarné par cet homme qui s'occupait de faire pousser des arbres, vivait dans un jardin et méprisait l'argent et la haute bourgeoisie. Or ça c'est tout le rêve américain."
Synopsis
Veuve d'âge mûr, Carey Scott (Jane Wyman) mène une vie terne et sans histoire dans une petite localité de Nouvelle-Angleterre, se consacrant au bonheur de ses deux enfants Ned (William Reynolds II) et Kay (Gloria Talbott) qui viennent d'entrer à l'Université. Souhaitant qu'elle ne termine pas ses jours en solitaire, ses enfants et son amie et confidente, Sara Warren (Agnes Moorehead), la poussent dans les bras de Harvey (Conrad Nagel), quinquagénaire aisé auprès de qui elle trouverait la tendresse et la sécurité.
Carey rêve encore d'un grand amour. C'est dans cette disposition d'esprit qu'elle rencontre Ron Kirby (Rock Hudson), le séduisant pépiniériste, de quinze ans plus jeune qu'elle, engagé par ses soins pour s'occuper de son jardin. Ron Kirby ne tarde pas à partager sa passion et ils deviennent amants. Le jeune homme l'emmène dans sa demeure, un vieux moulin situé au milieu des bois où il vit loin du monde, des préjugés et des conventions.
La liaison de Carey est rejetée par son entourage : non seulement à cause de leur différence d'âge mais aussi parce que Ron Kirby est d'un niveau social bien inférieur. Pour ne pas déplaire à ses enfants, Carey rompt avec Ron et recommence à fréquenter Harvey. Peu après, Kay se marie et Ned, mobilisé, part pour l'étranger. Souffrant de la solitude, Carey apprend que Ron a été victime d'un grave accident.
Découvrant que son sacrifice n'a pas empêché l'ingratitude de ses enfants, elle part le soigner et, à sa guérison, décide de braver l'hypocrisie qui l'entoure en l'épousant.
Douglas Sirk démontre que l'ironie et l'émotion peuvent aller de pair dans la scène extraordinaire où arrive sur une table à roulettes le cadeau du fils à sa mère, un poste de télévision, ainsi commenté par le vendeur : "Tout ce que vous avez à faire, c'est de tourner le bouton et vous aurez toute la compagnie que vous pouvez désirer, là sur l'écran : le drame, la comédie, la parade de la vie sont à la pointe de vos doigts".
Ce qui frappe, à la vision de All That Heaven Allows, c'est la fondamentale vérité du rôle tenue par Jane Wyman. Contrairement aux films hollywoodiens de l'époque, la femme n'est ici ni l'incarnation d'un modèle fantasmatique, car ce rôle revient à Rock Hudson, représentation parfaite du beau mâle américain des fifties, ni un substitut d'homme mais comme une femme à part entière. Avec ses doutes, ses désirs, ses angoisses. La mise en scène de Douglas Sirk adopte entièrement ce point de vue féministe, et c'est cette brûlante passion, ce feu intérieur qui semble déborder sur l’image, irradiant chaque geste, chaque objet, chaque visage...
All That Heaven Allows c'est aussi cette lumière qui révèle tout, qui brûle les yeux, et décharne le mélodrame jusqu’à le laisser nu, dans ce plus simple et rutilant apparat. La superbe photo de Russell Metty, indissociable des plus grands films de Douglas Sirk, éclabousse l’écran de ses couleurs primaires et semble retrouver la pureté originelle du monde. Jamais la neige n’a semblé aussi immaculée au cinéma que dans ni les feuilles d’automne aussi dorées…
Rock Hudson et Jane Wyman
C'est à une véritable scénographie de l'intérieur que nous convie ici Douglas Sirk. Et si les décors de Russell A. Gausman et Julia Heron tiennent une grande importance dans , le cinéaste n’en est pas pour autant un cinéaste décoratif. La grande idée du film est la suivante : comme suggère le jeune jardinier à Cary l'obstacle à leur amour ne vient peut être pas tant du monde extérieur que de Kary elle-même ! Si tous ses reflets dans les miroirs, signatures visuelles récurrentes dans le cinéma de Douglas Sirk, renvoient à Kary une image forgée par les conventions sociales, il lui faudra alors briser cette image afin de s'en libérer. Et c'est seulement à ce moment que le miracle final pourra enfin avoir lieu...
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Le cinéma de Douglas Sirk s’embarrasse peu de psychologie, et les sentiments qui habitent et les uns et les autres sont immuables, figés tel une maladie incurable. Il faut alors se battre, briser les barrières sociales et morales afin de vivre pleinement, au plus près de son âme. Et ce retour aux sources, ce chemin vers le cœur ne peut s’accomplir que dans la révélation de la beauté du monde. Et de la nature…
Cette philosophie de l’écrivain américain Henry David Thoreau, et de son livre Walden, ou la vie dans les bois, une oeuvre que le père de Douglas Sirk lui aurait offert à l'âge de 14 ans, modifiant à jamais sa vision des choses.
Jane Wyman et Virginia Grey
Certains, sans doute trop cyniques pour se laisser emporter dans ces maelström d’émotions, ont voulu voir dans les films de Douglas Sirk une forme d’ironie, allant même jusqu’à les qualifier de comédies ! Or ce qui frappe à la vision de , c’est justement cette absence de condescendance vis-à-vis du genre abordé. Douglas Sirk ne subvertit pas le mélo, il le pousse dans ses derniers retranchements afin de le sublimer. Tout est ici exacerbé : l’amour que partagent les deux personnages est aussi simple que fulgurant, et la mesquinerie de ceux qui tentent d’empêcher cet amour semble relever d’un complot universel et machiavélique…
Les deux héros du film, Jane Wyman et Rock Hudson, n'en sont pas à leur première collaboration. En effet, les deux acteurs, un an auparavant, étaient déjà dirigés par Douglas Sirk dans la comédie dramatique Le Secret magnifique, gros succès en salle. Les studios Universal souhaitaient par conséquent le réitérer avec Tout ce que le ciel permet. Ils donnèrent ainsi à Douglas Sirk un budget confortable et une relative liberté. "On me permettait au moins de travailler sur les textes", explique Douglas Sirk. "Il fallait que je suive les règles, que j'évite les expérimentations, que je fasse des happy-end mais la Universal n'est jamais intervenue ni sur le travail à la caméra ni sur mon montage".
Si Jane Wyman fut enchantée de retravailler avec Rock Hudson, elle s'interrogeait en même temps sur sa carrière au cinéma : récemment divorcée de Ronald Reagan, elle estimait à ce moment là que son avenir d'actrice se jouerait plutôt dans les soap opera, à la télévision. Après Tout ce que le ciel permet, elle ne jouera plus que dans cinq films. En revanche, sa carrière à la TV fut florissante. Elle fut notamment l'une des égéries de la série culte Falcon Crest.
Quant à Rock Hudson, il était à l'époque du film l'une des idoles d'Hollywood. Mais parce qu'il menait une vie que beaucoup jugeaient scandaleuse, le studio Universal, anxieux de son comportement, le rappelait constamment à l'ordre tout en entretenant savamment la figure de l'acteur avec d'intenses campagnes de publicité.
Un an après , Rock Hudson signe ici sa deuxième collaboration avec le réalisateur. Dirigé à de nombreuses reprises par le maître du mélodrame américain, Rock Hudson est, encore aujourd'hui, considéré comme l'un de ses acteurs fétiches.
Cours de cinéma Tout ce que le ciel permet ... par forum des images
Sources :
http://www.dvdclassik.com
http://www.cineclubdecaen.com
http://www.allocine.fr
http://www.imdb.fr