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12 mars 2016 6 12 /03 /mars /2016 19:03

 

Date de sortie 27 janvier 2016

 

Les Délices de Tokyo (An)


Réalisé par Naomi Kawase


Avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase, Kyara Uchida,

 

Titre original An


Genre Comédie dramatique


Productions Française, Allemande, Japonaise

 

 

Synopsis

 

Installé dans une petite cahute, en plein coeur de Tokyo, Sentaro (Masatoshi Nagase) est le gérant d’un stand de restauration rapide et vend des dorayakis.  Un secret lié à son passé semble le tourmenter.

 

Les dorayakis sont des pâtisseries traditionnelles japonaises qui se composent de deux pancakes fourrés de pâte de haricots rouges confits, "An".

 

La jeune lycéenne Wakana (Kyara Uchida),  sensible et curieuse rêve d’horizons lointains. Elle  égaie les journées solitaires de Sentaro.

 

Tokue (Kirin Kiki), une femme au crépuscule de sa vie, va tenter de convaincre Sentaro de l’embaucher.

 

Tokue a le secret d’une pâte exquise et la petite échoppe devient un endroit incontournable...

 

Les délices de Tokyo (An)

Contrairement à son précédent long-métrage, Still The Water, Les Délices de Tokyo prend principalement place dans la ville de Tokyo. Un univers urbain qui n'empêche pas de voir les arbres fleurir et qui fait de la nature un lieu nous protégeant, selon Naomi Kawase.

 

Ce rôle de bienfaiteur, la nourriture l'endosse aussi et se trouve propulsée au centre du film.

 

Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre film ?


L'auteur du roman original m’a sollicité pour que je l'adapte au cinéma et l'actrice Kirin Kiki a volontiers accepté d'interpréter le rôle principal. À ce moment-là, il n'y avait encore aucun investisseur engagé sur le film. Un jour, alors que nous étions toutes les trois au columbarium d'une maison de cure pour les lépreux, nous avons assisté à un extraordinaire coucher de soleil. Puis, dans le ciel, la lune est apparue. Ce fut un véritable moment de cinéma. C’est ce soir-là que le film est né.

 

Comment était l’atmosphère sur le tournage ?


Lors des tournages, j'accorde beaucoup d’importance au réalisme. J'ai donc demandé aux acteurs de vivre réellement la vie des personnages qu'ils incarnent. Par exemple, j'ai demandé à Masatoshi Nagase, qui interprète le rôle de Sentaro, de vivre l'expérience du gérant de la pâtisserie Doraharu et de vendre lui-même ses gâteaux dorayaki aux vrais clients qui venaient les acheter.

 

Les délicesd e Tokyon (An)Kyara Uchida, qui tient le rôle de Wakana, a accepté de vivre dans un HLM pendant le temps du tournage.

 

Quant à Kirin Kiki, qui incarne Tokue, elle a appris à faire du an, la fameuse pâte de haricots rouges, jusqu'à ce qu'elle éprouve l'enthousiasme et la passion d'une vraie chef-patissière.

 

 

C'est ainsi qu'est née l'authenticité des personnages créés. L'équipe technique a tout fait pour ne pas se comporter comme sur un tournage. Je lui faisais simplement signe pour qu'elle sache à quel moment filmer, sans dire : "Moteur, ça tourne." C'est pourquoi, tout au long du tournage, les acteurs jouent sans savoir quand la caméra tourne réellement.

 

Quelles ont été vos sources d’influence ?


An est une adaptation d'un roman original. C'est la première fois que je réalise une adaptation. Dès sa lecture, j'ai été convaincue qu'il fallait en faire un film. Croire à l’existence de "l'invisible", puis se mettre face à son silence : c'est l'évolution de cet invisible silencieux que j'ai voulu montrer à travers ce film. Il évoque les regrets d'une vie, l'auto-destruction liée au désespoir, l'angoisse de se sentir inutile dans ce monde... c'est malgré cela, ou peut-être à cause de cela, qu'on place tant d'espoir en l'avenir. J’ai tendance à penser qu'une porte s'ouvre sur un monde où règnent l'affection et la tendresse si on y croit.
 

Extraits d'interview relevés sur .festival-cannes.com

 

Les délices de Tokyo (An)

La réalisatrice Naomi Kawase déclare :

 

An est l'adaptation du livre éponyme de Durian Sukegawa.

 

La précision avec laquelle Durian Sukegawa décrit dans son livre ce qui est invisible dans la vie, m'a profondément touchée et j'ai eu envie de l'adapter pour le cinéma.

 

J'ai écrit le scénario de An dans la bibliothèque du sanatorium (Tama Zenshoen) dédié aux lépreux, près de Tokyo. J'ai passé du temps dans la forêt du sanatorium, m'imprégnant des lieux, de la lumière, de l'atmosphère. J'ai également rencontré et échangé avec des patients.

 

Les délices de Tokyo (An)

 

 

Tokue, le personnage principal, a la lèpre, très jeune elle a été dépossédée de sa vie. Mais cette épreuve lui insuffle une certaine sagesse qu'elle transmet à Sentaro et Wakana. Elle leur permet de croire en ce qu'ils sont et cette modeste avancée est décisive pour leur vie future.

 

 

 

Une recette de cuisine peut changer une vie, j'adore manger. Manger apaise l'esprit et me rend heureuse.

 

Je crois aussi qu'en mangeant bien, personne ne peut être en colère.

Mon opinion

 

"La précision avec laquelle Durian Sukegawa décrit dans son livre ce qui est invisible dans la vie, m'a profondément touchée et j'ai eu envie de l'adapter pour le cinéma."

A déclaré Naomi Kawase.

 

Une transposition sur grand écran en tout point réussie.

 

Une douceur émane de ce film et transporte le spectateur dans un monde au cœur duquel trois existences vont se croiser. Entre un regard curieux, un autre empli de tendresse, le chant d'un oiseau en cage ou ces images de cerisiers en fleurs tout n'est que beautés même quand les yeux laissent couler des larmes.

 

Il est bien question d'amour, celui de la nature en particulier. D'amitié, d'échanges riches et vrais avec, comme point de départ, un véritable culte de la cuisine.

 

La mise en scène de Naomi Kawase est à la fois subtile et magistrale. Tous les interprètes n'ont plus qu'à se laisser porter et vivre leur rôle respectif avec un naturel désarmant.

 

Ce film est un cadeau. On sort de la séance différent.

 

Tout simplement heureux. Meilleur, peut-être aussi.

 

Les délices  de Tokyo.Les délices de Tokyo

8 mars 2016 2 08 /03 /mars /2016 18:12

 

Date de sortie 2 mars 2016

 

Belgica


Réalisé par Felix Van Groeningen


Avec Tom Vermeir, Stef Aerts,

Hélène De Vos, Charlotte Vandermeersch, Boris Van Severen, Sam Louwyck


Genre Comédie dramatique


Productions Belge,  Française

 

Synopsis

 

Jo (Stef Aerts) et Frank (Tom Vermeir) sont frères, et comme souvent dans les familles, ces deux-là sont très différents. Jo, célibataire et passionné de musique, vient d’ouvrir son propre bar à Gand, le Belgica.

Frank, père de famille à la vie bien rangée et sans surprise, propose à Jo de le rejoindre pour l’aider à faire tourner son bar.

Sous l'impulsion de ce duo de choc, le Belgica devient en quelques semaines the place to be…

 

Belgica - Tom Vermeir, Stef Aerts

 

Tom Vermeir et Stef Aerts

Felix Van Groeningen est né en 1977 et est diplômé de l'Académie Royale des beaux-Arts de Gand (KASK).

Il participe ensuite à plusieurs pièces de théâtre (en tant que qu'acteur et metteur en scène), mais décide finalement de revenir au cinéma, sa première passion.

Le réalisateur a déclaré : "Ce qui était particulier à cette époque, c’est que je faisais mes films en même temps que je développais une pièce de théâtre nommée Kung fu. Je tournais avec des comédiens, des jeunes gens que je dirigeais aussi au théâtre. Beaucoup de scènes se sont faites par improvisation et on y trouvait beaucoup de liberté. La pièce a très bien marché, on a joué pendant trois ans partout en Europe. Après, on a formé une compagnie et on a crée une deuxième pièce, Discotheque. Pendant ces voyages, je faisais parfois des répétitions avec mes copains du théâtre et les comédiens amateurs pour mes courts métrages. C’est comme ça que j’ai fait Truth or Dare, mon film de troisième année, et 50 CC, mon film de fin d’études.
J’ai tout appris en faisant les deux ensemble. À l’école de cinéma, j’apprenais à faire des films. Avec les autres étudiants, on s’entraidait, on faisait tout : le montage, la lumière, l’écriture, etc. Mais ce qu’on ne faisait pas beaucoup, c’était le travail avec les acteurs. Avec la pièce, j’ai pu combler ce manque."

Avec le producteur Dirk Impens, de la société Menuet, il réalise cinq longs métrages. Sa reconnaissance internationale arrive avec son troisième film, La Merditude des choses, sélectionné au festival de Cannes, puis avec Alabama Monroe, pour lequel il obtient le César du meilleur Film étranger et est nominé aux Oscars dans la même catégorie.

 

BelgicaIl était une fois le Tramway, troquet populaire des supporters du Racing club de Gand. En 1988 Jo Van Groenungen, le père de Félix le rachète et le baptise Ekkentu 2, en référence au café Ekkentu 1 situé juste en face, de l'autre côté de la place du Vlasmarkt.

 

Très vite le bistrot tourne bien et Jo propose à son ami Jan de le rejoindre dans l'affaire. En 1989, ils rebaptisent l'établissement. L'Ekkentu 2 devient le Charlatan.

 

Initialement, c'est un lieu de jour, ouvert de 11h à 1h du matin. Mais très vite, la musique prend une grande importance, avec deux concerts organisés par semaine. En parallèle, Jo et Jan entreprennent des travaux, et décident, parce que le propriétaire voulait y faire des logements, de louer la salle attenante, qui était auparavant le réfectoire d'un pensionnat de jeunes filles. Progressivement le Charlatan devient un café-concert la semaine et une discothèque le week-end, ouverts à tous.

 

Belgica.

Félix Van Groenungen grandit dans cet univers. Quand il est enfant, sa mère est serveuse à l'Ekkentu 2, et ils habitent au dessus. Plus tard il vient au Charlatan en sortant de l'école, et y attend que son père soit prêt à rentrer à la maison, en périphérie de la ville.

 

 

À 16 ans, il tient le bar pour son plus grand plaisir.  "C'était devenu de lieu le plus branché de la ville. Je pouvais y travailler et sortir en même temps avec mes potes. Nous étions une grande famille. Mais après quelques années, le Charlatan est devenu un monstre".

 

En effet, l'établissement perd progressivement de sa splendeur, notamment en raison de gros problèmes de drogue, le Vlaslarkt étant au centre du trafic à Gand. Des videurs sont embauchés, le succès conduit à la perte. Jan et Jo se retirent, ils n'ont plus l'énergie pour continuer cette vie nocture.

 

Arrivent Gerald et Joris, les deux frères qui ont inspiré Felix pour son scénario. Gerard est DJ au Charlatan depuis des années. Joris tient un troquet à Affligem, le Stanton. Ils rêvent de monter une affaire ensemble. Ils s'intéressent un temps à un autre café à Affligem, nommé le Belgica. Finalement en 2000, ils rachètent le Charlatan, qui connaîtra avec eux ses plus grandes heures.

 

Les frères licencient le personnel toxicomane, mettent la grande salle aux normes de sécurité, embauchent un nouveau technicien du son spécialiste de rock, recrutent un portier hors-pair : "Pas un videur, mais quelqu'un qui accueille les gens et si nécessaire leur indique la sortie." La réputation du café-concert dépasse même les mures de la ville.

 

Belgica

.

 

Mais les frères ne s'entendent pas sur tout et se perdent progressivement. Gerald raconte : "Nous ne nous parlions plus. Ce n'était jamais le bon moment. Quand mon frère s'est installé au-dessus du café, ça a vraiment été le coup de grâce".

 

 

 

 

Joris finit par abandonner. "Le travail et les fêtes me tuaient à petit feu. En plus, je devais aire des allers-retours entre Gand et Affligem où ma femme avait un salon de toilettage pour chiens et voulait un enfant. Les choses sont devenus compliquées avec on frère? C'était lui ou moi …"

 

Début 2007, Joris revend ses parts. Les deux frères ne se parleront plus pendant deux ans. "Dommage que ce soit mon frère, parce que c'est mon meilleur pote", dit Gerald aujourd'hui. Felix commente "C'est ce qui me fascinait dans l'histoire du Charlatan, le fait que deux frères que tout oppose lancent un projet fantastique qui leur causera vote des problèmes, justement pat que tout les oppose. Ce moment où il n'y a plus d'énergie pour redresser la barre, sans qu'on puisse se détacher de ce qui a été construit avec tant de passions."

 

Gerald a désormais deux nouveaux associés. Mario et Nik. À eux trois, ils essaient de garder l'atmosphère mythique progressivement construite par les différents propriétaires, ceux qui ont été à tour de rôle les rois du Charlatan. "Nous refusons de nous définir comme un club, même sir Red Bull nous a nommés troisième meilleur club de Belgique. Non, ça reste le café Charlatan. Nous voulons rester accessibles, garder comme public de mélange de jeunes filles, de rastas, de gars en costumes. Nous n'avons aucune politique VIP parce que chaque client est VIP pour nous. "

 

Belgica

Pourquoi vouliez-vous raconter cette histoire ?

 

Belgica c'est l'histoire de milliers d'entrepreneurs : "on grandit, puis il faut abandonner ses idéaux". À mes yeux, le film raconte en même temps quelque chose sur la façon dont notre société à changé ces 20 dernières années, comment elle est devenue plus sévère, peut-être aussi comment elle a un peu perdu ses idéaux … le café est comme une mini société.

Mais la motivation principale de faire ce film réside pour moi dans ses personnages singuliers. C'est le portrait de deux frères qui gèrent un bar et conquièrent leur place dans le monde. Leur trajet séparément et ensemble dans l'ivresse de la nuit - où sexe, drogue et rock'n'roll ne sont jamais bien loin - est le moteur du film.

Il y a le fêtard et le frère plus posé. L'homme à femmes et le type qui n'a qu'un seul œil, plus timide. L'un est en quête d'excitation, l'autre de sécurité. Ensemble, ils forment un super tandem, même s'ils risquent de se perdre l'un l'autre et eux mêmes à un certain moment. De sorte que l'un des frères dit finalement à l'autre "Je n'ai plus envie de continuer avec toi … " je trouve ça incroyablement poignant.

Puis il y a une raison personnelle, évidemment. Ce qui se passe dans le film, je l'ai vécu en partie. Il était difficile de décrire mes sensations de l'époque et j'espère qu'on retrouve dans le film ce mélange étrange d'euphorie, d'excitation de la vie nocturne, ce désir de liberté et ce sentiment d'anti establishment. Et en même temps aussi un peu de tristesse pour les choses qui se perdent. Parce que ce n'est pas possible autrement. Quelque chose de très belge aussi…

 

Mais aussi de très Gantois ?

 

Absolument. À un moment, j'ai même songé à ne pas faire se dérouler le film à Gand ou à l'extirper un peu de Gand. Mais j'ai réalisé que cela n'était pas possible : j'y ai quand même été aspiré.

 

Belgica est donc un film autobiographique ?

 

Non, mais il comporte assurément beaucoup d'éléments que j'ai connus dans ma propre vie. C'est pourquoi Belgica est probablement mon film le plus personnel. Chaque scénario est une sorte d'enquête. On commence à plonger dans un matériel, et des réponses surgissent chemin faisant. Cela dit, le fait de raconter des histoires sur d'autres est aussi une agréable façon de na pas devoir parler de moi.

 

Belgica

La musique tient une place essentielle dans votre film…

 

La musique joue toujours un grand rôle dans mes films. Je tente systématiquement de faire en sorte qu'elle "cadre" avec l'histoire, qu'elle s'intègre au récit. L'évolution de la musique à mesure que le film avance n'est donc pas un hasard, mais fait  intégralement partie de ce qui se passe au Belgica et de ce qui se passe avec les personnages.

 

Parlez-nous de la contribution des frères Stephen et David Dewaele, également connus comme Soulwax et célèbres en tant que 2 many DJ's.

 

Nous sommes amis de puis longtemps. Ils avaient déjà collaboré à mon premier film, Steve+Sky. Et ils étaient eux aussi très inspirés par cette histoire. Stephen et Dave ont grandi avec moi et ils ont souvent joué au Charlatan, le bar qui m'a inspiré Belgica. Ils ont voyagé dans le monde entier, ils sont souvent à Londres, mais leur port d'attache reste Gand. C'est très important pour eux, c'est pourquoi ils ont trouvé particulièrement séduisante l'idée de participer à ce film.

 

La partition musicale mise à part, ils ont aussi proposé de nombreuses nouvelles chansons.

 

Pendant que j'écrivais le scénario, nous nous sommes fréquemment réunis pour parler de la musique. Je pensais initialement que les frères allaient se charger de la partition musicale et que nous travaillerions avec des morceaux connus de groupes existants, parce qu'il y en avait beaucoup à disposition. Mais petit à petit, il est devenu clair que ce qui les stimulait, c'était de vraiment tout faire.

 

Ils ont donc inventé eux-mêmes les groupes qu'on voit se produire au Belgica. ?

 

Oui, ils ont crée The Shitz et They Line de toutes pièces ! Ils ont réunis tous ces musiciens. Ils m'ont dit : "Si tu peux faire du Charlatan le Belgica, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions de notre côté nous en tenir à des groupes existants. Nous pouvons nous aussi les recréer !". Ils sont donc partis de groupes réels, mais ils les ont marqués de leur propre empreinte. En un mot, ça été une collaboration super drôle.

Enfin de compte, il n'y a dans tout le film que quelques morceaux de musique qui ne sont pas d'eux. Il y a "J'aime regarder les filles", le morceau sur lequel le café explose la première fois. Il y a Plastic Dreams de Jaydee, un morceau iconique grâce auquel je me suis à écouter de la house quand je commençais à sortir à l'époque. Et il y a naturellement Zombie Nation, le morceau des Buffalos (le surnom du club de foot gantois KAA La Gantoise). Ils sont chaque fois imbriqués dans l'histoire et ont en outre été retravaillés par Stephen et David afin d'être entièrement adaptés aux scènes.

Dans un film sur un bar, cela semble évident, mais l'histoire de Belgica est aussi très rock'n'roll.

 

Au fond, faire un film, c'est partir à l'aventure. Certes, on sait où on veut aller, mais on ne sait pas tout ce qu'on peut rencontrer en route. Et on rencontre des choses fantastiques. C'est ce que je trouve captivant dans le métier de réalisateur. Chaque film est un peu comme un accouchement. Cet accouchement a été très difficile pour Alabama Monroe. Nous avons travaillé très dur, nous y avions mis tout notre cœur, mais on ne savait pas vraiment si le film allait être bien accepté. Ce qui s'est passé ensuite est indescriptible : Alabama Monroe a connu un succès international, à reçu le César du meilleur film étranger et cerise sur le gâteau a été nommé aux Oscars dans la même catégorie. Mais ce doute initial est toujours resté en moi. Ne me comprenez pas mal. Alabama Monroe est un film dont je suis très fier. Mais je me suis pourtant demandé si je ne m'y étais pas pris de façon un peu trop classique et pas assez rock'n'roll. Quoi qu'il en soit, cela m'a poussé à revenir à des racines plus rock'n'roll avec Belgica. Et cela m'a aussi permis  de prendre davantage de libertés : être plus impétueux, tourner plus longtemps.

 

Pour lire la suite de l'interview, cliquez ici.

Mon opinion

 

Après le superbe Alabama Monroe, Felix Van Groeningen impose, dans Belgica, une belle bande son composée par Soulwax. Au cœur même de l'intrigue, elle fait partie intégrante d'un scénario parfaitement construit.

 

Le réalisateur commente : "À mes yeux, le film raconte en même temps quelque chose sur la façon dont notre société à changé ces 20 dernières années, comment elle est devenue plus sévère, peut-être aussi comment elle a un peu perdu ses idéaux … le café est comme une mini société". Au travers de dialogues souvent violents Felix Van Groeningen appuie avec force sur ce changement, dans lequel l'austérité vient balayer une certaine idée de la fête. Les dernières images du film sont, en ce point, éloquentes. Des caméras comme autant de frontières entre les individus.

 

La réalisation parfaitement maîtrisée est superbe de minutie.

 

À la tête d'un casting d'une grande justesse, les deux principaux protagonistes, Stef Aerts et Tom Vermeirs s'imposent avec talent et donnent à leur personnage respectif un relief tout particulier.

 

Je suis sorti de la salle stupéfait par la virtuosité d'une mise en scène qui vous entraîne, là où vous ne voudriez pas, ou ne pourriez pas être.

 

Le dernier mot au réalisateur :"Le fait de raconter des histoires sur d'autres est aussi une agréable façon de na pas devoir parler de moi".

 

 

6 mars 2016 7 06 /03 /mars /2016 21:00

 

Date de sortie 24 février 2016

 

Nahid - Affiche


Réalisé par Ida Panahandeh


Avec Sareh Bayat, Pejman Bazeghi, Navid Mohammad Zadeh,

Milad HasanPour, Pouria Rahimi, Nasrin Babael


Genre Drame


Production Iranienne

 

Synopsis

 

Nahid (Sareh Bayat), jeune mère divorcée, vit seule avec son fils de 10 ans dans un petit port de la mer Caspienne et se débat pour sa survie quotidienne grâce à un petit travail de secrétariat. Elle se démène aussi pour avoir la garde de son fils au comportement difficile.

 

Il faut dire que le père de l'enfant, Ahmad (Navid Mohammad Zadeh),est un homme paradoxal, joueur invétéré et toxicomane irresponsable mais toujours amoureux de son ex-épouse et père aimant envers et contre tout…

 

Selon la tradition iranienne, la garde de l’enfant revient au père mais ce dernier a accepté de la céder à son ex-femme à condition qu'elle ne se remarie pas.

 

Nahid rencontre un nouvel homme, Massoud (Pejman Bazeghi) un élégant gérant d'hôtel, qui l'aime passionnément et veut l’épouser.

 

Massoud  consent à se plier à une situation ubuesque de la loi : un mariage temporaire, qui permet aux intéressés de s'engager pour une heure ou quelques mois sans que cela soit inscrit dans les registres d’état civil !

 

Mais évidemment la chose va arriver jusqu'aux oreilles de l'ex-mari, d'autant que l'orgueil de Masoud supporte de plus en plus mal cette vie de secret.

 

Nahid - Sareh Bayat

 

 Sareh Bayat

Ida Panahandeh est née en 1979 à Téhéran. Elle est diplômée en réalisation et photographie. Elle a commencé à faire des films quand elle était étudiante à l’université des arts de Téhéran, et a réalisé plusieurs courts métrages. Elle a ensuite été invitée à diriger des téléfilms pour la télévision d’état iranienne ce qui lui a valu d’être primée dans différents festivals de télévision nationaux.

En 2009, elle a été conviée à participer au programme "Talent Campus" du festival de Berlin avec son court métrage Cockscomb Flower.
En tant que réalisatrice, elle a toujours été sensible à la condition des femmes et a toujours essayé de faire évoluer le point de vue du public sur les droits des femmes à travers de nombreux documentaires, ce qui est aussi le cas avec Nahid, son premier long métrage de fiction,
qui a reçu le prix de l'Avenir de la section Un certain regard au Festival de Cannes 2015.

 

Elle déclare : "En tant que réalisatrice, je me suis toujours intéressée à la condition des femmes en Iran, et plus largement au Moyen-Orient. Nahid est un des tous premiers films iraniens qui s’attache à décrire la condition des femmes divorcées, y compris la question du droit de garde des enfants, et les problèmes liés au mariage temporaire. À travers le portrait de Nahid, c’est le dur quotidien de ces femmes que j’ai voulu mettre en évidence. J’espère que ce film pourra faire évoluer l’image que nous avons de ces femmes, au moins d’un point de vue culturel."

 

Nahid - Sareh Bayat

Propos de la réalisatrice, Ida Panahandeh, relevés dans le dossier de prese.

 

Mon entrée en cinéma s’est faite lorsque j’étais étudiante en Théâtre et Cinéma à l’Université des Arts de Téhéran et que j’ai commencé à tourner des courts-métrages en 16 mm. J’étais fascinée par la dimension visuelle du cinéma. J’aspirais à pouvoir palper la pellicule et percer le secret des éclairages magnifiques des films de Tarkovski ou de Bergman. C’est pourquoi j’ai choisi en Licence de me spécialiser en Image. Puis, j’ai étudié les aspects narratif et théorique du cinéma en Maîtrise. Nahid est à la croisée des deux phases de mon apprentissage académique et de mon expérience (à travers les courts-métrages, les documentaires et les films
télévisés que j’ai réalisés).


En tant que cinéaste, mon souci majeur est toujours de trouver la forme visuelle adéquate au récit de mon film. Dès l’écriture de Nahid, je savais que le tournage aurait lieu à l’automne. L’atmosphère grise et nuageuse de la ville reflétait en effet très bien l’état intérieur des personnages, notamment de l’héroïne principale et cela enrichissait la texture visuelle du film. Les couleurs des costumes et des éléments du décor ont dû être soigneusement contrôlés afin de rester dans des tons froids et neutres permettant de faire ressortir le rouge, à la portée symbolique, d’un des éléments du récit.


Chacun des personnages, en fonction de sa personnalité, de sa façon d’être et de penser, nécessitait un style visuel propre. Le contraste entre leurs intérieurs chaleureux ou froids permettait de les caractériser. Par ailleurs, la vie tumultueuse de Nahid ne pouvait pas être filmée d’une façon unique, en plan fixe, en caméra portée ou en travelling. Il fallait au contraire une combinaison de ces styles pour rendre compte de cette atmosphère tendue.
Je dois préciser que mon objectif n’était en aucun cas de faire un film purement réaliste. Je tenais à ce que le réalisme présent dans le film soit accompagné d’une poésie latente et de touches de violence transparaissant à travers la mise en scène, certains objets, la musique, les mains de Nahid, les couleurs ou encore le son. Dès la phase d’écriture, j’étais convaincue que même si cette poésie n’était pas explicite, elle serait tout de même perçue par le spectateur.

Pendant des années, à chaque fois que mon co-scénariste, Arsalan Amiri et moi-même entreprenions l’écriture d’un scénario, nous nous retrouvions nez à nez avec un personnage de jeune femme, accompagnée de sa terreur de fils, qui voulait à tout prix se faire une place dans notre histoire. Nous réussissions tant bien que mal à nous débarrasser d’elle, allant parfois tout de même jusqu’à essayer d’écrire pour elle, sans conviction. Mais il se trouve que la mère était aussi rebelle et têtue que son fils, et elle a fini par obtenir ce qu’elle voulait. Et cette fois-ci, elle n’a pas décampé tant que son histoire ne tenait pas debout, l’écriture du scénario a duré un an et demi.

 

Nahid - Sareh Bayat.

Arsalan et moi avons un point commun, nous avons grandi en l’absence de nos pères au sein de familles matriarcales et avons été témoins des luttes de nos mères pour s’imposer en tant que femmes indépendantes dans la société traditionnelle qu’était l’Iran.

 

 

Elles avaient une personnalité complètement différente des autres femmes qui avaient une vie normale.

 

Elles se sont efforcées, le plus sincèrement possible, d’offrir le meilleur pour leurs enfants et pour elles-mêmes. Nahid est ce genre de femmes. Peut-être rendons-nous hommage à nos mères de manière inconsciente ? Pour nous, il fallait que Nahid soit une provinciale. Nous cherchions une ville dans laquelle une jeune femme est soumise au regard des autres, et où elle n’est pas libre de faire ce qu’elle veut. Nahid avance dans la vie avec une certaine légèreté, nous ne voulions pas d’une atmosphère sociale pesante mais d’un cadre dans lequel les petits plaisirs du quotidien sont accessibles. Il nous fallait donc une ville où la population est ouverte d’esprit. C’est pourquoi nous avons choisi de nous diriger vers le Nord de l’Iran, et vers le port d’Anzali que nous connaissions bien tous les deux.

Nahid est une femme amoureuse pour la première fois, qui goûte à la joie que lui procure cet amour réciproque. Mais, confrontée à sa réalité et aux lois qui régissent la société, cette joie se transforme en souffrance. Dans les sociétés traditionnelles, une femme est valorisée en tant que mère, sa vie de femme en tant que telle est secondaire. En Iran, si une femme divorcée ayant la garde de son enfant se remarie, elle perd son droit de garde au profit du père de l’enfant. Donc, si elle souhaite avoir une relation légale sans courir ce risque, elle peut avoir recours au mariage temporaire, le "sighe". Bien que le "sighe" soit inscrit dans la loi de l’islam chiite, les Iraniens portent presque unanimement un regard très négatif sur les femmes qui y recourent. C’est une pratique taboue, considérée comme un instrument d’exploitation des femmes. Cette loi permet en effet à un homme de contracter sans limites des mariages temporaires d’une durée d’une heure à plusieurs années.

 

Nahid - Sareh BayatC’est pour cette raison que Nahid et Massoud, soucieux du regard des autres, se cachent de ce mariage temporaire qu’ils font passer pour définitif. Lors des cent dernières années, le monde a connu des mutations structurelles et l’Iran n’y a pas échappé. Voyant la société traditionnelle se moderniser, l’Iran vit une phase de transition.

 

 

Mais les lois, parce qu’elles sont figées, marquent un décalage avec la réalité de la société qu’elles réglementent. Cela provoque une confrontation entre les classes sociales, entre les ethnies, entre les sexes, qui deviennent malgré eux des adversaires. Dans ce film, l’ex-mari de Nahid, malgré toutes ses faiblesses, est un homme pour qui l’on ressent de l’empathie. C’est la loi qui a semé la zizanie entre ces deux individus.
Comme dans beaucoup de tragédies modernes, l’anti-héros est la société, ici les individus sont innocents. Mais ce qui reste différent, c’est la conclusion finale. Nous n’assistons pas à l’échec et au déclin de l’héroïne.

 

À la fin du film, Nahid entreprend un autre combat, sans penser aux conséquences de son acte.

Sareh Bayat, dans le rôle de Nahid, est une des grandes actrices du cinéma iranien, elle a reçu
l’Ours d’Argent de la meilleure actrice dans Une Séparation. Cela m’inquiétait lorsque je l’ai choisie pour ce rôle. Je ne voulais en aucun cas qu’elle soit associée à cette figure vulnérable. Le personnage ici était très différent. Une de mes tâches les plus difficiles pendant le tournage consistait à ne pas laisser Sareh adopter une posture passive et soumise. Je dois dire qu’elle était consciente de ma sensibilité à ce sujet. Je lui répétais sans cesse qu’elle devait être une louve. "Vas-y ! Attaque ! N’aie pas peur ! Réponds-lui !" Sareh a eu le courage de s’abandonner totalement à la personnalité de Nahid. C’est une actrice très puissante, souple et sensible, capable de transmettre des émotions au public à travers son regard et les expressions de son visage, sans dire un mot. Au fil des jours, elle ne cessait d’évoluer et d’apporter toujours plus de vie au personnage de
Nahid.

 

Sarey Bayat - Nehid

 

Pejman Bazeghi, dans le rôle de Massoud, est un acteur très expérimenté du cinéma iranien. Il a un répertoire très varié et a joué dans toutes sortes de productions. Cela dit, dans tous ses rôles il incarne presque toujours un beau garçon qui a toutes les femmes à ses pieds. Jouer Massoud l’enthousiasmait d’autant plus que ce profil de personnage n’était pas habituel pour lui : un homme mûr, posé, père, époux, amoureux. Pendant le tournage, son intelligence et sa finesse m’ont rendue envieuse. Il comprenait mes indications et suggestions et les appliquait dans la seconde. Il a un rapport très sensible avec ses partenaires de jeu. Il se dégage de son regard une énergie que je n’ai jamais vue chez un autre acteur. Le caractère de son personnage, modéré, légèrement traditionnel, amoureux, transparaissait dans sa démarche, dans son élocution, jusque dans la façon de ranger son bureau. Il a été extraordinaire.


Navid Mohammad Zadeh, dans le rôle d’Ahmad, est un des comédiens de théâtre les plus célèbres en Iran. C’est un grand, le voir sur une scène est une expérience inoubliable. Il a une telle énergie qu’il est capable de vous donner la pêche comme de vous mettre par terre ! Et il saisit parfaitement la différence entre le théâtre et le cinéma. Une dimension qui échappe aux spectateurs non-persanophones est que tous les personnages de Nahid parlent avec l’accent du Nord de l’Iran. Navid (tout comme Sareh) qui vient d’une autre région a pourtant réussi à acquérir une maîtrise parfaite de cet accent, en allant traîner dans les ports et les cafés, en discutant avec les marins d’Anzali juste en quelques semaines

 

Mon opinion

 

Ida Panahandeh, jeune réalisatrice iranienne, réalise avec Nahid son premier long-métrage.

 

Coécrit avec Arsalan Amiri, le scénario et des dialogues très bavards demandent une attention particulière. La réalisation s'attache essentiellement à suivre de la première à la dernière image le parcours de cette mère, mariée trop jeune, divorcée dix ans plus tard avec la garde, sous condition, de son fils.  

 

Un ex-mari encombrant, un enfant sur les traces de son père, délinquant notoire, mais aussi une rencontre. Celle-ci sera l'élément déclencheur pour multiplier les problèmes et quantités de troubles dans une vie, déjà passablement mouvementée.

 

Concernant cette rencontre la réalisatrice déclare : "Confrontée à sa réalité et aux lois qui régissent la société, cette joie se transforme en souffrance. Dans les sociétés traditionnelles, une femme est valorisée en tant que mère, sa vie de femme en tant que telle est secondaire."

 

Forte tête, dépensière et indépendante Nahid souhaite par-dessus tout trouver un statut de femme libre.

 

Interprétée par l'excellente Sareh Bayat, déjà remarquée dans le magnifique film d'Asghar Farhadi, Une séparation, l'actrice est de toutes les scènes. Poussée par la réalisatrice qui lui demandait d'être une louve, elle rayonne dans la grisaille volontaire de la photographie qui n'est pas sans dégager une certaine nostalgie.

 

"À travers le portrait de Nahid, c’est le dur quotidien de ces femmes que j’ai voulu mettre en évidence. J’espère que ce film pourra faire évoluer l’image que nous avons de ces femmes, au moins d’un point de vue culturel." Déclare Ida Panahandeh.

 

Un souhait auquel il est difficile de ne pas adhérer.

6 mars 2016 7 06 /03 /mars /2016 11:19

 

Date de sortie 2 mars 2016

 

Éperdument


Réalisé par Pierre Godeau


Avec Guillaume Gallienne, Adèle Exarchopoulos,

Stéphanie Cléau, Aliénor Poisson, Cyrielle Martinez, Selma Mansouri


Genre Drame


Production Française

 

D’après le roman de Florent Gonçalves, Défense d’aimer

 

Synopsis

 

Jean (Guillaume Gallienne), 39 ans, est le directeur exemplaire de la prison pour femmes de Versailles.


Lorsqu'il accueille la jeune Anna (Adèle Exarchopoulos), 23 ans, impliquée dans une affaire sensible en cours de jugement, il tombe immédiatement sous le charme de cette beauté sauvage.

 

Jean essaye d'aider Anna, il pense de plus en plus à elle, il fantasme sur elle... jusqu'au moment où il se rend compte qu'Anna est aussi séduite - même si elle est également tout à fait consciente des avantages qu'il lui obtient.

 

Les deux succombent alors à une histoire d'amour passionnelle totalement interdite où Jean met en danger sa carrière, sa vie de famille, sa vie...

 

Éperdument - Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos

 

Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos

Entretien avec le réalisateur Pierre Godeau relevé dans le dossier de presse.

 

Pourquoi avoir souhaité adapter le livre de Florent Gonçalves ?


Le fait divers m’a passionné bien avant la publication de son récit. Dès janvier 2011 et les premiers flashes info relatant la liaison d’un directeur de prison pour femmes avec une détenue -et son arrestation-, j’ai pensé qu’il y avait là matière à un film formidable. Mais j’étais loin d’imaginer alors que je deviendrais réalisateur et que ce serait moi qui tournerais le film.

 

Qu’est-ce qui vous séduisait ?


J’adore les histoires d’amour et le dispositif qui entourait celle-ci lui donnait une dimension tragique et cinématographique qui me passionnait.

 

Connaissiez-vous le milieu carcéral ?


Absolument pas. Ce n’est qu’après avoir écrit une première version du scénario que ma vraie rencontre avec la prison a eu lieu. Au-delà du choc, terrible, de la découverte, cette première immersion m’a évoqué un rendez-vous avec un acteur qu’on pressent. On se dit : "Dans sa bouche, cette scène-là va être superbe", ou, au contraire : "Celle-ci ne va pas du tout".

 

Diriez-vous que la prison est le troisième personnage du film ?


Éperdument - Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos

.

Éperdument est une histoire d’amour qui se déroule en prison, ce n’est pas un film sur la prison. Mais pour donner toute la force à l’intrigue amoureuse, le décor devait être irréprochable : on devait sentir l’oppression, l’enfermement, la violence… En ce sens, tourner à la prison de la Santé a été une vraie chance. C’est une prison immense avec des espaces très différents les uns des autres qui permettaient de recréer deux centres pénitentiaires distincts- celui que dirige Jean et où Anna est détenue la plupart du temps, qui se trouvait dans l’unité médicale de la Santé ; et Fleury-Mérogis, qui a été recréée dans une autre aile, plus sombre et plus délabrée. Nous y avons passé six semaines. Six semaines dans un huis clos terrible, sans entendre aucun des bruits de la ville.

Anna est dans un état de tension quasi permanent.


Lorsqu’elle arrive dans le centre de détention dirigé par Jean, Anna a déjà effectué quatre ans de prison, elle est marquée dans son corps et dans son esprit. Elle ne parle pas, se déshabille mécaniquement devant les surveillantes. On la sent rompue à l’exercice du bizutage, la prison est devenue une routine pour elle et a fait en quelque sorte son travail de déshumanisation. Le corps et la parole sont dissociés en elle. Et puis, plus l’histoire d’amour avance, plus son corps est aimé, plus la parole devient précise jusqu’à ce qu’elle exprime distinctement ses désirs dans la chambre d’hôtel lorsqu’elle dit à Jean : "Je n’ai pas envie de me sentir coupable à nouveau". Je voulais que son corps soit comme un instrument de guerre au début et que, peu à peu, il devienne un instrument d’amour.

 

Vamp, femme-enfant, elle semble avoir tous les âges…


Elle a été habituée à un rapport avec les hommes qui passe par la séduction. Anna a toujours été aimée pour son corps, jamais pour ce qu’elle est réellement, et la séduction est la seule arme qu’elle connaisse. Elle en use presque machinalement, comme si elle était absente à elle-même. Je ne la vois pas comme une manipulatrice et Adèle Exarchopoulos rend parfaitement son ambiguïté : elle est excitante, elle est enfantine.

 

La thèse de la manipulation est celle que les juges ont poussé Florent Gonçalvez à soutenir au moment du procès…


Éperdument - Adèle AxerchopoulosUne thèse que son avocat a relayée et qu’il s’est refusé à défendre. Je partage son point de vue. Dans le film, Anna s’attache à Jean parce qu’il n’est pas courant d’établir du lien en prison et qu’il lui en offre. Il lui parle d’autres choses et représente sans doute la figure du père qu’elle aurait voulu avoir. À ce moment là, Jean ne fait que son métier, mais Anna prend cette main tendue pour de la séduction.

 

Elle et lui ne parlent pas le même langage. Et le processus amoureux s’enclenche.

 

Vous accordez beaucoup de place aux scènes oniriques.


C’était primordial d’insuffler une part de rêve dans cet amour qui se construit au milieu du béton, dans la réalité concrète de la prison. Cette histoire d’amour est avant tout l’histoire de deux fantasmes qui se rencontrent : ils l’ont plus rêvée que vécue. Il fallait le traiter et quel meilleur outil que le cinéma pour dessiner les fantasmes.

 

Les rêves qu’ils projettent l’un et l’autre sont très différents…


Il s’agit d’évasion pour l’un comme pour l’autre. Elle se traduit différemment pour les deux personnages que tout éloigne. L’important était de coller à leur imaginaire.

Quels étaient vos critères pour le choix des comédiens ?


Je tenais beaucoup à ce que la dualité qui oppose les deux personnages se retrouve dans le jeu des acteurs. C’est ma directrice de casting qui m’a soumis l’idée de Guillaume Gallienne. Elle m’a envoyé un article du "Monde" avec une photo de lui en noir et blanc prise au moment de la promotion de Guillaume et les garçons à table ! . Je suis resté scotché à cette image.

 

Avez-vous tout de suite pensé à Adèle Exarchopoulos pour le rôle d’Anna ?


Je savais que l’histoire l’intriguait. Je l’ai rencontrée, elle avait lu le scénario, était incroyablement enthousiaste et parlait formidablement du rôle. En termes de jeux, je pouvais difficilement trouver plus éloigné de celui de Guillaume ! À la première lecture qu’elle et lui ont faite ensemble, j’avais déjà l’impression de voir le film. Phrase après phrase et scène après scène, je voyais l’intelligence et la maîtrise de Guillaume s’effondrer face aux réponses d’Adèle. Tout était là.

 

Éperdument - Adèle Exarchopoulos

 

Quelles recommandations aviez-vous faites à Guillaume Gallienne ?


Tout en le laissant très libre, j’avais insisté sur plusieurs aspects du personnage, son autorité souvent mal placée, son humour un peu bidon, sa toute-puissance présumée… Ce qui nous intéressait avec Guillaume c’était de "déshabiller le personnage", une sorte d’effeuillage pour aller vers le dépouillement dans lequel son personnage se trouve à la fin du film. Je me souviens qu’il avait accroché quand j’ai utilisé l’image du strip-tease. J’avais en tête L’Ange bleu, de Josef von Sternberg.

 

Et quelles recommandations à Adèle Exarchopoulos ?


Chaque vendredi après-midi, pendant quatre mois, on a co-animé des ateliers avec des détenues à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Nous réunissions une quinzaine de détenues dans une salle et leur projetions des scènes de films que nous aimions particulièrement. Nous les leur faisions ensuite rejouer entre elles ou avec Adèle. Je les filmais et, la semaine suivante, je leur montrais leur travail. Cela donnait matière à discussion : à ce moment-là, La Vie d’Adèle passait à la télé, c’était extrêmement gratifiant pour les filles de se voir sur un écran en train de jouer avec Adèle. Elles ne se considéraient plus comme des prisonnières, on pouvait parler d’autres choses que de ce qui les avaient conduites là. Leur parole se libérait, les corps… Ces ateliers ont été déterminants pour la mise en scène : il me suffisait d’échanger un regard avec Adèle pour savoir si la séquence qu’on venait de tourner était juste ou non. Ces séquences, nous les avions vécues !

On retrouve beaucoup de non professionnelles au générique d’Éperdument. Avez-vous recruté certaines d’entre elles en prison ?


Seulement deux et dans de tous petits rôles. Les filles devaient être libérées avant le début du tournage et il était très compliqué de savoir en amont lesquelles le seraient. Mais beaucoup des actrices du film ont une expérience du milieu carcéral. Ce qui m’intéressait par dessus tout, c’était leur rapport au corps. En prison, le contact leur manque, elles le recréent. Les filles se touchent, passent leur temps à se coiffer les unes les autres. De vraies comédiennes n’auraient pas pu restituer cela. Je n’aurais jamais eu l’idée, par exemple, de demander aux filles de s’allonger sur le bitume dans la scène où on les voit prendre le soleil dans la cour de la prison. Elles l’ont fait instinctivement. C’est à nouveau deux jeux qui s’opposent : d’un côté la spontanéité et l’improvisation ; de l’autre, la maîtrise et la précision de Guillaume Gallienne.

 

Avez–vous beaucoup improvisé ?


Avec les filles on était en permanence dans une semi-improvisation. Pour la séquence autour de "Phèdre" dans la classe, je soufflais les questions au comédien qui joue le professeur, la plupart des réponses des filles étaient spontanées. C’est d’ailleurs une des scènes où j’ai pris le plus de plaisir.

 

"Phèdre" et la télé-réalité, c’est un grand écart…


J’aimais bien l’idée de placer mes personnages entre tragédie et trivialité… Et que chacun, au fil de la rencontre, aille vers l’autre : Anna choisit les mots de Phèdre dans sa lettre - "Mon mal vient de plus loin… " - et Jean se rêve dans le décor de "Secret Story".

 

La mise en scène joue sur beaucoup de registres différents.


Avec Muriel Cravatte, la chef opératrice, on avait l’impression, au fil du tournage, de passer d’un film à l’autre et c’était très excitant. La direction d’acteurs elle-même évoluait en permanence selon que nous tournions avec les comédiennes non professionnelles, avec Guillaume ou avec Adèle. Aucun ne jouant du même instrument, c’était trois façons de faire différentes. Au début du film, j’ai pris le parti de suivre Adèle caméra à l’épaule : elle est à vif, on épouse ses mouvements mais elle reste enfermée dans le cadre, tandis que les plans sur Guillaume sont très installés et qu’il ne cesse, au contraire, d’entrer et de sortir du cadre. Peu à peu, les rapports s’inversent. Elle est plus libre et c’est lui qui se trouve enfermé dans l’image. Autant Juliette, mon premier long métrage, était très accès sur le style, autant Éperdument est d’abord un film d’acteurs. La difficulté consistait à trouver la juste distance pour les observer.

Parlez-nous de la musique.


Elle devait porter l’histoire d’amour et symboliser la liberté et l’évasion à laquelle aspirent Jean et Anna. On devait l’entendre passer sous les portes et à travers les barreaux et déplier les paysages imaginaires dans lesquels tous deux se projettent. Je la voulais ample et orchestrale et qu’elle ait aussi une dimension tragique. C’est la première fois que je travaille avec un compositeur de film et la rencontre avec Rob a été extraordinaire. La flûte qu’il a introduit donne, je trouve, une touche épique et presque mythologique au film.

 

…qui se termine par la chanson "Ne partons pas fâché", de Raphaël, reprise par Philippe Katerine. D’où vous est venue l’idée de cette pirouette ?


Soudain, on est très loin de la tragédie. À la fin du film, ce que Jean recherche dans le regard d’Anna c’est une preuve que leur histoire d’amour a bel et bien existé. Il se moque du procès, de cette salle remplie et de ce juge qu’on ne montre même pas. Tout ce qui compte pour lui c’est le sourire qu’elle lui offre. La chanson permet de s’évader du décorum pesant de la salle de tribunal, de prendre de la distance avec la tragédie et de terminer avec mes personnages sur une note plus légère.

 

Vous avez un parcours très atypique…


J’ai grandi dans le milieu du cinéma avec un père et un oncle producteur, une mère photographe de plateau. Instinctivement, j’ai toujours su que je ferais du cinéma, je ne me suis jamais vu travailler ailleurs parce que ça a toujours été une passion ; c’est ce que je connais le mieux. Mais j’ai mis du temps avant de me trouver, justement parce que j’appréhendais ma légitimité et c’est pour ça que j’ai d’abord voulu faire une école de commerce. Le naturel est vite revenu au galop : en rentrant de Madrid, ma seule ambition était de créer et d’aider les autres à créer via un ciné-club que j’ai monté avec des jeunes de mon âge qui avaient les mêmes envies que moi. Ça m’a permis d’exercer, de tourner des clips, d’écrire et finalement trouver ma voie : celle de l’écriture et de la réalisation. Je me suis enfin senti à ma place en écrivant Juliette. C’est ce sentiment, ce processus qui me fait vivre et qui m’anime chaque jour : écrire des histoires, créer des images et les partager...

 

Éperdument - Adèle Exarchopouls et Guillaume Gallienne

Mon opinion

 

"Une part de rêve dans cet amour qui se construit au milieu du béton, dans la réalité concrète de la prison. Cette histoire d’amour est avant tout l’histoire de deux fantasmes qui se rencontrent : ils l’ont plus rêvée que vécue. Il fallait le traiter et quel meilleur outil que le cinéma pour dessiner les fantasmes." A déclaré le réalisateur/scénariste.

 

Beaucoup de femmes, présentes dans le film, ont eu une expérience du milieu carcéral. Elles donnent une véracité au propos tout en augmentant la sensation d'étouffement, en appuyant sur ce besoin de rêves, au travers d'émissions de télé réalité, en boucle sur les téléviseurs des cellules.

 

À aucun moment le scénario ne revient pas sur les raisons qui ont poussé la principale protagoniste en prison. "Je voulais que son corps soit comme un instrument de guerre au début et que, peu à peu, il devienne un instrument d’amour." Précise le réalisateur.

 

Seules les visites de la mère ponctuent un conflit bien réel entre mère et fille.

 

Le très beau visage d'Adèle Exarchopoulos illumine l'écran. Certaines scènes lui donnent la possibilité de laisser éclater son talent. Guillaume Gallienne, dans ce rôle d'homme amoureux, perdu, père attentif ou époux désemparé est tout aussi convainquant.

 

La réalisation trop sage et monotone nuit à cette passion que vivent les deux personnages. La dernière scène semble assez invraisemblable. À vous de voir.

2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 18:29

 

Date de sortie 24 février 2016

 

Tempête


Réalisé par Samuel Collardey


Avec Dominique Leborne, Matteo Leborne, Mailys Leborne

Chantal Leborne, Jean-François Leborne

aux côtés de

Patrick d'Assumçao, Vincent Bessonnet, Claude-Estelle Guitter,

Sandra Richard, Carole Perineau, Marc Brunet, Loulou Moriceau


Genre Drame


Production Française

 

Mostra 2015

Le Prix Orizzonti du Meilleur Acteur est attribué à Dominique Leborne

 

Synopsis

 

À 36 ans, Dom (Dominique Leborne) est marin pêcheur en haute mer et ne rentre que quelques jours par mois à terre. En dépit de ses longues absences, il a la garde de ses deux enfants.

Dom fait tout pour être un père à la hauteur. Il rêve même d’avoir sa propre affaire, un petit bateau de pêche à la journée qu’il exploiterait avec son fils.

Assez grands pour s’assumer, Mailys (Mailys Leborne) et Mattéo (Matteo Leborne) n’en sont pas moins deux adolescents qui font leurs propres expériences. L’une d’elles, malheureuse, va forcer Dom à faire un choix entre son métier au grand large et sa vie de famille.

 

Tempête - Dominique Leborne

 

Dominique Leborne

Samuel Collardey travaille durant quatre ans pour la télévision avant d’intégrer La Fémis dans le département Image. Durant sa formation il est chef opérateur sur de nombreux courts métrages.

 

Son film de fin d’études, Du soleil en hiver, reçoit de nombreux prix, dont le Grand Prix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, le Prix Spécial du Jury à Clermont-Ferrand.


En 2008 sort son premier long métrage L’Apprenti. Un docu-fiction qui fait le portrait d’un jeune apprenti dans une ferme du Haut-Doubs. Le film reçoit le Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Venise et le Prix Louis-Delluc du Meilleur Premier Film.


En parallèle, il continue de pratiquer le métier de chef opérateur et collabore entre autres avec le réalisateur Nassim Amaouche sur Adieu Gary et avec Frédéric Louf sur J’aime regarder les filles.


En 2013, il sort son deuxième long métrage, Comme un lion.

 

En 2014 il démarre le tournage de Tempête, son troisième long métrage.

 

Tempête

Entretien avec Samuel Collardey

 

Avec Tempête, vous travaillez la matière documentaire comme dans L'Apprenti mais avec un désir assumé de fiction.


Ce film est le résultat d’un cheminement. Après L’Apprenti, je voulais faire un film plus narratif, avec une dramaturgie plus complexe. J’ai réalisé Comme un lion mais je me suis rendu compte que j’étais allé trop loin dans la fiction. Ce deuxième film était lui aussi tiré d’une histoire vraie mais le problème était que le gamin qui me l’avait inspiré ne voulait pas être filmé. Il a donc fallu repasser par la fiction, faire jouer un autre enfant qui avait des rêves proches du personnage mais il n’empêche, il s’agissait d’interprétation pure, avec des acteurs, des décors que l’on a loués. Une fois le film fini, j’ai eu l’impression d’avoir un peu perdu ce qui était la force de L’Apprenti : une véracité, une mise en scène brute, un côté accidenté. En plus de ça, j’ai travaillé avec une grosse équipe - une vingtaine de personnes, ce qui reste une petite équipe pour certains mais pas pour moi. Du coup pour le troisième film, je voulais retrouver un juste milieu.

 

Pouvez-vous nous parler plus précisément de la manière dont vous avez procédé pour que vos personnages aient une force fictionnelle,  mais que l'on sente puisée dans le réel ?


Je suis parti d’une histoire vécue, rejouée par les vraies personnes, et un peu aménagée pour des raisons dramaturgiques. Le tournage s’est étalé sur dix ou onze mois, qui nous ont laissé le temps de réfléchir, de réécrire, réorienter le scénario, donner plus ou moins d’importance à certains personnages.

 

Comment avez-vous trouvé Dom, votre personnage principal ?


Ça faisait longtemps avec Grégoire Debailly, mon producteur, et Catherine Paillé, ma scénariste, qu’on voulait faire un film sur le milieu de la pêche. Catherine appartient à une famille de marins des Sables d’Olonne depuis des générations. Je connaissais bien aussi ce lieu, durant la Fémis, j’y avais tourné des films en tant que chef opérateur. Catherine elle-même avait réalisé un courtmétrage là-bas et y avait rencontré Dominique quand elle cherchait un jeune matelot sur le bateau où il travaillait. Ils se sont liés d’amitié. Quand on est revenus sur ce projet de faire un film sur des marins aux Sables, Catherine m’a présenté pas mal de gens, dont Dom.

 

Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'en faire le héros de votre film ?


Tout de suite, je me suis dit que c’était un personnage de cinéma. Déjà parce qu’il est beau, qu’il a une présence incroyable. Il m’a semblé très ouvert, très sensible. En tout cas il montre sa sensibilité, n’a pas peur d’exprimer ses sentiments. À l’époque où je l’ai rencontré, il vivait avec son fils mais plus avec sa fille, qui avait avorté un an et demi plus tôt et quitté la maison. Il souffrait de cette situation, sa fille aussi. Il parlait aussi de prendre un petit bateau, de naviguer avec son fils qui était à l’école des pêches… J’y ai vu la promesse d’une histoire, la possibilité d’un film.

Concrètement, comment s'est passé le travail d'écriture du scénario ?


J’ai passé presque une année à faire des séjours réguliers chez Dom. J’ai habité chez lui, dormi sur son canapé, je suis parti en mer avec lui, je l’ai accompagné un peu partout... À ce moment-là, il ne faisait plus le grand métier de marin. Il était à l’école des pêches afin d’obtenir son diplôme de patron et vivait de petits boulots, j’avais le temps de le voir. Je l’ai beaucoup suivi dans cette période difficile où il avait peu d’argent, des difficultés à se chauffer, à payer l’eau chaude. Mon travail consistait à vivre et discuter avec lui, à observer, prendre des notes, engranger un maximum de choses : des dialogues, des sujets de conversation, des idées de situations, de mise en scène et aussi de casting. Le fait de passer du temps avec lui m’a fait croiser son environnement, ses amis. J’ai fait mon "petit marché"

 

Et ses enfants ?


Tempête - Dominique et Matteo LeborneJe voyais Matteo parce qu’il vivait avec lui à ce moment là. Quant à Mailys, qui était plus ou moins en froid avec lui, je prenais rendez-vous avec elle et je la rencontrais sans lui. Au bout de ces quelques mois de repérages et d’enquête, avec Catherine on a commencé à écrire le scénario, pour aboutir à une structure sans dialogues, que l’on a finalement décidé de dialoguer pour rendre plus romanesque et facile à lire.

 

 

Cette promesse à l’écrit est nécessaire pour convaincre les financiers.

 

Au final, avez-vous conservé ces dialogues ?


Au bout du compte, je me suis servi au moins de la moitié des dialogues. Certaines scènes sont donc vraiment de l’interprétation pure. En même temps, Catherine connaissait très bien la façon de parler de Dom, elle utilisait ses mots à lui. Pendant la mise en place et les répétitions de la scène, ce dialogue pouvait évoluer comme il le sentait, afin que ça sonne au mieux dans sa bouche. Le principal était que le fond reste le même. Et puis d’autres scènes sont complètement improvisées, purement documentaires. Je mets en place la situation et après, c’est à eux d’y aller…

 

Il était donc tout de suite évident que c'était Dom qui devait jouer son propre rôle ?

 

Ah oui, ce choix était à l’origine même du projet, il n’y avait pas d’autre solution. Je tenais à ce que le réel nourrisse beaucoup plus Tempête qu’il ne l’avait fait dans Comme un lion. Ce qui me plait dans la mise en scène, c’est de m’appuyer sur des choses réelles. Ce dispositif était donc plus important que le scénario en tant que tel.

 

Comment avez-vous convaincu Dom de faire un film sur lui ?


Je ne lui ai pas déclaré tout de suite mes intentions. Mais il m’a vu venir avec Grégoire, avec Catherine, une fois, deux fois... Il savait que j’étais réalisateur, il avait vu L’Apprenti. Très rapidement, il s’est dit que je lui voulais quelque chose, mais il pensait que c’était avec son fils que je voulais faire un film. Et puis un jour, je me suis dévoilé. Dom est très ouvert, curieux. Tout de suite l’aventure l’a intéressé. Je lui ai dit que je voulais faire un film où il aurait le projet d’acheter un bateau, de naviguer avec son fils… Puis, je lui ai parlé de Mailys. Ça, c’était une autre affaire. À l’époque ils étaient en froid et ne s’étaient pas vus depuis longtemps, mais il m’a dit ok. Ça a été très agréable de travailler avec lui parce qu’il m’a fait totalement confiance, tout le temps.

 

Et convaincre Mailys ?


Ça a été la plus grosse difficulté. Cela ne l’enchantait pas plus que ça qu’on raconte cette histoire-là, elle n’en était pas forcément fière, n’avait pas envie de l’étaler devant tout le monde. Mais deux choses l’ont convaincue. Premièrement, elle s’est dit que si ce n’était pas elle qui jouait, j’allais faire jouer son personnage par quelqu’un d’autre. Elle préférait gérer elle-même le rôle ! Et deuxièmement, sans lui faire de promesses, je lui ai dit que ce film était aussi une façon de renouer avec son père. Ils allaient passer des jours et des jours ensemble sur le tournage, ils auraient du temps pour discuter, partager des choses…

 

Tempête

Votre dispositif repose sur des affects lourds, dont il est tributaire. À certains moments, avez-vous eu peur que Dom et ses enfants n'aillent pas jusqu'au bout du film ?

 

Je n’ai jamais douté de Dom, et le film raconte ça aussi : quand il a quelque chose dans la tête, il va jusqu’au bout, même s’il lui arrive toutes les galères possibles. Mais sa relation avec sa fille tenait à un fil, je doutais tout le temps. L’engagement de Mailys dans le film et son épanouissement sur le tournage étaient liés au lien actuel qu’elle avait avec son père. Et ça, je n’avais pas de prise dessus. Je ne pouvais pas intervenir sur leurs réactions, sur leurs affects. Il fallait faire avec. Mais ça fait partie des risques et du processus de ce genre de film. On vit les aléas, les climax et les moments de doute du personnage en vrai. Même si la situation est récréée, elle reste en lien total avec la réalité.

 

Ce procédé très singulier est quasi de l'ordre de la psychanalyse : utiliser l'énergie de la revisitation du passé pour la réinjecter dans le présent du film ... 


En fait, je suis la tierce personne dans un binôme, celle qui propose une situation où les sentiments peuvent être avoués, les émotions vécues. Je ne sais pas si c’est de la psychanalyse mais il est vrai que je mets en scène des émotions réelles qui ne seraient pas formulées si je n’étais pas là. Comme par exemple cette conversation sur l’avortement entre Mailys et son père, qui n’avait jamais eu lieu. C’est moi qui l’ai provoquée et rendue possible. Mais après, elle leur appartient. Il n’y avait aucun dialogue écrit, je les ai juste installés dans le jardin, j’ai posé la caméra et j’ai demandé à Mailys de raconter comment elle avait vécu cet avortement sans la présence de Dom, de revenir devant la caméra sur cette blessure qui n’avait jamais été évoquée. On a fait une seule prise, mais que j’ai mis la journée à obtenir... Mailys voulait se lancer mais en même temps, la barrière était haute.

 

Le tiers dans le binôme, c'est aussi l'outil cinéma ...


Oui, c’est sûr que moi tout seul, sans la caméra, ce ne serait pas la même chose ! Ils livrent tout ça parce qu’il y a cette machine derrière laquelle je suis et qui enregistre la situation. Cette situation serait un peu bizarre, sans l’idée de capter, de reproduire…

 

Vos protagonistes ont la véracité de personnages de documentaire mas vous les magnifiez avec les moyens du cinéma, notamment le 35mm et le format scope ...


Des gros plans en numérique sans maquillage ne pardonnent rien et rappellent très vite la vidéo, la télévision, le reportage.

 

Tempête.`

Nous voulions sublimer ces personnages, qu’ils deviennent des personnages de cinéma mais sans toucher au réel, sans utiliser les artifices que sont le maquillage, les costumes ou les décors.

 

Le 35 mm et le scope amènent tout de suite les codes de la fiction et du romanesque. Et puis il y a des plans de tempête, des plans d’hélicoptères, des travellings quand on peut. Je ne voulais pas capter le réel avec une petite caméra, une caméra suiveuse, car il ne s’agissait pas de suivre mais de raconter ou plutôt reconvoquer quelque chose du réel.

 

La musique participe à l'ampleur romanesque du film.


Je n’en ai pas utilisé davantage que dans mes deux premiers films mais elle est plus sophistiquée. Comme pour L’Apprenti, j’ai travaillé avec le compositeur Vincent Girault. La musique est assez proche de celle de ce premier film mais cette fois-ci les arrangements sont plus amples et rugueux, comme le personnage. Je voulais trouver la sonorité de Dom, utiliser beaucoup de guitare électrique, de basse.

Quel travail d' "acteur" avez-vous mené avec Dom ?


On avait une trame narrative, des informations et des scènes qui étaient essentielles au film. Et vu que ça s’était passé il y a quelques années, ce n’était plus exactement le réel. En plus de ça, des choses n’avaient pas eu lieu. Et n’auront jamais lieu. Il fallait passer par l’interprétation alors que Dom n’avait jamais joué de sa vie… Obtenir la justesse a nécessité un long travail, il a fallu parfois faire jusqu’à vingt-cinq prises.


Comment l'avez-vous guidé ?


Je lui demandais de se souvenir du moment évoqué dans la scène, de ce qu’il avait ressenti à l’époque. Je lui demandais de me re-raconter comment ça s’était passé. Et comme il adore raconter les histoires, qu’il est très volubile, c’était parfait pour le remettre dans l’humeur d’alors.

 

Et le personnage de la vendeuse ?


Dom n’est pas un moine, loin de là, et ça se sent tout de suite. Mais cette facette de sa personnalité était compliquée à raconter. La copine qu’il avait pendant l’écriture, il ne l’avait plus pendant le tournage. Semaine après semaine, la question d’un personnage féminin qui raconterait la vie sentimentale de Dom continuait de se poser. Or, dans le scénario, il y avait l’idée qu’il aille chercher un petit cadeau à sa fille dans un magasin de vêtements. Je trouve donc une boutique qui accepte de nous accueillir, je tombe sur Carole, très charmante, très marrante. Et on fait la scène, en impro. Je me suis dit qu’on tenait quelque chose, qu’il fallait continuer avec elle. D’où la scène des huîtres sur la plage, puis au lit. Ces trois scènes sont de l’improvisation pure. Je les dirigeais juste dans la situation, leur donnais les intentions de la scène, des personnages. Avec une comédienne professionnelle, l’énergie n’aurait pas été la même, Dom aurait été obligé de s’adapter à sa technique de jeu et aurait paru beaucoup moins bon, avec moins de charisme. Alors que lorsqu’il est libre devant la caméra, tout de suite il est intéressant.

 

Ce moment où Dom lui confie ses souvenirs avec sa fille est très émouvant ...


Pour le coup, il n’y a eu qu’une seule prise ! Catherine me disait que Dom était très sensible et qu’elle l’avait vu pleurer en parlant de sa fille. Le problème était que ça faisait deux ans qu’ils étaient en froid, qu’il avait pris beaucoup de distance. Je ne voyais donc pas ça possible mais je lui en ai parlé. Et il m’a dit : "Ouais ouais, pas de problème, je te le fais !".

 

Et la mère de Mailys et Matteo ?


La vraie mère ne voulait pas apparaître et à un moment, on s’était même dit qu’elle ne serait pas du tout présente mais c’était important de voir un visage, je ne voulais pas être trop théorique. On a donc fait appel à une comédienne professionnelle. Un autre acteur est professionnel : Patrick d’Assumçao, le capitaine du bateau. Le vrai patron est tellement gentil que ça se voit sur sa tête, ça ne collait pas avec le personnage du film. Quant au banquier, j’ai également été obligé d’avoir recours à un professionnel parce qu’aucune banque n’a voulu nous ouvrir ses portes.

 

Mettre en scène aussi directement la vie des gens vous donne une responsabilité particulière. Comment l'assumez-vous ?


Il faut essayer d’être le plus honnête possible avec eux. Au début du projet, on se tape dans la main et on formule un contrat. Je ne leur fais pas lire le scénario mais je leur explique ce que je veux raconter avec leur histoire et je leur fais une promesse : ils seront contents de voir le film, ils
s’y reconnaitront et ce sera plutôt à leur avantage, je ne filmerai jamais contre eux. Après il faut être à la hauteur de la promesse …

 

Vous cherchez la part belle des gens sans être dans l'angélisme.


Je ne regarde pas les gens comme si c’était des fourmis. Je me mets à leur hauteur, il n’y a pas de jugement, je les filme en me posant les mêmes questions qu’eux. Je ne peux pas filmer quelqu’un sans qu’il y ait des sentiments, une affection, une amitié. Je passe deux ans avec eux, c’est toute une aventure.

 

Comme dans L'Apprenti ou Comme un Lion, la thématique de la filiation est centrale dans Tempête ...

 


Le père, la famille, la transmission, une certaine classe sociale… Je raconte toujours plus ou moins les mêmes choses, les mêmes liens, de manière un peu différente. Dans L’Apprenti ou Comme un lion, le personnage principal était l’adolescent. Cette fois-ci, j’ai placé la caméra sur le père. Je voulais raconter un père, raconter qu’il n’y a pas de recettes pour en être un bon. On fait comme on peut.

 

Tempête -  Dominique et Matteo Leborne

 

Matteo et Dominique Leborne

 

La première fois qu'on voit Dom avec ses enfants, on se demande à un moment s'il n'est pas plutôt le grand frère ...


Oui, Dom a une façon très singulière d’être père, il ne rentre pas dans les critères classiques de la figure paternelle. Il est plus copain que vrai père, il a un côté adolescent. Quand il revient le week-end, il passe deux jours à faire la fête avec ses enfants et leurs amis, c’est lui qui roule les joints… Il est très maladroit dans l’éducation qu’il donne à ses enfants mais il les aime profondément. C’est ça qui est très touchant.

 

Une phrase qu'il dit après la fête résume tout avec humour : "C'est moi l'adulte, ici", se croit-il obligé d'affirmer à ses enfants.


La scène n’était pas du tout écrite, cette phrase est sortie toute seule, on a juste fait la bonne coupe au montage pour qu’elle résonne ! Le film raconte aussi la difficulté à trouver l’équilibre entre trop et pas assez de présence. Avec sa fille, Dom est en froid parce qu’il n’a pas été assez présent et a manqué une promesse. Et de l’autre côté avec son fils, il commence à être en froid parce qu’il fait peser trop d’attentes sur lui. Dom, qui est lui-même fils et petit-fils de pêcheur, projette très fort ce métier sur son fils. Cette projection est intrinsèque à la relation père-fils, je crois. Il est très difficile de trouver la bonne distance.

 

Dom essaye de se mettre à son compte mais c'est difficile ... Le film raconte aussi que la société nous laisse peu la change de changer de voie, de place ...


Oui, Tempête est aussi un film sur les classes et l’ascenseur social. Aujourd’hui en France, sept fils de prolos sur dix resteront prolos. Un matelot qui veut devenir patron, c’est compliqué. Les fils de matelots restent matelots et les fils de patrons deviennent patrons. Ce n’est pas qu’une question d’argent, je crois. C’est aussi une forme de tradition. Vouloir bien faire ne suffit pas, il faut avoir les codes. Et s’autoriser. Après, peu importe que Dom ait réussi ou pas, c’est le chemin qu’il a fait qui est important, et qui l’amène à réfléchir sur lui-même, faire le point sur sa vie, ce qu’il est, son rapport à ses enfants. Lors de la dernière scène sur le bateau, on le voit au grand large jeter de la nourriture aux mouettes et là, on le sent heureux.

 

Tempete

Mon opinion

 

Samuel Collardey a déclaré au sujet de ce troisième long-métrage : "Je suis parti d’une histoire vécue, rejouée par les vraies personnes, et un peu aménagée pour des raisons dramaturgiques." Dans Tempête les principaux protagonistes ne sont, pas des acteurs professionnels. Ça se voit et s'entend. C'est très bien ainsi.

 

Simplicité extrême du scénario. Un homme ne cache rien de ses envies, ses angoisses, ses peurs, et laisse, aussi, couler ses larmes. L'histoire met en avant ce formidable amour qu'il voue à ses deux enfants. Il va se lancer dans tout ce qui lui est possible de faire pour les garder près de lui.

 

Il se retrouve devant bien des écueils. Qu'il s'agisse d'une banque ou d'un groupe de marins des Sables d’Olonne. Ses interlocuteurs divers ne verront rien de son désespoir devant une succession de refus. Il reste digne. Seule la caméra filmera avec délicatesse un certain abattement, une pointe de détresse, mais jamais de renoncement.

 

La mise en scène minimaliste sert magnifiquement le propos.

 

Pas de mots pour parler de la formidable prestation de Dominique Delorme. Il est à la fois un père magnifique et l'ami dont on peut tous rêver.

 

Pour sa simplicité, sa profondeur, sa justesse et l'espoir qu'il offre, ce film restera, pour ma part, dans ceux qui touchent au plus profond. En plein cœur.  

 

Welcome

 

"Le bonheur est la chose la plus simple,

mais beaucoup s'échinent à la transformer

en travaux forcés !"

 
François Truffaut

 

 

 

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