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20 octobre 2015 2 20 /10 /octobre /2015 10:50


Date de sortie 14 octobre 2015

 

L'homme irrationnel


Réalisé par Woody Allen


Avec Joaquin Phoenix, Emma Stone, Parker Posey,

Jamie Blackley, Meredith Hagner, Ben Rosenfield, Susan Pourfar

 

Titre original Irrational Man

Genre Drame, Thriller


Production Américaine

 

Synopsis

 

Professeur de philosophie, Abe Lucas (Joaquin Phoenix) est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre. Il a le sentiment que quoi qu’il ait entrepris - militantisme politique ou enseignement - n’a servi à rien.

 

Lorsqu’il débarque à Braylin, modeste université de la Côte Est où il est censé enseigner pendant un été, il est précédé d’une réputation d’intellectuel controversé ayant vécu des événements tragiques. Il devient un sujet de discussion entre enseignants et un objet de grande curiosité de la part des étudiants. Si son excentricité et son charisme sont à la hauteur de sa réputation, sa dépression en surprend plus d’un. Il déconcerte également ses étudiants en leur expliquant que bon nombre de théories philosophiques sont d’une totale vacuité et ne répondent pas aux questionnements existentiels les plus importants.

 

Peu de temps après son arrivée, Abe entame deux liaisons.

 

D’abord, avec Rita Richards (Parker Posey), prof de sciences malheureuse dans son couple. Elle n’est pas satisfaite par son métier, elle boit trop, fume des joints et rêve d’une vie plus épanouissante et plus passionnante. Elle a fantasmé sur Abe, en pensant qu’il tomberait amoureux d’elle et qu’il la sauverait de cette vie misérable.

 

Ensuite, avec Jill Pollard (Emma Stone). Jill vit dans cette petite ville depuis toujours, si bien qu’elle a envie de suivre ce cours de philo qui, espère-t-elle, va lui ouvrir de nouveaux horizons. Si Jill est amoureuse de son petit copain Roy (Jamie Blackley), elle trouve irrésistibles le tempérament torturé et fantasque d’Abe tout comme son passé exotique.

 

Et tandis que les troubles psychologiques de ce dernier s’intensifient, Jill est de plus en plus fascinée par lui. Mais quand elle commence à lui témoigner ses sentiments, il la rejette. C’est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu’Abe et Jill surprennent la conversation d’un étranger et s’y intéressent tout particulièrement.

 

Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d’événements qui le marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.

 

L'homme irrationnel - Joaquin Phoenix

 

Joaquin Phoenix

"Depuis que je suis tout petit, je suis attiré, pour je ne sais quelle raison, par ce qu’on appelle en général les "grandes questions existentielles" (...). Dans mon parcours professionnel, j’en ai fait des sujets qui prêtent à rire lorsqu’il s’agit d’une comédie et, s’il s’agit d’une oeuvre plus sombre, des objets de conflit entre mes personnages." déclare  Woody Allen.

 

Après plusieurs incursions dans la comédie romantique d'époque telle que Minuit à Paris ou Magic in the Moonlight, il semblerait que Woody Allen revienne avec L'Homme irrationnel au thriller amoureux et philosophique à l'instar de Match Point, un des plus grands succès du réalisateur.

 

Ce film marque également une nouvelle collaboration entre Woody Allen et Darius Khondji, son chef opérateur attitré depuis quelques années. Sauf que ce dernier compose ici une image bien éloignée de l'univers romantique et lumineux qu'il avait pu créer lors des tournages de Minuit à Paris et de Magic in the Moonlight. Ainsi, le réalisateur a notamment déclaré qu'il ne souhaitait pas : "Styliser l’image à outrance car le plus important, c’est que le spectateur se passionne pour le parcours des personnages, et les comédiens ont parfaitement joué le jeu."

 

L'Homme irrationnel - Joaquin Phoenix.L'Homme irrationnel -  Emma Stone, Joaquin Phoenix

 

Woody Allen est un fan de Jazz, ses films en sont toujours fortement imprégnés et il est lui-même joueur de trompette. L'Homme irrationnel n'échappe pas à la règle puisque la bande originale du film reprend plusieurs morceaux du groupe Ramsay Lewis Trio, comme The ‘In’ Crowd, Wade in the Water et Look-A-Here.

 

Le metteur en scène en témoigne : "Cette musique possède un tempo et une énergie qui s’accordent très bien aux images, que les personnages conduisent ou marchent à son rythme, ou encore qu’ils se comportent mal. C’est une partition enlevée qui évoque le caractère orageux des personnages."

 

L'Homme irrationnel a été tourné à Newport (dans le Rhode Island), à Providence et dans ses environs, et le campus de l’université de Salve Regina a servi de cadre au fictif Braylin College. Comme bon nombre de ses drames intimes, Woody Allen a tourné le film en format large : "J’ai souvent le sentiment que ce type de format convient bien aux histoires intimes, contrairement aux idées les plus répandues selon lesquelles seuls le western et le film de guerre correspondent à ce dispositif." analyse le réalisateur.

 

L'Homme irrationnel - Emma Stone

 

Emma Stone

Ce film marque les retrouvailles entre Woody Allen et Emma Stone que le cinéaste a notamment dirigée dans son précédent film, Magic in the Moonlight.

 

"Emma est d’une intelligence innée", déclare le réalisateur. "Elle a un registre de jeu extraordinaire : elle peut être tour à tour hilarante et profondément émouvante."

 

Ce qui a attiré Emma Stone sur ce projet, outre le fait de retrouver Woody Allen, est le fait que le scénario traite du hasard et du destin.

Deux thèmes très présents dans la filmographie du réalisateur qui explique vouloir à nouveau explorer une philosophie qui lui est chère :

 

"Je crois ferme dans le caractère totalement aléatoire et futile de l’existence"

 

"C’est ce que j’ai tenté de montrer dans Match Point et qu’Abe enseigne à ses étudiants. La vie tout entière se déroule sans rythme, ni rationalité. Nous sommes tous soumis aux fragiles contingences de l’existence. Comme chacun sait, il suffit d’être au mauvais endroit, au mauvais moment…" affirme le réalisateur

 

L'Homme irrationel - Emma Stone

 

Le coeur du film se trouve dans la relation complexe et ambiguë que Abe commence à entretenir avec une de ses étudiantes, Jill, interprétée par Emma Stone et qui, aveuglé par son romantisme, va tenter de sauver son professeur du pessimisme infini dans lequel il s'est noyé :

 

 

 

 

"L’idée même qu’elle puisse sauver un type dépressif, alcoolique et suicidaire lui semble valorisante d’un point de vue narcissique. "Elle n’est encore jamais venue en aide à quelqu’un au fond du trou, et elle ne se rend pas compte que cela peut la précipiter, elle aussi, dans l’abîme." note la comédienne.

 

Emma Stone précise à propos de son personnage : "Lorsque Jill découvre Abe, Roy lui apparaît un peu comme un fromage blanc : bon pour la santé, mais pas particulièrement exaltant. Quant à Abe, il est comme un coulis de fruits rouge empoisonné qu’on verserait sur le fromage blanc !"

Joaquin Phoenix interprète à nouveau un dépressif résigné, à l'instar des personnages qu'il a pu incarner précédemment dans Two Lovers, The Master ou Her . Allen estime que Joaquin Phoenix possède une « complexité intérieure » qui correspondait à son rôle. « Tout ce que vous
lui demandez de faire, ou de dire, devient intéressant grâce à cette complexité qu’il dégage naturellement, ajoute le cinéaste. « Il n’est jamais statique. »

 

L'Homme irrationnel - Joaquim Phoenix"Abe a toujours cherché à faire quelque chose de constructif de sa vie (...). Mais il a vécu des événements terribles et, au bout d’un certain temps, il s’est mis à avoir le sentiment que ses actions, quelles qu’elles soient, étaient inefficaces. Et s’il a aimé son métier d’enseignant autrefois, il estime que ses cours n’auront une incidence majeure que sur un tout petit nombre de ses étudiants.

 

La plupart d’entre eux mèneront des vies banales et ne se pencheront même pas sur leur passé quand leur fin sera proche."

 

Une décision d’Abe semble lui donner des ailes. Lui qui se sentait inutile et déprimé déborde soudain d’énergie et d’enthousiasme. "Il retrouve soudain goût à la vie. Il apprécie le vin, il aime faire l’amour et il se régale d’un solide petit déjeuner et d’une bonne nuit de sommeil." confie le réalisateur.  Bref, il a envie de vivre. Joaquim Phoenix note : "Abe a de nouveau foi en la vie parce qu’il s’est fixé un but bien précis auquel il croit. C’est exactement ce qu’il cherchait sans même savoir qu’il le cherchait. Il se dit non seulement qu’il fait quelque chose de constructif, mais il a le sentiment de se lancer dans une aventure en mettant son plan à exécution."

 

Bien entendu, le plan qu’Abe s’apprête à mettre en oeuvre est irrationnel.

Même s’il est capable de rationaliser les choses, cet argument ne résiste pas à l’analyse. "Abe finit par croire dans cette initiative irrationnelle, qui est le fruit de nombreuses années de colère et de frustration et d’une vision déformée du monde et des gens," affirme Woody Allen. Abe estime qu’il est à même d’agir selon son bon vouloir parce qu’il pense pouvoir remettre en question les normes les plus conventionnelles. Mais il n’a rien de l’homme rationnel qu’il croit être. "Comme l’explique la mère de Jill, Abe brille sur la forme, mais le fond n’y est pas. Il manie bien la langue, il est cultivé et utilise des arguments intelligents qui ont l’air convaincants, mais si on le pousse dans ses retranchements, sa rhétorique ne tient pas la route." souligne le réalisateur.

 

L'Homme irrationnel  Joaquin Phoenix, Parker Posey

 

Joaquin Phoenix et Parker Posey

Surtout connue pour son attachement au cinéma indépendant, Parker Posey s'est illustrée dans quelques 90 longs métrages, séries ou téléfilms.

 

En 1997, elle obtient le prix du jury au festival de Sundance en 1997 pour The house of yes  : c'est la première fois qu'une comédienne remporte cette distinction habituellement réservée aux films.

 

Elle a été nommée au Golden Globe pour Hell on heels : the battle of Mary Kay et deux fois à l'Independent Spirit Award pour Broken English et Personal Velocity.


Originaire de Baltimore, Parker Posey a fait ses études à la State University de New York et s'est imposée grâce à la série As the world turns. Au cinéma, elle décroche son premier rôle important dans Génération rebelle de Richard Linklater. Depuis les années 90, on la retrouve dans plusieurs films indépendants.

 

L'Homme irrationnel - Joaquin Phoenix, Parker Posey

 

 Joaquin Phoenix et Parker Posey

Mon opinion

 

"Je crois ferme dans le caractère totalement aléatoire et futile de l’existence" déclare Woody Allen.  Partant de cette déclaration ce dernier long-métrage n'étonnera pas vraiment et n'apportera aucun bouleversement majeur dans l'œuvre du cinéaste. La trame reste fidèle à celle qu'il affectionne particulièrement et ne manquera pas de satisfaire ses admirateurs.

 

Le scénario est habile et parfaitement construit. Les dialogues, toujours excellents sont souvent acerbes. Ils servent magnifiquement le propos. Des voix off ne semblent, toutefois, pas indispensables.

 

Tous les personnages émettent des points de vue, font des suppositions qui divergent radicalement mais qui, toutes mélangées, nous rapprochent du principal protagoniste. Je retiens un face à face entre Joaquin Phoenix et Parker Posey. Dès ce moment, le film passe de la comédie pure pour virer dans une forme d'humour noir qui ne manquera pas d'étonner.

 

La photographie du fidèle Darius Khondji reste toujours la même, belle et mordorée. La bande-son confirme l'attrait du cinéaste pour le jazz.

 

Parker Posey trop rare sur nos écrans est parfaite. Le couple formé par Joaquin Phoenix et Emma Stone fonctionne à merveille.

 

Fidèle à lui-même, Woody Allen n'impose rien mais signe un nouveau film que l'on découvre avec une certaine délectation.

17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 18:30

 

Date de sortie 23 septembre 2015

 

Une enfance


Réalisé par Philippe Claudel


Avec Alexi Mathieu, Angelica Sarre, Pierre Deladonchamps,

Jules Gauzelin, Patrick d'Assumçao, Fayssal Benbahmed


Genre Drame


Production Française

 

Synopsis

 

Une petite ville industrielle de l’est de la france, coincée entre banlieue et campagne, canaux et vergers à l’abandon. C’est la fin de l’année scolaire.

 

Jimmy, élève de Cm2, a déjà redoublé deux fois. l’an prochain, ce sera la 6ème, mais avant il y aura le long été et avec lui l’ennui et la solitude. Jimmy (Alexi Mathieu) a un demi-frère, Kevin (Jules Gauzelin), qui a 8 ans.

 

Tous deux vivent avec leur mère, Pris (Angelica Sarre), une jeune femme de 30 ans, qui a récupéré leur garde après un séjour en prison. Son compagnon, Duke(Pierre Deladonchamps) , se contente de l’existence misérable qui est la sienne, vivotant de deals, de petits larcins et des aides sociales perçues par Pris.


Le logement qu’ils occupent tous les quatre est la plupart du temps le lieu de fêtes où alcools et drogues sont au rendez-vous. Les enfants poussent comme ils peuvent dans ce contexte et Jimmy, malgré son jeune âge, se doit souvent d’agir en chef de famille, en ménagère, en cuisinière, en grand frère responsable assumant tous les rôles délaissés par sa mère et son beau-père de circonstance.


Jimmy souffre de voir sa mère souffrir, et de la savoir sous la coupe d’un homme aussi perdu et aussi irresponsable qu’elle, qui la maintient sous sa dépendance et celle de ladrogue qu’il lui fournit. On sent monter peu à peu une grande violence chez l’enfant mais on se demande bien contre qui, contre quoi, elle va pouvoir se porter.

 

Toute la lumière de l’été et la singulière beauté de la nature et des friches industrielles dans lesquelles il erre ne peuvent apaiser sa douleur et sa rage. Et à mesure que l’été, indifférent, se déroule, les ingrédients d’une tragédie se mettent en place, une tragédie au sein de laquelle l’innocence et la violence entreront en fusion.

 

Une enfance

 

Extraits de l'entretien avec le réalisateur réalisé par Laurence Halloche
aux Films du Losange / Juin 2015.

 

Une Enfance est un film qui marque un renouveau dans votre cinéma. Pourquoi cette envie de rebattre les cartes après trois longs-métrages ?


Je me rends compte qu’il m’arrive souvent de créer contre ce que j’ai fait précédemment, pour les livres ou les films. Avant l’Hiver jouait sur certains attendus classiques du cinéma. Par son casting - Kristin Scott Thomas, Leila Bekhti, Daniel Auteuil et Richard Berry – par le format cinémascope, par la géométrie des cadres, l’esthétisation de la lumière, des décors, la fluidité des mouvements de caméra, tout indiquait au spectateur qu’il regardait un objet construit, un exemple codifié appartenant à l’art cinématographique dans ce qu’il a de plus accepté. Après ce film, j’ai eu très vite le désir d’autre chose. en terme d’objet, mais aussi en terme de fabrication : avant même de savoir quel sujet j’allais écrire, j’étais résolu à avoir une équipe qui soit la plus réduite possible pour pouvoir limiter les entraves techniques. Je voulais avoir plus de liberté, de réactivité, de souplesse dans mon travail, être mobile sur les lieux de tournage. J’étais décidé à faire en sorte que la technique soit l’accompagnement d’une volonté artistique et pas l’inverse. S’ajoutait à cela le désir de travailler avec des visages méconnus ou inconnus afin de confronter le spectateur à un univers proche du sien, dans lequel il pourrait aisément se reconnaître ou reconnaître des gens qu’il pourrait croiser dans la vie. Et puis, je rêvais depuis longtemps de filmer la petite ville où je suis né et où je vis, une ville singulière, mi industrielle, mi campagnarde, et dont la composition sociologique permet de parler d’une certaine France d’aujourd’hui. Pour que tout cela puisse se faire, il fallait que je me sente appuyé et compris : j’ai eu la grande chance de rencontrer Margaret Menegoz sans laquelle ce film n’aurait pas pu naître. On ne parle jamais assez, je crois, de l’importance du travail d’un producteur pour un metteur en scène, de la confiance, du soutien qu’il ou elle lui prodigue et qui est essentiel pour qu’il puisse avancer et tenir.

 

Vous êtes né à Dombasle-sur-Meurthe, vous y avez grandi, vous y vivez encore. indépendamment du lien affectif qui vous unit à cette ville, quel intérêt cinématographique a-t-elle ?


Dombasle est une cité industrielle située dans l’extrême banlieue de Nancy, en lisière de campagne. L’une de ses spécificités est d’avoir été modelée par la présence, dès la fin du XiXème siècle, d’une grosse usine qui fabriquait et fabrique encore, du carbonate de soude. Le groupe belge Solvay à qui elle appartient avait une philosophie paternaliste : il a fait construire des logements pour tous ses employés, de l’ouvrier au directeur, des écoles, une bibliothèque, un hôpital, un stade, une salle des fêtes. Ces bâtiments ont la particularité d’être en brique rouge comme en Belgique ou dans le nord de la france, ce qui est très inhabituel en lorraine. Ce qui peut surprendre aujourd’hui c’est que bien des rues ont d’un côté des cités ouvrières comme celles dans laquelle habite Jimmy, le personnage principal, et de l’autre des maisons bourgeoises d’ingénieurs, de directeurs, à l’image de celle où a lieu le goûter d’anniversaire dans le film. Les deux décors, dans la réalité, se font face : dix mètres à peine les séparent. On ne connaît plus aujourd’hui pareille proximité entre des classes sociales très différentes. Depuis longtemps la géographie de nos habitats s’est modelée en fonction d’une géographie des revenus. Une autre curiosité de Dombasle, c’est l’intrication de la nature dans la ville. On ne voit jamais, il me semble, ce genre de paysage au cinéma. dans cette ville, on passe sans transition d’un champ avec des vaches à un entrepôt industriel, des bords bucoliques d’une rivière ou d’un canal au corps monstrueux et bruyant d’une sorte de haut-fourneau. La nature est présente partout, et pas seulement dans les jardins ouvriers de la barre de cités ouvrières où nous avons tourné, dont l’abandon parle aussi de la fin d’un certain modèle social et d’un mode de vie. Là encore, les cartes semblent battues d’une façon qui n’existe plus guère aujourd’hui où les paysages sont soit industriels ou postindustriels, soit campagnards. ici, tout coexiste, tout cohabite, tout s’interpénètre. Visuellement, c’est bien entendu quelque chose de formidable à exploiter, et cela permet aussi d’enrichir la psychologie et le parcours de Jimmy.

 

Notez que Une enfance, hélas, pourra être considéré également et de façon indirecte comme un documentaire puisque les cités ouvrières où vit Jimmy ainsi que les jardins qui en dépendent ont été malheureusement détruits et rasés dès la fin du tournage.

 

Une enfance.Une enfance

Jimmy est de toutes les scènes ou presque. A-t-il été difficile de trouver un jeune comédien pour assumer cette responsabilité ?

 

J’avais envie que l’enfant soit d’ici, qu’il ait 13 ans environ mais en paraisse moins et ne soit pas trop grand. Avec Claire Lefèvre, une des mes anciennes étudiantes de cinéma qui m’aide pour les castings, nous avons lancé des petites annonces, radios, télé, interne. nous avons reçu des centaines de dossiers. Le visage et la voix de l’enfant devaient correspondre à ce que j’imaginais. J’ai fait une première sélection sur photos, puis une autre après une présentation filmée, puis une troisième après des essais et un jour, deux mois avant le début du tournage, est arrivé un garçon, Alexi Mathieu, que j’avais dans un premier temps éliminé sur photo par la faute d’une coupe de cheveux qui transformait son visage et son expression. Ma femme avec laquelle je travaille constamment m’a convaincu tout de même de le rencontrer. Ce jour-là, c’est ma fille qui filmait les essais. Quand Alexi s’est arrêté, ma fille et moi nous sommes regardés, stupéfaits : c’était lui. avec une évidence qui était incroyable. Ce qui est assez drôle, c’est qu’il habite à cinq kilomètres de chez moi.

 

Il n’avait aucune expérience cinématographique. Quelles ont été les principale difficultés pour lui ?

 

Jules Gauzelin, qui joue Kevin son demi-frère, ont à l’évidence un don naturel pour la comédie, mais la grosse difficulté qu’ils devaient affronter était la concentration. Quand pour la première fois les enfants ont rencontré Pierre Deladonchamps et Angélica Sarre qui interprète Pris, cela ne s’est pas bien passé. Alexi et Jules riaient sans cesse. il fallait que ces enfants comprennent que jouer comporte une part ludique, mais qu’il s’agit aussi d’un vrai travail qui demande un sérieux et une implication constants. J’ai donc édicté des règles sur lesquelles nous nous sommes mis tous les trois d’accord. J’ai aussi beaucoup travaillé avec eux en inventant des exercices de respiration, de relaxation, en m’aidant de techniques que m’avait communiquées une sophrologue. J’ai également demandé à l’équipe technique de ne pas plaisanter avec Alexi et Jules durant les premiers jours, mais d’adopter avec eux l’attitude polie, professionnelle et réservée qu’ils auraient eue avec n’importe quel comédien adulte. Mais très vite, dès que nous avons été dans le bain du tournage, les enfants ont compris à quel point le cinéma est un art de la précision, de la technique, de la rapidité d’exécution et de la discipline. ils ont alors été formidables et ont dépassé toutes mes espérances. C’était un pari dangereux évidemment puisque tout reposait sur eux, sur Alexi en particulier.

 

Une enfance

 

Alexi Mathieu, Jules Gauzelin, Angelica Sarre et Pierre Deladonchamps

Pierre Deladonchamps est né à Nancy, il a reçu le César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie. Il avait tout pour vous plaire.


J’avais trouvé formidablement réussi le film de Guiraudie. Je ne savais pas que Pierre était lorrain. Nous nous sommes trouvés ensemble au festival de Gand où je présentais Avant l’Hiver. Au restaurant, nous discutions, Pierre et moi, lorsque ma femme m’a dit à l’oreille : "c’est lui Duke ! " elle avait absolument raison. Je lui ai fait faire un essai pour le plaisir de le filmer, mais ma décision était prise.

 

Une enfance - Pierre Pierre est un très bon comédien qui, s’il trouve les opportunités et fait les bons choix, peut connaître une grande carrière. Il peut tout jouer. Vraiment. et ses transformations physiques sont impressionnantes. Je voulais dans ce film qu’il soit comme un serpent, un couteau, un squale, une sorte de lame menaçante.

 

 

Une enfanceJ’ai eu également le plaisir de confier à Patrick d’Assumçao le rôle de l’instituteur. Patrick jouait aussi dans L’inconnu du lac avec Pierre. Et d’ailleurs, si on ajoute Angelica Sarre et Fayçal Benhamed qui joue Mouss, ce sont les quatre seuls comédiens professionnels d’Une enfance. Tous les autres rôles sont tenus par des habitants de Dombasle ou des environs.

 

Angelica a été une réelle découverte pour moi. C’est une jeune comédienne qui m’avait contacté à l’issue de sa formation de comédienne, il y a quelques années. Je n’avais pas pu la rencontrer mais j’avais conservé ses photos. Quand j’ai écrit le rôle de Pris, j’ai immédiatement vu son visage. Angelica n’hésite pas à se montrer parfois physiquement à son désavantage, ce qui n’est pas fréquent chez les comédiennes dont certaines sont hantées par l’image qu’elles vont laissées d’elles-mêmes. Parfois elle est une Pris rayonnante, solaire, parfois, elle confine à la laideur. Tout cela compose la vérité du personnage, et son intensité.

 

Une enfance - Alexi Mathieu et Angelica Sarre

 

Alexi Mathieu et Angelica Sarre

Mon opinion

 

Philippe Claudel choisit sa ville de naissance et de résidence comme décor de ce dernier film. D'un côté, des enfilades de maisons ouvrières, de l'autre des maisons bourgeoises et des jardins parfaitement entretenus. "Les deux décors, dans la réalité, se font face : dix mètres à peine les séparent. On ne connaît plus aujourd’hui pareille proximité entre des classes sociales très différentes. Depuis longtemps la géographie de nos habitats s’est modelée en fonction d’une géographie des revenus." Précise le réalisateur.

 

Le principal protagoniste est quasiment de toutes les scènes. Sans aucune aide, il lui faut supporter, subir, tenir le rôle d'un père pour son jeune frère. Tout, à l'exception des activités normales que tout enfant aurait le droit de vivre. C'est sur ce point que le réalisateur/scénariste construit avec une certaine férocité toute la trame de ce long-métrage.

 

Le jeune Alexi Mathieu est convaincant et parfaitement crédible.

 

Des personnages, marginaux pour la plupart, vomissent des dialogues bourrés de ressentiment qui résonnent comme autant de clichés. Ceux-ci trouvent toutefois une réelle vraisemblance grâce à des acteurs de talent.

 

Patrick d'Assumçao en instituteur attentionné et compréhensif, est excellent tout autant qu'Angelica Sarre dans le rôle de la mère.  Pour tenir le rôle de Duke, Philippe Claudel "voulait qu’il soit comme un serpent, un couteau, un squale, une sorte de lame menaçante". Son souhait s'est réalisé. Pierre Deladonchamps est parfait.

17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 18:00


Date de sortie 14 octobre 2015

 

Belles familles


Réalisé par Jean-Paul Rappeneau


Avec Mathieu Amalric, Marine Vacth, Gilles Lellouche,

Karin Viard, Nicole Garcia, Guillaume De Tonquédec, André Dussollier


Genre Comédie dramatique


Production Française

 

Synopsis

 

Jérôme Varenne (Mathieu Amalric), qui vit à Shanghai, est de passage à Paris. Il apprend que la maison de famille d’Ambray où il a grandi est au cœur d’un conflit local. Il décide de se rendre sur place pour le résoudre. Cette échappée provinciale changera sa vie…

 

Belels familles -

 

Mathieu Amalric, Karin Viard, Gilles Lellouche et Marine Vacth

Entretien avec Jean-Paul Rappeneau

 

Cela faisait dix ans que vous n’aviez pas tourné…


Normalement, je mets cinq ans à faire un film, une sorte de plan quinquennal involontaire... Je n’ai jamais un film d’avance, à chaque fois je repars à zéro. Là, j’ai laissé passer deux fois cinq ans depuis Bon Voyage, parce qu’entre temps il y a un film qui ne s’est pas fait, un film que j’avais longuement écrit et préparé, et qui, faute de financements, a été annulé deux mois avant le tournage.

C’est la première fois que cela m’arrivait. Je traversais donc un moment de déprime. Je comprends que le cinéma a changé, que les films que j’avais aimé faire coûteraient trop cher aujourd’hui, et je me mets à la recherche d’un sujet plus simple.
Je repense à une histoire que j’avais souvent racontée sans aller plus loin que la première partie. L’histoire d’un homme qui partait vers le Midi, avec une jeune femme qui était peut-être sa fiancée, enfin, quelqu’un de nouveau dans sa vie. Ils roulent vers la Côte d’Azur et, sur la route, à mi-chemin, il voit qu’en fait ils ne sont pas loin d’un endroit où il a passé son enfance. Il dit à cette femme : "Mais au fond allons-y, je vais t’emmener voir la maison où j’ai vécu". Il y allait, il trouvait la maison. Tout avait changé, et dans cette maison, vivait une jeune fille…


Donc, vous aviez déjà un homme, deux femmes, une maison. Qu’est-ce qui manquait ?


En fait, dans les films que j’ai réalisés jusqu’alors, il y avait toujours, au départ, une accroche très forte. Dans La vie de château, un agent secret se cache dans la cave pour préparer le Débarquement. Dans Les mariés de l’An II, un homme va se marier en Amérique, on découvre qu’il est déjà marié en France. Ca démarrait sur les chapeaux de roue.
Là, après l’expérience triste du film annulé, je me suis dit : "Mais pourquoi convoquer les grandes eaux tout de suite ? Pourquoi ne pas démarrer en douceur ? ".

J’ai rencontré Jacques Fieschi, je lui ai parlé de plusieurs idées, et quand je lui ai raconté cette histoire de la maison, il s’est arrêté :

"Ah ça, c’est pas mal".

"Ben oui, mais qu’est-ce qui se passe après ?".

"Tu verras, mais déjà c’est pas mal ".

 

Et cette maison est devenue la vôtre.


Assez vite je me suis dit : "Bon, le moment est venu : arrêtons de tourner autour du pot. Il est temps que je revienne un jour dans la province où je suis né et où j’ai passé dix-huit années, avant de monter à Paris pour faire des études". Quand j’y retourne aujourd’hui, la maison où j’ai vécu n’existe plus. Il y avait un parc, mais les arbres ont été rasés. A la place, il y a un bloc de béton, un monolithe qu’on dirait tombé du ciel, comme dans un film de Kubrick. Un immeuble ! Pourtant, à côté, rien n’a changé, le vieux quartier est le même. Ca me plaît beaucoup, parce que la maison existe encore, mais uniquement dans ma tête. Elle est comme intouchable. Dans ma mémoire, j’ai tout. Je sais combien de marches il faut monter pour être au premier, la longueur du couloir à droite… C’est ce qui nous a guidés dans nos repérages d’ailleurs. Quand on cherchait la maison, je pouvais dire, sur un décor : "C’est ça ! ".

 

Belles familles - Karin Viard et Mathieu Almaric

 

Karin Viard et Mathieu Amalric

Il y avait l’idée de rentrer chez vous.


Exactement. C’est une idée qui hante beaucoup de cinéastes. Bertrand Tavernier, dès son premier film, retourne à Lyon, sa ville natale. Arnaud Desplechin est revenu une nouvelle fois à Roubaix, avec Trois souvenirs de ma jeunesse. Et Tim Burton dans Edward aux mains d’argent revisitait Burbank, la banlieue de Los Angeles où il est né. Il disait : "On peut aller où on veut, on ne quitte jamais l’endroit où on a grandi". C’est ce que je répétais à mes co-scénaristes, Julien, mon fils, puis Philippe Le Guay, qui nous a rejoints.
Au fond il y a toujours eu des maisons dans mes films. Dans  La vie de château, la maison était devenue un manoir. Et pourquoi j’ai fait  Le Sauvage ? Parce qu’il y avait une maison en bois avec un ponton, sur une île, où un homme s’était retiré pour vivre seul. Dans Tout feu tout flamme, j’ai imaginé un ancien casino au bord du lac Léman, ce qui n’existe pas. Cette fois, l’idée était de tourner une sorte d’autobiographie imaginaire puisqu’au fond, dans ce qui est raconté, tout a un lien avec moi mais rien n’a de lien avec ma véritable vie. En fait, si on se met à chercher vraiment, on trouve des correspondances bien sûr, mais aussi des choses arrivées dans d’autres familles, ou liées à d’autres encore…

 

C’est l’esprit plus que la lettre ?


Oui, c’est un roman familial imaginaire. Mais je voulais que la ville aussi soit imaginaire. C’est pour cela qu’on a tourné dans plusieurs lieux, c’est un mélange. Quand je retourne dans la ville où je suis né, je la reconnais mal, je traverse ces zones commerciales infinies, et je vois sur les collines les tours qui entourent la ville, comme celle où vit Gilles Lellouche dans le film. Il y avait l’idée de montrer la France d’aujourd’hui mêlée à celle d’hier. Une province des années cinquante, dans le grand bain de la mondialisation. Ce garçon qui revient a vécu longtemps ailleurs, en Chine. Il vit avec une brillante jeune Chinoise qui, venue de sa campagne, est sortie major de sa promotion à l’Institut de Technologie de Pékin. Ensuite, elle est allée à Shanghai, elle a rencontré Jérôme. Ensemble, ils ont créé une start-up, et ils viennent en Europe pour signer un accord avec un grand groupe anglais. Tout ça est suggéré dans le film, pas vraiment expliqué, mais tout est vrai. Le monde flotte autour de la petite ville. Les moyens de communication modernes jouent leur rôle. C’est Bertrand Tavernier qui, en voyant le film, a dit : "C’est la première utilisation du portable comme Feydeau l’aurait fait !".
En avançant dans l’écriture, je voyais bien que cela n’allait pas partir, comme je l’ai dit tout à l’heure, sur les chapeaux de roue, qu’en fait on allait rentrer progressivement dans des ambiances et que, par couches successives, ces ambiances finiraient par faire sujet. C’est ça qui m’a intéressé, c’était le défi. Ne pas se lancer tout de suite dans une comédie à gags, mais dans un monde où l’on serait pris peu à peu dans les fils qui se tissent entre les personnages. On les découvre, les uns après les autres, avec leurs vies, leurs désirs et leurs failles. Et à la fin, musicalement, on va vers quelque chose qui est le climax du film, dans ce festival de musique autour du concerto no 1 de Schumann. On est, dans ce final, à la limite de l’opéra que j’aime tant.

 

Belles Familles - Mathieu Almaric et Gilles Lellouche

 

Mathieu Amalric et Gilles Lellouche

Ça démarre par de la musique de chambre et ça se termine par un grand orchestre...


Oui, cet espace s’ouvre peu à peu. Et ça me plaît qu’en fait on ne sache pas très bien où l’on va, qu’on soit dans l’attente, au lieu d’annoncer le sujet avec vacarme. Cela permet d’être plus proche de la vie et des émotions, en élargissant jusqu’à ce que les émotions submergent tout. Dans les scènes, finalement, chacune a sa couleur, sa drôlerie, ou son interrogation, mais pendant qu’on goûte cette scène, qu’on la savoure, en même temps inconsciemment on sait que derrière il y a une autre histoire qui avance, l’histoire du film, et qu’en définitive chaque scène n’est qu’un des éléments du puzzle. On regarde la pièce du puzzle tout en sachant qu’on est en train de nous bâtir un ensemble. Et là dans ce film, ce qui m’a plu c’est que, pendant un temps, on ne sait pas vers quoi on va, quelle sera la grande figure du puzzle. C’est un film impressionniste, il est plus musical dans la mise en scène, je trouve. Pas de prise de la Bastille, pas d’attaque du mur de l’Atlantique, mais des choses plus douces, plus prenantes, j’espère.

 

Vous avez laissé plus de place à l’émotion ?


Le film au tournage est devenu plus drôle et en même temps plus émouvant que ce que j’imaginais au départ. Ce que j’aime beaucoup dans l’histoire c’est que ces Belles familles sont au pluriel. Il y a une famille bien sûr, mais surtout une deuxième famille… Et je peux vous dire que dans ma ville natale, on ne parlait que de ces histoires-là. Ceux qui ont vu le film et qui connaissent la ville m’ont dit : "Ah mais là ca ressemble à l’histoire de … ?". "Mais oui, c’est ça ! ". Il faut dire que j’ai eu une gaîté à écrire, parce que j’étais chez moi. Tout, je connaissais tout ! Les personnages ressemblent tous à des gens que j’ai connus. Les petites et les grandes aventures, je sais qu’elles sont arrivées à untel, à moi, à d’autres. Il ne s’agissait pas d’inventer à tout prix…

 

Votre héros est insaisissable.

Comment fait-on d’une anguille un personnage aussi romanesque ?


Belles Familles - Mathieu AlmaricDepuis très longtemps je voulais travailler avec Mathieu Amalric, et quand j’ai commencé à penser au personnage, j’ai su que le moment était venu. Parce qu’il exprime une pensée, rien que par sa présence, une pensée en mouvement. J’ai vite compris qu’au fond il me représentait. Vous dites "l’anguille" et il y a de cela dans le personnage, en tout cas il y a une chose qui est un peu la mienne, c’est que je peux être très pressé, très agité, en même temps je peux être absolument dans l’attente, comme un lièvre dans les hautes herbes qui ne bouge pas tant qu’il n’entend pas les chasseurs s’éloigner. Donc ce mélange de rapidité et de réflexion, de lenteur même, me ressemble. C’est ce que Mathieu exprime, magnifiquement. Mais, bon… ça ne l’a pas trompé. Dès qu’il a lu le scénario, il m’a dit : "Enfin vous parlez de vous !".

 

Est-ce cela qui a contribué à votre sérénité sur le tournage où vous étiez comme un poisson dans l’eau ?


Effectivement, je n’ai jamais été aussi heureux sur un tournage que sur celui-là. Je n’avais pas de crainte, je connaissais tout, j’étais chez moi, avec une équipe extraordinaire et peut-être, le fait que tout le monde savait qu’il y avait dix années que je ne m’étais pas trouvé sur un plateau, tout le monde voulait m’aider à revenir, oui ! A commencer par mes producteurs, qui sont devenus des amis, qui m’avaient déjà aidé en sauvant Bon Voyage qui avait failli ne pas se faire, et qui, cette fois encore, sont venus sauver le soldat Rappeneau et le film ! Et puis les acteurs, qui ont formé autour de moi comme une nouvelle famille. Je les adore tous. Marine, Karin, Nicole, Gemma, Claude Perron et Mathieu, et Guillaume, et André Dussollier avec qui je rêvais depuis toujours de travailler, et Jean Marie Winling, qui était déjà dans Cyrano, et Gilles Lellouche que je trouve extraordinaire dans le rôle de Grégoire Piaggi, le promoteur, le prince de la région. Dans ses moments de panache, il m’a souvent fait penser à Yves Montand. En même temps, il peut être un homme qui souffre et dans cette souffrance il est bouleversant.

 

Marina Vacth - Belles famillesParlons de Marine Vacth, que vous avez choisie très vite...


Je ne la connaissais pas, j’avais vu le film de François Ozon et bien sûr, je savais qu’elle était d’une beauté hors du commun. Un jour, elle est venue me voir. Elle s’est assise en face de moi. Elle était très enceinte et, selon la façon dont elle bougeait sur le canapé, elle déplaçait son ventre avec ses deux mains à droite ou à gauche. Elle était là et pour moi, c’était elle immédiatement, Louise, le personnage du film ! Elle est très belle, très vive, mais surtout il y a un mystère en elle, on le voyait d’ailleurs déjà dans le film d’Ozon. Il y a quelque chose d’indéfinissable qui flotte, on ne sait pas quoi. Ce mystère-là fait partie du mystère des grandes actrices et elle l’a déjà.

 

 

 

Elle s’est vite mise à votre tempo légendaire ?


C’est vrai que je suis très regardant sur le tempo, sur le rythme. Un film, c’est comme un ressort qu’on tend et qu’on détend, et il ne faut pas perdre la tension, ne pas laisser le film flotter, comme une voile qui flotte le long du mât quand le vent tombe. Là, tout peut foutre le camp. Pour arriver à ce travail sur le rythme, c’est très long, très compliqué et tout ça, c’est pour aboutir à une grâce. Romain Gary disait : "La grâce, c’est le mouvement". J’aime que les personnages soient en mouvement, dès que ça ne bouge plus je m’inquiète, mais en même temps il ne faut pas que cela se voie.
Patrick Modiano, avec qui j’ai écrit Bon Voyage, disait : "C’est ton serti invisible". C’est un terme de bijoutier, pour certaines pierres, il ne faut pas voir comment elles tiennent. Je veux qu’on ne voie dans la scène que les sentiments qu’elle exprime.
Notre cher Gérard Depardieu avait remarqué, comme tous les acteurs avec moi, que je me balance pendant qu’ils jouent, parce que je bouge dans le rythme des répliques, donc puisqu’il y a des mouvements, autant que le metteur en scène soit aussi en mouvement… Il y a des acteurs que cela gêne beaucoup, mais lui, Gérard, il aimait beaucoup ça. Un jour, sur Cyrano, il est lancé dans une grande tirade, puis, d’un seul coup il s’arrête. "Qu’est-ce qui se passe ?", je pense qu’il a un malaise, mais il me dit : "Non, c’est toi qui ne bouge plus !". Effectivement, il avait oublié un vers, du coup, ça m’avait stoppé net, il l’avait vu immédiatement…

Vous travaillez beaucoup le découpage du film, avant le tournage...


La mise en scène c’est quand même l’art de gérer des personnages dans un espace. Et l’espace, c’est d’abord un lieu, un décor et tant que je n’ai pas trouvé ce lieu, la scène pour moi n’existe pas. Ensuite, une fois que j’ai tous les décors, que j’ai les plans, les maquettes, que je connais les lieux, que je les ai parcourus en long, en large, que je connais la distance entre les murs, la porte et la fenêtre, alors j’attaque ce moment très particulier du découpage. Pour moi, c’est là que le film se fait. C’est un travail que je fais avec ma scripte. Pendant longtemps ça a été ma soeur Elizabeth, maintenant je le fais avec Chantal Pernecker, une technicienne de cinéma hors pair. On s’enferme dans mon bureau pendant quelques semaines, et on fait le découpage. Ca consiste pour moi à inventer, à imaginer le déplacement dans ces espaces que je connais parfaitement, au centimètre près. Donc, devant Chantal, je joue les scènes. J’entre, je me déplace, je parle. Et elle est la première spectatrice. "Mais comment est-ce que tu peux voir le …? Peut être qu’il y a une glace ?". "Ah oui une glace, attends... ". Et je dessine le plan de la glace. Et, petit à petit, le film se construit, imageaprès image, avec aussi les déplacements des acteurs.
Je me souviens de ma soeur Elisabeth avec qui je faisais le découpage de Cyrano qui était allongée sur le tapis, et qui disait : "J’en ai marre de jouer la mort de Cyrano !". J’insistais : "Reste un instant encore, là je regarde si j’ai besoin d’un travelling.... "Oui, mais j’ai mal aux reins !". Ce découpage permet de sentir si les mouvements sont justes, parce qu’au fond on travaille pour les acteurs, ce sont les acteurs qui font le film, qui lui donnent sa chair. Alors pour qu’ils soient bons, pour qu’ils soient à l’aise, il faut qu’ils soient dans un vrai sentiment. Et le mouvement exprime le sentiment, mieux que des mots. Par exemple, dans le film, Marine Vacth fait entrer, grâce à un chemin secret, Mathieu Amalric dans cette maison qui a été leur maison d’enfance à tous les deux, dans des époques différentes. Tout est abandonné, c’est une désolation. Il se tourne vers elle et écarte les bras, elle écarte les bras elle aussi. Et c’est toute la nostalgie de leurs souvenirs qu’ils expriment ainsi, sans un mot.

 

Pour la première fois, c’est votre fils, Martin, qui a composé la musique.


La musique, c’est le seul moment où un type comme moi qui est un peu devenu le film vivant, un type qui s’est occupé de tout, même de la taille des bougies ou de la place des petits pains sur une table, va devoir confier les clefs de la maison à un autre artiste : le musicien ! C’est pour moi et pour d’autres un suspense terrible : qu’est-ce qu’il va nous trouver ?
Cette fois j’ai fait appel à Martin, qui est un grand mélodiste. A sa demande, on avait fait venir un piano dans mon bureau. Il venait chaque semaine et me jouait des thèmes. Certains me plaisaient, d’autres moins, il les écartait immédiatement. Il revenait aux premiers, les modifiait, les améliorait devant moi en direct. Pas de bataille d’égo, pas d’amour propre, il y a une telle connivence entre nous depuis toujours…On avançait ensemble, c’est si rare.
Et l’enregistrement à Londres fut un grand moment de bonheur… filial !

 

Le montage, c’est une étape que vous aimez ?


C’est un moment heureux pour moi. Il n’y a plus de risques. Il n’y a plus la course contre la montre. Si on ne finit pas aujourd’hui, on reprendra demain matin. Alors que, sur le tournage, on passe son temps à regarder l’heure ! Même si les résolutions que j’avais prises après l’arrêt du film qui ne s’est pas tourné m’avait fait choisir un sujet plus simple à réaliser, donc moins stressant à faire, une seule chose me préoccupait : que le monde, la mondialisation soient présents à l’image. Mes producteurs l’ont compris. Grâce à eux, Shanghai, Londres, Zanzibar sont dans le film, nous y avons vraiment tourné !
Véronique Lange a d’abord monté seule le découpage prévu. Je l’ai rejointe à la fin du tournage et là, nous nous sommes autorisés à changer l’ordre des choses. Enfin, légèrement…Véronique fut la monteuse de mon ami Claude Miller, et nous nous sommes entendus à merveille. Ce fut un moment harmonieux. Elle a une grande sensibilité, beaucoup de finesse… et un rire dévastateur.

 

Quand vous voyez le film terminé, qu’est-ce qu’il vous apprend sur vous ?


Il faut que j’y réfléchisse, il est trop tôt ! J’espérais depuis longtemps raconter l’histoire d’un amour qui naît par d’étranges chemins. Mais par pudeur, je ne le faisais pas. Et puis voilà, ça s’est trouvé et je suis content de cela…

 

Belles Familles - Mathieu Almaric

 

 Marine Vacth et Mathieu Amalric

Mon opinion

 

La mise en scène de Jean-Paul Rappeneau est dynamique et ne manque pas d'élégance.

 

Elle tient la cadence face à un scénario, toutefois, sans aucune originalité. Une simple satire de notre époque qui frôle tous les poncifs. Trop alambiqué, aussi, il peine à trouver son véritable envol.

 

Si la dérision est de mise, trop d'intrigues finissent par nuire à l'intérêt que l'on pourrait porter aux principaux protagonistes.

 

Je retiens la très belle photographie. Un beau casting aussi, certes. Mais une course folle ajoutée à la multiplication des personnages ne donnent pas aux acteurs une chance d'exister individuellement.

13 octobre 2015 2 13 /10 /octobre /2015 18:15

 

Date de sortie 9 septembre 2015

 

Les chansons que mes frères m'ont apprises


Réalisé par Chloé Zhao


Avec John Reddy, Jashaun St. John, Taysha Fuller,

Eleonore Hendricks, Irene Bedard, Cat Clifford, Travis Lone Hill


Genre Drame

 

Titre original Songs My Brothers Taught Me


Production Américaine

 

Synopsis

 

Johnny (John Reddy) vient de terminer ses études.

 

Lui et sa petite amie s'apprêtent à quitter la réserve indienne de Pine Ridge pour chercher du travail à Los Angeles.

 

La disparition soudaine du père de Johnny vient bousculer ses projets.

 

Il hésite également à laisser derrière lui Jashaun (Jashaun St. John), sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche. C'est tout simplement son avenir que Johnny doit maintenant reconsidérer…

 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - John Reddy

 

 John Reddy

Interview de Chloé Zhao par Frédéric Strauss.

Publié le 06/09/2015 pour telerama.fr.

 

En compétition à Deauville avec Les Chansons que mes frères m'ont apprises, balade mélancolique dans une réserve indienne du Dakota, Chloé Zhao, née en Chine et installée à New York depuis dix ans, observe avec un regard critique le cinéma indépendant américain.

 

Vous êtes née à Pékin et vous avez tourné Les Chansons que mes frères m'ont apprises dans un réserve indienne du Dakota. Qu'est-ce qui vous a guidée jusque là ?


Je me suis toujours intéressée aux histoires de gens marginalisés dans la société. Je viens de Pékin mais j'ai beaucoup voyagé et je n'ai jamais vécu longtemps au même endroit, je n'ai de racines nulle part. Quand je suis allée au Dakota et que j'ai découvert la réserve de Pine Ridge, je me suis retrouvée comme au fond d'un lac : c'est un monde où rien ne bouge, rien ne change. Même si la culture des Indiens a été en partie détruite par les États-Unis, les choses restent semblables à ce qu'elles ont toujours été et les Indiens qui vivent là sont vraiment enracinés. Pour moi qui vient de Chine, où tout change, où tout est sans cesse modernisé, cet endroit était fascinant.

 

Vous en montrez aussi des aspects très sombres. Il s'agit pour vous de tirer un signal d'alarme sur les conditions de vie de ces Indiens ?


J'ai étudié les sciences politiques et la politique américaine quand je suis arrivée aux États-Unis, je connais donc assez bien l'histoire des Indiens. Mais je n'ai pas voulu faire une démonstration. Ce que je tenais à montrer, c'est une jeunesse livrée à elle-même dans cette réserve où l'espérance de vie est si basse, autour de 45 ans, que la moitié de la population a moins de vingt ans. Il y a de bons parents parmi les adultes, mais il y a aussi beaucoup d'orphelins et les jeunes prennent donc soin les uns des autres. Le suicide parmi eux est malheureusement dévastateur.
Et le danger le plus grand, c'est le diabète, qui tue les gens. Ils mangent essentiellement de la nourriture en boîtes de conserve que leur donne l'État américain. Il y a donc quantité de problèmes et il n'était pas possible pour moi de les aborder tous dans le cadre d'une fiction. Il n'y a de toute façon pas de solution à court terme. Michelle Obama elle-même l'a dit récemment : il ne s'agit plus seulement de donner des aides financières et alimentaires aux Indiens, mais de reconstruire leur nation. Et cela prendra du temps.

 

En tournant dans cette réserve, quel était l'avantage que la fiction vous donnait ?


Il y a eu beaucoup de reportages sur cette réserve. Et beaucoup de mauvais reportages. Tous les chiffres terribles sur l'économie et la santé des Indiens de Pine Ridge ont attiré les télévisions, qui viennent voir ce qui est, en quelque sorte, le "Ground Zero" de la société américaine, l'endroit où les conditions de vie sont les pires de tout le pays. Les journalistes débarquent avec leur liste de problèmes à illustrer : l'alcoolisme, le suicide, la maladie, le chômage...
Et les Indiens sont tellement habitués à ces reportages qu'ils savent comment donner aux journalistes exactement ce qu'ils veulent. Et rien d'autre. Tout est ainsi réduit à un cliché et à un show. Je voulais aller au-delà de ces réflexes, avoir accès à une réalité plus profonde. Pour cela, la fiction était utile, elle cassait les habitudes et ouvrait une autre forme d'expression. Les gens de la réserve étaient très contents quand je leur parlais d'une fiction. Ils pouvaient y mettre leur vérité sans avoir l'impression de devenir des phénomènes de curiosité.

 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - Jashaun St. John &John Reddy

 

John Reddy et Jashaun St. John

Comment avez-vous trouvé les financements pour tourner ce film très différent de tout ce qu'on voit ?


Je n'en ai pas trouvé ! J'ai travaillé pendant trois ans sur un scénario que j'aurais dû tourner avec un budget trois fois plus important et que j'ai dû finir par abandonner. C'était un scénario où l'action et les intrigues avaient plus de place. J'ai eu beaucoup d'aides institutionnelles pour travailler sur ce scénario mais quand nous avons recherché un financement, de l'argent privé donc, personne ne voulait investir dans le film ! On m'a même dit que si je tournais avec les acteurs de Twilight, je trouverais peut-être un producteur.


Pine RidgeMais j'avais trouvé mes deux jeunes comédiens principaux à Pine Ridge et je les voyais grandir, je voyais qu'ils n'allaient plus pouvoir jouer leurs personnages. Alors, j'ai décidé de tourner sans attendre, en organisant les choses de façon à réduire les coûts, car nous n'avions vraiment pas beaucoup d'argent. J'ai adapté l'histoire à mes moyens, j'ai tiré profit de ce qui se passait autour de nous pendant le tournage, j'ai essayé d'exploiter au mieux une situation très difficile. Et j'ai fait mon film.

 

Votre vision du cinéma indépendant est donc critique ?


Je risque de m'attirer des ennuis en vous répondant, mais ce que je vais dire sera heureusement traduit en français. J'ai perdu toutes mes illusions concernant le cinéma indépendant américain. Je ne connais pas assez bien la situation des cinéastes en Asie et en Europe pour faire des comparaisons, mais aux États-Unis, il y a si peu d'argent pour les cinéastes indépendants que la prise de risque n'est plus possible. Les gens veulent être sûrs qu'en mettant de l'argent dans une production indépendante, ils vont récupérer cet argent.
Il y a de grandes institutions comme Sundance qui fonctionnent sur un autre modèle que celui de la rentabilité immédiate mais dès qu'on rentre dans le cercle des vrais investisseurs, on doit pouvoir les rassurer avec un projet sans risque, sinon on n'obtient rien. Même dans les écoles de cinéma, où l'esprit cinéphile était très vivant, c'est la course aux financements qui compte et le cinéma indépendant n'existe plus que dans sa version capitaliste. Mais je suis un cas extrême. Je suis chinoise, je suis jeune, je suis une femme, mon film parle des Indiens de Pine Ridge, n'est interprété que par des non-professionnels et n'a pas une histoire spécialement bien ficelée. En fait, je corresponds à toutes les formes de risque qu'il faut éviter !

 

Vous êtes donc un exemple de résistance ?


Je pense que beaucoup de jeunes cinéastes peuvent être intéressés par une démarche comme la mienne. J'espère que mon film peut représenter un encouragement pour eux mais je me suis sentie très seule dans cette aventure. Les distributeurs américains me disent maintenant qu'ils ne savent pas comment ils pourraient sortir mon film. Parce que j'ai tourné ce film sans entrer dans un moule, je me retrouve à la fin face à des distributeurs qui ne savent plus travailler avec un film indépendant non formaté.
 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - Jashaun St. John

 

 

On va essayer de distribuer nous-mêmes Les Chansons que mes frères m'ont apprises aux États-Unis, pas nécessairement dans les grandes villes mais dans les bonnes villes. C'est important que ceux qui jouent dans le film puissent se voir sur un grand écran. C'est une reconnaissance essentielle. C'est pour ça que je tiens à la sortie en salles. On ira forcément sur une plateforme vod, mais j'espère seulement après la salle.

 

Qui incarne le mieux à vos yeux l'idée d'indépendance ?


Xavier Dolan. J'ai beaucoup pleuré en voyant Mommy et je me suis sentie renaître, c'est un film qui porte de l'espoir pour le cinéma.

 

Jashaun St. John

 

Une définition de l'indépendance ?


C'est comme quand vous allez vous coucher à la fin de la journée et que vous pouvez vous dire que tout au long de cette journée, vous êtes resté fidèle à ce que vous êtes, à ce que vous croyez. Faire un film, c'est être fidèle à une vision, à une approche du cinéma. C'est ça l'indépendance, c'est la seule chose que vous pouvez avoir en dehors de tous les jeux d'argents qui mènent l'industrie du cinéma. Bien sûr, je ne suis pas naïve, il faut trouver un moyen de vivre. Et trouver un public, pas nécessairement énorme, qui s'intéresse à vos films et soit prêt à vous suivre. Mais tout ça peut être possible.

 

Hollywood fait-il toujours rêver ?


J'ai grandi dans la Chine communiste, Hollywood m'a sauvé la vie ! Hollywood m'a permis de rêver et si je suis partie aux États-Unis, c'est sans doute grâce à ce rêve. J'avais onze ans quand, en 1995, la Chine a autorisé la diffusion de MTV, Michael Jackson et Madonna sont aussi entrés dans ma vie. Mais la Chine n'a pas autorisé la sortie des trois premiers Star Wars car des films où le méchant est un empereur envoyaient un mauvais message et ne pouvaient pas être montrés ! Je pense que j'aurais été une personne différente si on m'avait autorisé à voir Star Wars, L'Empire contre-attaque et Le Retour du Jedi ! Il a fallu que j'attende La Menace fantôme, qui a pu sortir, en 1999. Je ne suis donc vraiment pas contre Hollywood. C'est un rêve en soi. Ça pourait être un plus beau rêve, un rêve de meilleure qualité. L'imagination devrait être sans limite et ça, Hollywood pourrait le montrer davantage. Mais j'ai de grandes espérances pour le prochain Star Wars, je crois qu'ils ont compris qu'ils devaient revenir à ce qu'est vraiment cet univers qu'on aime tant, ils ne vont pas refaire la guerre des clones !

 

Dans dix ans, quelle cinéaste serez-vous ?


Wong Kar-wai était mon héros mais il tourne maintenant des films à gros budgets en Chine et je ne crois pas que ça sera mon chemin. La carrière de Lars von Trier est très intéressante à mes yeux, même si sa personnalité est controversée. Il fait les films qu'il a envie de faire et il en trouve les moyens. Il a beaucoup d'audace, il se lance dans des projets très différents tout en défendant toujours sa sensibilité propre. J'aimerais pouvoir un jour me retourner sur mon travail et avoir les mêmes choses à en dire.

 

Songs My Brothers Taught Me

 

Chloé Zhao et John Reddy  (pendant le tournage.)

PhotoEléonore Hendricks

Mon opinion

 

Un film porté à bout de bras par Chloé Zao, à la fois réalisatrice, scénariste et co-productrice. Un financement difficile, quasi inexistant. "Si je tournais avec les acteurs de Twilight, je trouverais peut-être un producteur" a-t-elle révélé.

 

L'ensemble est d'une grande pudeur, d'une extrême simplicité, d'un profond réalisme et magnifié de bout en bout par les deux jeunes principaux protagonistes.

 

Cette région des États-Unis, tout aussi angoissante que belle, est particulièrement mise en valeur par une très belle photographie. Ces "badlands" font penser à La balade sauvage de T. Malick.

 

Pendant toute la durée du film nous suivons, dans un certain désordre, des destinées d'enfants, femmes et hommes, vivant tels des exclus. Entre misère totale, drogue et alcool, leur espérance de vie tourne autour de 45 ans. "Il y a de bons parents parmi les adultes, mais il y a aussi beaucoup d'orphelins et les jeunes prennent donc soin les uns des autres. Le suicide parmi eux est malheureusement dévastateur" indique Chloé Zao.

 

Avant de reconnaitre :"Il n'y a de toute façon pas de solution à court terme. Michelle Obama elle-même l'a dit récemment : il ne s'agit plus seulement de donner des aides financières et alimentaires aux Indiens, mais de reconstruire leur nation. Et cela prendra du temps."

 

Un brin d'espoir avec ce qui reste une prédiction.  Celle de Crazy Horse, leader à son époque des Lakotas. "Le renouveau viendra avec la septième génération". Les regards magnifiques des deux jeunes acteurs poussent à y croire.

 

Ce film a le grand mérite de mettre en lumière ces être humains, qui semblent oubliés par l'ensemble de leurs concitoyens. À souhaiter aussi qu'il bouscule les consciences.

 

Pour ma part, un moment de cinéma, fort, rare et qui restera mémorable.

10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 17:10


Date de sortie 16 septembre 2015

 

Much Loved


Réalisé par Nabil Ayouch


Avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane,

Sara Elmhamdi-Elalaoui, Abdellah Didane, Danny Boushebel

 

Titre original ZIn li fik


Genre Drame

 

Production Marocaine, Française

 

À la 8ème édition du Film Francophone d'Angoulême Much loved reçoit :

- Valois d’or (Prix TV5 Monde)

- Valois de la meilleure actrice pour Loubna Abidar

 

Synopsis

 

Marrakech, aujourd'hui.

 

Noha (Loubna Abidar), Randa (Asmaa Lazrak), Soukaina (Halima Karaouane) et Hlima (Sara Elmhamdi-Elalaoui) vivent d'amours tarifées.

 

Ce sont des prostituées, des objets de désir. Vivantes et complices, dignes et émancipées, elles surmontent au quotidien la violence d’une société qui les utilise tout en les condamnant.

Nabil AyouchNabil Ayouch  est né le 1er avril 1969.

Il vit et travaille à Casablanca.

 

Après quelques années passées au théâtre, trois courts métrages et des spots publicitaires,  Ses films ont été largement primés à travers le monde dans divers festivals et vendus dans de nombreux pays.

 

En 1992, son premier court métrage, Les pierres bleues du désert, révèle Jamel Debbouze. En 1997, il réalise son premier long métrage, Mektoub, suivi de Ali Zaoua, prince de la rue en 2000.

 

 

Les deux films représentent le Maroc aux Oscars en 1998 et 2001 et imposent Nabil Ayouch dans le paysage du cinéma marocain et mondial.

 

Après Les chevaux de Dieu (Festival de Cannes 2012, Sélection Officielle), Much loved, le septième long métrage du réalisateur, est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2015.


Nabil Ayouch revient ponctuellement au spectacle vivant, puisqu’il conçoit et met en scène le spectacle de clôture du Forum Economique Mondial de Davos (Suisse) et l’ouverture du Temps du Maroc au Château de Versailles en 1999.


Il est aussi producteur, via sa société Ali n’ Productions, créée en 1999, qui vise avant tout à aider de jeunes réalisateurs à se lancer. Il découvre et produit les nombreux jeunes talents de la Film Industry, Made in Morocco, expérience pionnière dans l'exploration du cinéma de genre dans le monde arabe.


Il est le fondateur du G.A.R.P. (Groupement des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) - créé au Maroc en 2002 et le Président de l’Association Marocaine de lutte contre le Piratage.

 

Interview de Nabil Ayouch

Propos recueillis par Claire Vassé


Vos films sont très ancrés dans le monde contemporain. Dans Much loved, vous abordez le sujet de la prostitution. En quoi vous semblait-il un spectre important pour parler du Maroc d’aujourd’hui ?


Je me suis toujours intéressé à ce sujet, pour la simple et bonne raison que le rôle tenu par ces femmes dans la société marocaine m’a toujours interpelé. Dans Ali Zaoua, prince de la rue, mon deuxième film, la mère de l’un des quatre personnages principaux est prostituée. Dans Les Chevaux de Dieu aussi... Le sexe est fondamental dans la société arabe, notamment la frustration qu’il génère et qui laisse très peu d’espace à l’amour pour s’exprimer, aussi bien dans la sphère privée que publique. Et, en ce sens, les prostituées servent de catalyseur, encore plus qu’ailleurs.


Pourquoi la frustration serait-elle plus importante dans les sociétés arabes ?


Je pense qu’il y a des environnements dans lesquels l’amour s’épanouit plus facilement que dans d’autres. Et dans le monde arabe, c’est particulièrement difficile.

 

Much lovedDans certains pays, on peut se faire arrêter simplement parce qu’on se balade main dans la main, et des lois empêchent des hommes et des femmes non mariés de vivre ensemble. Les habitudes, la contrainte et l’hypocrisie sociales font que, lorsqu’on est en situation d’aimer, on nous refuse l’espace nécessaire pour apprendre.

 

Car aimer s’apprend, c’est un sentiment qui doit être encouragé, pas contredit. On a besoin de passer par différentes phases pour connaître l’autre. Si on ne peut pas les vivre, on ne peut pas aimer et la femme se retrouve alors considérée comme un ventre, une personne qui est là pour s’occuper des hommes et élever des enfants, mais pas comme une compagne.

 

Comment êtes-vous entré dans le quotidien de ces femmes prostituées ?


Des années d’intérêt, de questionnements sur la prostitution dans le monde arabe se sont transformées en une envie de plus en plus forte d’explorer ce milieu. J’ai d’abord rencontré des prostituées à Marrakech pendant deux jours. Je m’attendais à ce qu’aucune ne veuille parler mais c’est le contraire qui s’est passé : je me suis rendu compte à quel point elles avaient besoin de parler, de se libérer, de s’ouvrir. Et à quel point leur parole était fondamentale à entendre.
Ce qu’elles avaient à dire était tellement fort, tellement prégnant que j’ai eu envie de revenir les voir. Je venais d’ouvrir une brèche qui a conduit à un travail d’enquête qui a duré environ un an et demi, et pendant lequel j’ai rencontré entre deux cents et trois cents jeunes femmes. Elles m’ont raconté leur vie, leur solitude, leurs blessures, comment elles en étaient arrivées là. Et aussi la manière dont elles se voyaient elles, avec évidemment une perte d’amour propre terrible... Ces filles sont des guerrières, des amazones des temps modernes.

Le film s’approprie une réalité mais avec aussi un grand désir de fiction, de créer des personnages…


Au départ, je me demandais si je n’allais pas partir sur un documentaire ou un docu‑fiction. Mais je me suis rendu compte qu’en dehors de toutes ces histoires que j’avais entendues, j’avais la mienne à raconter, c’est-à-dire mon lien à ces femmes, ce qui m’avait bouleversé en les entendant, mon regard porté sur elles. Je voulais m’approcher le plus possible d’une forme de naturalisme qui donne à voir ce qu’est réellement la vie de ces femmes, mais le film est une vraie fiction, que j’assume comme telle, avec des partis pris, notamment en termes de réalisation, d’image, de montage.

 

Vous préférez les longues séquences aux brefs moments…


Dès lors que je décidais de pénétrer l’intimité de ces femmes, d’être dans leur point de vue, je n’avais pas envie d’être dans l’anecdotique, j’avais besoin de prendre mon temps. L’important était d’être extrêmement proche d’elles, de leurs émotions, de ce qu’elles vivent, de leur vérité.

 

Much lovedJe n’avais pas envie de refaire plusieurs fois les scènes, pour ça j’ai décidé de tourner avec deux caméras, dont l’une devait tout le temps rester au plus près des personnages, aller chercher les détails qui révèlent tout. J’ai aussi essayé d’aller chercher en moi ma part de féminité pour raconter cette histoire, je voulais que ce soit un film "de femme".

 

Much loved n’est pas un film sur la prostitution mais avant tout le portrait de quatre femmes. D’où aussi le désir de travailler avec une équipe très féminine : la directrice de la photo, la première assistante, ma compagne avec qui nous avons fait les recherches et travaillé le texte… J’avais besoin d’être plein de leur énergie pour faire ce film.


A la vision de Much loved, on sent chez vous une envie de donner à voir avant de convaincre ou dénoncer…


Je ne veux en aucun cas être moralisateur, condamner, exercer un jugement de valeur, qu’il soit négatif ou positif. Je cherche simplement à dire. Et dire, c’est montrer. Montrer ce qu’est la vie de ces prostituées, montrer leur rapport aux hommes, leur rapport entre elles, à la société, à l’hypocrisie sociale et à la famille, censée être un pilier qui les soutient et qui représente en réalité davantage un manque cruel. J’avais envie de dire cette réalité, loin des mythes. Sans retenue, sans concession ni fausse pudeur. Lever le voile sur cette économie, c’est mettre chacun face à ses responsabilités, à ce qu’il refuse de voir.

 

Much loved

 

Comment avez-vous trouvé vos actrices ?


Ce ne sont pas des actrices professionnelles. Je les ai rencontrées pendant la phase d’enquête. Elles ne sont pas prostituées mais connaissent ce milieu très bien de par les quartiers où elles habitent. On a beaucoup travaillé en préparation sur des exercices qui faisaient appel à leur intériorité. J’ai cherché en elles ce qui les blessait, je les ai aidées à se débarrasser de certaines choses. Ce travail leur a permis de changer le regard qu’elles portaient sur elles-mêmes, de s’aimer et de rentrer petit à petit dans la peau de leurs personnages.
Et sur le tournage, on improvisait beaucoup. Je leur disais où j’avais envie d’emmener la scène, ce qu’elle racontait et je les laissais proposer beaucoup de choses, notamment en termes de dialogues. Ce travail à leurs côtés fut un bonheur. Nos échanges ont porté ce film au-delà de toutes mes espérances. Elles ont accepté de se livrer, de se déshabiller et de me montrer leur âme, "sans maquillage", comme elles disent.

Vous filmez Marrakech comme une juxtaposition de milieux qui ne vivent pas vraiment ensemble… Notamment quand on voit la ville à travers le regard de Soukaina dans le taxi.


Lors de cette balade de jour, on sent Soukaina complètement étrangère à ce qui se passe autour d’elle, comme si elle était dans un vaisseau spatial flottant à travers la ville. Saïd, le chauffeur, a cette phrase qui résume tout : "Ville de fous !", avec tous ces milieux qui se croisent mais ne s’entrechoquent pas. J’aime beaucoup que la ville soit comme un personnage, avec lequel ces femmes entretiennent une relation d’amour et de détestation. Cette ville leur apporte leurs clients, et donc de quoi manger, mais aussi la furie, l’humiliation, l’agressivité…

 

Ce mélange de détestation et d’amour pourrait décrire de manière plus large l’esprit du film. On est tout le temps trimballé entre violence, drôlerie et émotion.


J’ai essayé d’aller chercher ce qui est au plus profond de ces femmes et de le faire remonter à la surface. Pour moi, cette intériorité est belle à voir, belle à entendre, douloureuse aussi, pour elle et pour nous. Moi j’ai mal en tout cas quand je vois certaines images, certaines scènes de ce film. Mais cette émotion-là me transporte et j’aime la traverser avec elles. Aller chercher ce qui se passe dans les tréfonds de l’âme humaine est ce qui m’intéresse par-dessus tout. Toute société qui se construit a besoin de se regarder dans la glace, de regarder ce qu’il y a de beau, mais également de moins beau en elle. Sinon, c’est une société malade et qui souffre en silence. Le cinéma permet de mettre la souffrance en lumière et d’en parler.

 

Much loved

 

En ce sens, le film est noir mais aussi très humain.


Oui, j’aime cette définition. C’est vrai qu’il y a de la noirceur, que l’on reçoit la dureté de cette chronique en plein visage et qu’elle nous fait mal et nous abime. Mais d’une certaine manière, c’est cette même dureté qui nous réconcilie ou nous lie avec ces femmes – selon le rapport que l’on entretenait avec elles auparavant.


L’émotion vient aussi de la volonté de ces femmes de transformer leurs expériences dures et humiliantes en récits vivants, drôles et crus qu’elles se racontent entre elles.


Oui, on voit l’union de ces femmes, leur solidarité, leur humour. Pour ne pas sombrer, elles rient, elles dansent, elles s’amusent des hommes, et d’elles-mêmes. Ces femmes ont de la distance, elles sont extrêmement lucides sur ce qu’elles vivent et très conscientes de leur pouvoir et de la place qu’elles occupent dans la société – en tout cas c’est ce qui m’a marqué en les rencontrant. Elles savent qu’elles jouent un rôle de régulateur face à des frustrations sexuelles terribles, face à une volonté de laisser sortir coûte que coûte les instincts les plus vils, face à une incapacité à aimer qu’ont les hommes, face à leurs familles qui seraient détruites sans leur aide.
Paradoxalement, cette lucidité est tragique car en retour de ce rôle qu’elles jouent dans la société, elles ne reçoivent que mépris, jugement et humiliation. Elles ne demandent pourtant pas grand-chose : juste un peu d’amour, juste que leur famille les regarde autrement que comme une carte de crédit. Leur solitude les agresse, les rend cruelles parfois. C’est dur d’être seules quand on est tellement entourées.

 

Much loves

Vous n’en faites pas pour autant des victimes.


Parce que pour moi, ce ne sont pas des victimes. Je ne ressens aucune pitié à leur égard et je serais peiné qu’on en ressente en voyant mon film. J’éprouve de la tendresse et de l’attachement pour elles. Je les trouve épatantes dans leur liberté, dans leur capacité à faire vivre leurs proches à bout de bras et à souffrir en silence. Elles ont du courage, la rage au coeur des combattantes. L’idée n’était pas de tomber dans le pathétique, le tragique ou le misérabilisme. Ces femmes ne sont ni blâmables, ni formidables, ce sont des femmes, maitresses de leur destin et que l’on doit regarder comme telles.


Un homme fait exception : le client français, sincèrement amoureux de Noha…

 

Oui, cet homme – incarné par Carlo Brandt – l’aime profondément, il est sincère, et c’est ce qui la raccroche à lui. Même si elle continue à manipuler et à jouer, Noha ne brise pas ce lien vrai et rare, indélébile.

 

Et vous filmez la scène d’amour avec lui…


Je la filme parce qu’elle raconte des choses sur leur rapport. C’est d’ailleurs la seule scène d’amour du film où je laisse les corps s’exprimer.


Et le personnage de Saïd, le chauffeur ?


Je l’ai pensé comme une belle âme, qui est là et qui flotte au milieu d’elles. Il les conduit au sens propre et figuré. Il les guide, les protège, veille sur elles comme un ange gardien.

 

L’arrivée tardive de Hlima, la prostituée venue de la campagne, amène un ton franchement plus drôle.


C’est toujours un pari risqué de faire entrer un personnage important dans la dernière partie d’un film, mais Hlima amène de l’humour et de la fraîcheur, elle ouvre une jolie fenêtre. J’avais aussi envie de me rapprocher du personnage de Saïd, présent dès le début mais dont on sait finalement assez peu de choses. Et je trouvais intéressant de le faire du point de vue de ce nouveau personnage qui tombe amoureux de Saïd et vice versa.
Et puis Hlima représente une autre forme de prostitution. Une prostitution beaucoup plus basique et concrète, brute, correspondant à une forme d’exode rural. Ces filles qui viennent de la campagne sont dans un rapport primaire aux hommes, avec la possibilité, comme on voit dans le film, de se faire payer en légumes. Hlima nous permet également de découvrir une autre catégorie de clients que les Européens ou les Arabes du Golfe : les Marocains moins fortunés.

 

Much Loved

 

C’est aussi grâce à Hlima que les autres filles peuvent exprimer une part d’enfance, notamment quand elles dorment toutes ensemble…


Une part d’enfance, oui, mais Hlima est avant tout une bouée de sauvetage. Il n’y a qu’à voir la manière dont les filles se raccrochent à elle…


La musique accompagne la trajectoire des personnages et contribue à nous rapprocher d’eux.


Oui, la musique intervient de manière très intérieure, c’est ce que j’ai demandé aux compositeurs : allez, entrez dans ces femmes et sortez quelque chose qui vient d’elles, de leurs tripes, qui ne prenne pas trop de place mais en même temps exprime la douceur et le rythme de leur coeur.

 

La réalité de ces femmes est à la fois sans issue mais traversée par un sentiment de liberté.


Cette notion de liberté m’a tout de suite impressionné chez celles que j’ai rencontrées et c’est vraiment par ce prisme que j’avais envie de les raconter. Le monde arabe est au fond une société matriarcale où les femmes, malgré les apparences et des inégalités choquantes, sont dominantes au sein du foyer. Dans Much loved, j’avais envie de cette anthropologie inversée – Saïd, leur protecteur, servant, conducteur, en est le reflet palpable. Ce sont elles qui gouvernent les hommes. Elles peuvent choisir un soir de ne pas sortir, de dire non malgré vingt-cinq appels d’hommes aux abois. Elles sont toujours habitées par ce sentiment de liberté.


Notamment lors de la dernière séquence à la mer…


Je n’avais pas envie de fermer le film mais au contraire de l’ouvrir sur cette notion de liberté, avec cette question : "Est-ce qu’on est obligées d’aller à la soirée du 28 ?" Il n’y a pas de réponse, chacun se fait celle qu’il a envie de faire. Elles surtout.

 

Much loved

Et le titre du film ?


Le titre original est ZIn li fik, qui signifie "la beauté qui est en toi", et qui renvoie à l’intériorité, belle à voir et belle à entendre, que j’ai découverte chez ces prostituées. Quant au titre international, Much loved, je l’ai trouvé à la toute fin, quand j’ai compris ce qu’étaient véritablement leur vie et la manière intime dont je la percevais. Much loved, c’est à la fois être trop et mal aimé. Il y a aussi la notion d’usure – on utilise cette expression pour parler d’un doudou qu’on a chéri et qui à force d’avoir été serré et mâchouillé a été abimé…


Comment avez-vous vécu les réactions violentes que votre film a suscitées au Maroc après la projection à Cannes ?


Ces réactions m’ont profondément choqué et ouvert les yeux sur une violence latente, qui était là, enfouie, et qui avait juste besoin d’un révélateur pour exploser. Qu’un film arrive avec des propositions cinématographiques, ouvrant le débat sur un enjeu sociétal de taille et qu’on refuse ce débat… C’est ça qui est choquant. Ainsi qu’une incapacité à se regarder dans le miroir et préférer aller vers la haine, l’anathème, le racisme, la violence verbale, les menaces de mort... Hystérique et incompréhensible, de même que cette censure par anticipation alors qu’ils n’ont même pas vu mon film, juste quelques extraits sortis de leur contexte… Mais, par ailleurs, le Maroc est un pays bourré de diversités, de paradoxes. Beaucoup de gens m’ont soutenu dans cette bataille. Ils ont exprimé une envie de faire sauter ces verrous, d’arrêter cette hypocrisie qui nous tue, et m’ont accompagné dans ce qui est devenu un vrai combat pour la liberté d’expression et contre l’aveuglement.

 

Aujourd’hui, j’ai envie de garder de l’espoir et, même si ce n’est pas facile tant les radicalismes sont forts, de continuer à me battre pour que ce film puisse un jour rencontrer son public au Maroc.

 

Much loved

Mon opinion

 

La vie de quatre femmes qui "ne demandent pourtant pas grand-chose : juste un peu d’amour, juste que leur famille les regarde autrement que comme une carte de crédit. Leur solitude les agresse, les rend cruelles parfois. C’est dur d’être seules quand on est tellement entourées" a déclaré Nabil Ayouch.

 

Marrakech, loin des cartes postales, est le cinquième personnage du film.

 

Quatre " guerrières, des amazones des temps modernes " pour reprendre l'expression de Nabil Ayouch, dont Loubna Abidar absolument remarquable, crèvent l'écran dans ce film attaqué de toute part dans son pays d'origine, le Maroc.

 

"La prostitution est un débat loi d'être clos que ce soit dans le monde arabe ou en occident" déclare avec justesse le réalisateur. Il filme avec courage toute l'âpreté de ce monde de la prostitution. Sa réalisation est à la fois délicate, féroce, limpide et sans compromis. Tous les personnages sont filmés d'une façon quasi documentaire.

 

Le réalisateur dévoile la solidarité bien réelle entre ses femmes, leurs rêves, mais aussi l'envie de sortir de ce milieu. L'envie d'un ailleurs qui paraît impossible. Ces femmes font vivre des familles qui se cachent derrière une duplicité coupable, avant que tout ne parte à la dérive. À cause des voisins, bien entendu.

 

Le film effleurera un autre sujet sensible, l'homosexualité. D'un frère pour l'une, aux riches saoudiens ou encore certains membres de la police, les hommes n'ont pas le beau rôle.

 

Much loved n'a rien de racoleur et ne peut laisser indifférent.

 

Un film à saluer pour la hardiesse nécessaire à sa réalisation, et pour l'ensemble du remarquable casting.

Much loved - Lubna Abidar

En jouant une prostituée dans Much Loved, l'actrice marocaine Lubna Abidar a soulevé des réactions haineuses dans son pays, et recueilli des applaudissements en France.

 

Pour lire l'interview de Frédéric Strauss publié le 17/09/2015 pour telerama.fr.

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