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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 20:45

 

Date de sortie 8 juillet 2015

 

Difret


Réalisé par Zeresenay Mehari


Avec Meron Getnet, Tizita Hagere


Genre Drame


Production Éthiopienne

 

Le film est inspiré d'une histoire vraie.

Celle qu'a vécue une jeune Ethiopienne, Aberash Bekele,  en 1996

 
Difret  "courage" en amharique

a été notamment été récompensé

- Sundance - Prix du Public

- Berlin Panorama

- Prix du public Valenciennes - Prix du jury

 

"Ce film représente un moment fort dans le rayonnement artistique de l’Ethiopie ! Il s'appuie sur la richesse de la culture éthiopienne et montre comment d'importants progrès juridiques peuvent être réalisés dans le respect de la culture locale. C'est une histoire qui donne de l'espoir pour l'avenir de l'Ethiopie et pour d'autres pays où d'innombrables filles grandissent sans pouvoir faire appel à la loi pour les protéger, et qui montre comment le courage d'individus peut éveiller la conscience d'une société".


Angelina Jolie – Productrice exécutive de Difret

 

Synopsis

 

À trois heures de route d’Addis Abeba, Hirut Assefa (Tizita Hagere), 14 ans, est kidnappée sur le chemin de l’école: une tradition ancestrale veut que les hommes enlèvent celles qu’ils veulent épouser.

 

Mais Hirut réussit à s’échapper en tuant son agresseur.

 

Accusée de meurtre, elle est défendue par une jeune avocate (Meron Getnet), pionnière du droit des femmes en Ethiopie.

 

Leur combat pour la justice commence, mais peut-on défier une des plus anciennes traditions ?

 

Difret

 

 Tizita Hagere et Meron Getnet

Entretien avec Zeresenay Mehari relevé dans le dossier de presse.


Comment l'aventure a-t-elle démarré ?


Meaza AshenafiTout a commencé en 2005 : alors que j'avais terminé mes études de cinéma aux États-Unis depuis deux ou trois ans, j'étais de retour en Éthiopie pour la troisième fois depuis mon départ en 1996.

 

Je prenais un verre chez un ami qui m'a conseillé de faire un film sur sa soeur, Meaza Ashenafi, quand il a découvert que j'étais réalisateur. À ce moment-là, je n'avais pas la moindre idée de qui il s'agissait ! En rentrant à Los Angeles, j'ai fait des recherches sur Internet et je me suis rendu compte qu'il existait des milliers de pages sur son parcours, l'association qu'elle avait créée et les résultats concrets qu'elle avait obtenus.

 

Meaza Ashenafi

 

Ce qui m'a frappé d'emblée, c'est qu'elle avait fondé la toute première association entièrement consacrée à la protection des jeunes femmes et des enfants. J'ai aussitôt été séduit par cette jeune femme, intelligente, belle et courageuse, qui osait s'attaquer à des traditions ancestrales et qui voulait faire évoluer la loi.

 

Quelle a été l'étape suivante ?


J'ai bien entendu souhaité la rencontrer et je suis reparti en Éthiopie dans ce but : quand j'ai fait sa connaissance, je lui ai dit que je souhaitais consacrer un film à sa vie. Au départ, elle s'est montrée sceptique : non seulement j'étais moi-même éthiopien, mais surtout j'étais un homme ! Je lui ai alors montré toute la documentation que j'avais réunie sur des associations comparables à la sienne dans d'autres pays et elle a peu à peu changé d'avis. Elle m'a demandé ce dont j'avais besoin et je lui ai répondu que j'aimerais avoir accès à toutes les affaires qu'elle avait traitées et comprendre comment elle était devenue cette militante insoumise. En 2008, après trois ans de recherches, j'ai écrit la première version du scénario. En 2009, nous avons commencé à chercher des financements. Le film a été tourné en 2012 et en 2014, nous l'avons présenté dans plusieurs festivals. Cela a été un vrai parcours du combattant…

 

Justement, comment avez-vous monté le projet ?


Le plus long a été la recherche de financements. Nous avons eu plusieurs propositions, à Hollywood et en Europe, mais assorties de conditions : on me demandait notamment de tourner en anglais avec des comédiens célèbres. Pour moi, il était hors de question de transiger là-dessus : je tenais à tourner en Éthiopie, en langue amharique, avec des acteurs éthiopiens car il était essentiel que tous ceux qui ont été confrontés aux situations dépeintes dans le film s'y reconnaissent. Il fallait que les Éthiopiens se voient à l'écran. Au bout du compte, j'ai eu la chance de rencontrer des gens très engagés qui ont compris ma démarche et qui m'ont permis de faire le film tel que je l'avais envisagé au départ. Pour autant, en démarrant le tournage, je n'avais pas encore totalement bouclé le budget et, un an plus tard, j'ai dû rechercher des fonds complémentaires pour la postproduction.

 

Difret - Meron Getnet et Tizita Hagere

 

 Meron Getnet et Tizita Hagere

Pourquoi le parcours de Meaza et de Hirut vous a-t-il autant touché ?


En tant que scénariste et réalisateur, je suis toujours en quête d'histoires humaines. Et je m'intéresse aux questions de société et aux gens qui cherchent à faire bouger la politique et la justice. Pour moi, il ne s'agissait pas tant de parler des traditions ou de l'affaire de Hirut que de m'interroger sur l'état d'esprit des personnages : qu'est-ce qui a poussé cette jeune fille à refuser de se plier à des coutumes ancestrales ? Pourquoi Meaza a-t-elle fondé son association? Quand on rencontre des êtres qui vous touchent, on sait que c'est leur histoire – et les obstacles qui se dressent sur leur route – qu'il faut raconter. C'est en m'attachant à cette dimension humaine que le spectateur peut s'identifier à mes personnages.

 

L'affaire de Hirut a eu lieu en 1996, année où vous avez quitté l'Éthiopie…


DifretC'était un événement majeur dont tout le monde parlait en Éthiopie et qui était relayé par l'ensemble des médias. Or, il s'est produit cinq ou six mois après mon départ pour les États- Unis. Je souhaitais donc, d'une certaine façon, revivre cet événement que j'avais manqué : je me suis demandé si j'aurais fait partie des manifestants hostiles au ministre de la Justice ou, à l'inverse, si je m'en serais moqué, considérant qu'il s'agissait de traditions rurales et éloignées de mes préoccupations.

 

En faisant mes recherches, je me suis aperçu que si ces deux femmes avaient contribué à bousculer les mentalités en Éthiopie, elles étaient aujourd'hui plus ou moins tombées dans l'oubli. Grâce au film, on pouvait donner une deuxième vie à leur combat et sensibiliser de nouvelles générations à leur action, d'autant plus que le gouvernement actuel est très focalisé sur les problématiques liées aux femmes.

 

À quel moment la loi a-t-elle évolué ?


En 2004, le code pénal a été révisé : depuis cette date, les enlèvements et les viols sont passibles de 15 ans d'emprisonnement. Malgré tout, le nombre de jeunes filles enlevées n'a pas baissé de manière significative. Par exemple, au cours des dix années qui ont suivi l'affaire, aucune fille n'a été enlevée dans le village de Hirut. Mais partout ailleurs dans les campagnes, entre 40 et 45% des jeunes filles étaient encore enlevées pour être mariées de force au début des années 2000. Aujourd'hui, ces chiffres ont baissé et j'aimerais que le phénomène disparaisse totalement, même s'il faudra sans doute une quarantaine d'années pour y parvenir. Du coup, parallèlement au film, j'ai senti le besoin d'accomplir mon devoir de citoyen éthiopien en informant les gens. Car même s'il existe un appareil juridique, l'Éthiopie est une société extrêmement patriarcale et les jeunes filles ignorent l'existence des lois et ne savent pas vers qui se tourner en cas de besoin.

 

Vous ne vous êtes pas heurté à des difficultés au cours de vos recherches ?


Je dois dire que tous ceux que j'ai rencontrés m'ont volontiers apporté leur aide : les différentes administrations et ministères m'ont ouvert leurs portes et autorisé à consulter tous les documents dont j’avais besoin, y compris les rapports judiciaires. J'en ai même profité pour me rendre dans les commissariats afin de poser toutes sortes de questions et m'imprégner des lieux qui n'ont pas beaucoup changé depuis les années 90. Il faut dire que la grande majorité des films tournés en Éthiopie sont des comédies sentimentales et que mes interlocuteurs pensaient donc que j'allais réaliser un documentaire. Pour autant, j'étais convaincu qu'ils seraient impressionnés de retrouver Meaza interprétée, dans un film de fiction, par l'une des comédiennes les plus populaires du pays.

 

Difret

 

Le film adopte un point de vue féministe. Avez-vous cherché à dénoncer les communautés les plus traditionnalistes ?


J'ai grandi entouré de mes trois frères et de mes trois soeurs. Mes parents se sont rencontrés très jeunes et travaillent ensemble depuis 45 ans. L'estime et la compréhension mutuelle qui régnaient dans ma famille sont des valeurs qu'on m'a transmises et que j'observais aussi chez mes amis. Mais dès qu'on quitte la ville, la situation est tout autre : les hommes ont plus d'égards pour leurs vaches et leurs taureaux que pour leurs filles ! Cela s'explique par le poids des traditions qui assignent à la femme la fonction de mettre les enfants au monde et de s'occuper des tâches ménagères. Je tenais à montrer qu'une femme peut être l'égale d'un homme, et parfois même le surpasser. Je n'étais pas conscient d'avoir un point de vue féministe, mais quand j'ai rencontré la présidente de la plus grande association féministe du pays, elle m'a présenté à ses sympathisants comme un "militant féministe" ! C'était un honneur d'être considéré comme tel.

 

Comment pourriez-vous décrire le personnage de Meaza ?


Ce qui m'a d'abord frappé chez elle, c'est sa douceur et sa présence discrète. Autant dire qu'on a du mal à s'imaginer qu'une jeune femme aussi féminine et élégante ait pu tenir tête à la police ou à tout un village au péril de sa vie. Dès qu'on parle avec elle, on comprend qu'elle a consacré toute sa vie à améliorer les conditions de vie des femmes dans son pays : elle est d'une grande précision, elle n'abandonne pas le combat et elle ne dort jamais ! Lorsque je menais mes recherches, elle m'appelait deux ou trois fois par jour pour savoir si je progressais.

 

Avez-vous eu du mal à trouver la comédienne qui lui corresponde ?


J'ai auditionné 300 actrices et quand j'ai rencontré Meron Getnet, j'ai compris qu'elle pouvait jouer une femme charismatique et discrète sans dire grand-chose. Je voulais également qu'elle oublie la véritable Meaza pour voir ce qu'elle était à même d'apporter au personnage.

 

Difret - Meron Getnet

 

Pour moi, la Meaza du film devait être une femme accessible, à laquelle chacun pouvait s'identifier, mais je craignais que son statut occulte le reste. Le choix de Meron s'est révélé judicieux à cet égard : comme elle tournait dans une série télé à grand succès, elle s'était invitée, pour ainsi dire, dans le salon des Éthiopiens. Du coup, le grand public la connaît et peut facilement se reconnaître dans les personnages qu'elle interprète.

Qu'en a-t-il été de Hirut ?


C'est une des étapes qui nous a pris le plus de temps puisque nous avons mis huit mois à trouver notre actrice ! Les auditions sont rares en Éthiopie et il n'existe presque pas de jeunes comédiens… puisqu'il n'y a presque pas de rôles qui leur sont destinés. Avec mon directeur de casting, nous avons donc fait imprimer et distribuer 5000 tracts dans des collèges et des lycées. Puis, nous avons organisé des trajets en bus pour acheminer les élèves intéressées jusqu'à nos studios, puis pour les ramener chez elles. Pourtant, malgré tous nos efforts, nous ne trouvions pas une interprète qui nous convienne.

 

Difret - Tizita Hagere

 

À quinze jours du début du tournage, mon directeur de casting m'a parlé d'un atelier de théâtre qui se déroulait dans une école : on s'est rendu sur place et j'ai alors repéré Tizita Hagere qui ne jouait même pas à ce moment-là, attendant seulement son tour. Tout chez elle, que ce soit sa démarche ou son allure, m'indiquait qu'elle était Hirut. Elle avait à peine suivi un mois d'atelier de théâtre et elle s'est révélée époustouflante.

 

La notion de débat d'idées est au coeur du film.


Je ne voulais surtout pas porter de jugements sur mes personnages : c'est très facile de rendre le protagoniste attachant et l'antagoniste déplaisant. J'avais besoin de décrypter les motivations qui poussent les personnages à agir comme ils le font et j'ai mis du temps à le comprendre, puis à l'intégrer dans le scénario. Je savais également que le public mettrait du temps à le comprendre, lui aussi, et il me fallait donc présenter le point de vue des plus conservateurs, et pas seulement celui des militants progressistes. Car je tenais à inscrire le film dans le contexte de l'Éthiopie de l'époque, sans que mon propre regard influence le point de vue du spectateur. Sinon, le propos aurait été insignifiant et les personnages des coquilles vides. D'autre part, je voulais éviter de stigmatiser telle ou telle communauté : on entend des opinions intéressantes même au sein du Conseil du village. Il s'agissait de montrer que le verdict auquel parviennent les Sages suscite un long débat.

 

Vous avez tourné en décors naturels. Comment les repérages se sont-ils déroulés ?


Nous avons passé cinq mois en repérages. Au final, nous avons retenu une quarantaine de lieux. Si je tenais autant à tourner en décors réels et en 35 mm, c'est parce que je suis le plus souvent déçu par la vision exaltée des Européens et des Américains qui filment l'Afrique. Je suis conscient que la plupart des gens ne connaissent pas l'Éthiopie, ou n'en retiennent que les images des grandes famines de 1984. J'avais donc envie de montrer à quoi ressemble le pays et de me placer du point de vue de mes personnages. Par exemple, Hirut habite dans une région qui s'étend à perte de vue : elle peut courir pendant des kilomètres sans que rien ne l'arrête – hormis les traditions qui coupent net son élan. À travers ces décors, j'ai cherché à exprimer les fractures qui traversent la société éthiopienne, entre hommes et femmes, grandes villes et villages, coutumes et loi etc. Les lieux où nous avons tourné ont donc, pour ainsi dire, leur propre histoire à raconter. Dans le même temps, je n'ai pas cherché à situer l'histoire dans un village, ou une région, bien spécifique, car je souhaitais que les spectateurs éthiopiens, qu'ils habitent le nord ou le sud du pays, se retrouvent dans le film.

 

Comment avez-vous reçu le soutien d'Angelina Jolie ?


Alors que Difret était achevé et présenté dans plusieurs festivals, en 2013, ma productrice – qui est aussi ma femme – m'a dit qu'on devrait trouver un "ambassadeur" pour notre film. On a envoyé un DVD à Angelina Jolie : elle a été emballée par le film et nous a demandé ce qu'elle pouvait faire pour le soutenir et l'accompagner.

 

Difret

 

Meaza Ashenafi, Tizita Hagere, Angelina Jolie et Zeresenay Mehari

 

Pensez-vous qu'un film comme Difret puisse sensibiliser le public aux problématiques que vous soulevez et améliorer le sort des femmes ?


Absolument. Il n'y a rien de tel que de raconter des histoires. Je pense sincèrement que la force d'une histoire peut vaincre le fondamentalisme et les traditions, car on s'identifie à des personnages qui ont fait bouger les lignes pour bousculer leur condition. Le fait de voir une jeune fille de 14 ans à l'origine d'un mouvement de fond en Éthiopie qui aboutit à une révision de la loi peut susciter des vocations. Les spectateurs qui verront le film pourront sans doute faire un parallèle entre leur situation et ce qui se passe dans le reste du monde. Dès l'écriture du scénario, j'étais conscient que le film à lui tout seul ne suffirait pas à mobiliser la population et nous avons donc créé un programme de sensibilisation. Dans ce cadre, nous allons organiser une tournée dans les zones rurales du pays pour projeter le film et lancer des débats. Notre objectif est de montrer aux plus jeunes que si cette affaire s'est déroulée il y a quelques temps, des enlèvements ont toujours lieu aujourd'hui. Nous travaillons en association avec l'ONU et plusieurs ONG, comme la Fondation Ford, qui se serviront du film comme outil de sensibilisation.

Meaza Ashenafi

Meaza Ashenafi, ou le combat d’une avocate éthiopienne.

 

Dans le salon d’un hôtel parisien, Meaza Ashenafi, d’une beauté et d’une élégance singulières, raconte son parcours avec la simplicité de celle qui en a beaucoup vu en cinquante et un ans d’une existence bien remplie. Cinquième enfant d’une famille de neuf, elle a grandi dans un village éloigné de toute ville.

 

Sa mère a tenu à ce que chacune de ses cinq filles aille à l’école. Jusqu’à son arrivée à 17 ans dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba, Meaza n’a jamais eu accès à l’eau courante ni vu la télévision. Elle vient étudier le droit – une évidence.

 

"J’ai toujours eu une inclination pour le côté juste avec le refus de l’exploitation des plus faibles et la volonté de connaître mes droits et ceux d’autrui."

 

D’abord juge, elle change de voie après une affaire où elle a condamné un homme à un an de prison, sans savoir que, veuf, il élevait seul avec son maigre salaire ses huit enfants. "Ce métier était émotionnellement trop difficile pour moi."


Elle rejoint un groupe de travail pour la rédaction d’une nouvelle constitution. Au retour d’une formation aux Pays-Bas où elle rencontre des consœurs kényanes et ougandaises, cette spécialiste du droit des femmes et des enfants fonde Ethiopian Women Lawyers Association qui offre une aide juridique aux femmes victimes de violences, travaille sur des programmes d’éducation publique et de réformes légales.

 

L’année suivante, Meaza Ashenafi prend en charge la défense d’Aberash Bekele. Cette adolescente de quatorze ans est passible d’une peine de vingt-cinq ans de prison pour avoir tué l’homme qui l’a enlevée et violée afin de l’épouser, comme c’est la tradition dans une partie du pays.

 

Meaza Ashenafi plaide la légitime défense qui n’a jamais été accordée à une femme en Éthiopie.

 

"Le film peut être un outil d’éducation, estime Meaza Ashenafi. Il porte des messages forts sur l’importance des organisations de femmes et de la scolarisation des filles."

 

Depuis 2011, l’avocate travaille auprès de la Commission économique pour l’Afrique, organisme régional de l’ONU. Elle vient de créer la banque éthiopienne Enat (qui signifie "maman"), destinée à accorder en priorité des prêts aux femmes.

Entretien relevé sur la-croix.com par Corinne Renou-Nativel

 

 

Zeresenay Berhane Mehari, Tizita Hagere et Meaza Ashenafi

Photo Jason Merritt/AFP

Mon opinion

 

Pour ce premier long-métrage Zeresenay Mehari, à  la fois réalisateur et scénariste, choisit un sujet ambitieux. Le parcours héroïque de Meaza Ashenafi, une avocate éthiopienne, intelligente, courageuse et déterminée à la tête, entre autres, d'une association pour la défense des droits de la femme et de l'enfance.

 

"Dès qu'on parle avec elle, on comprend qu'elle a consacré toute sa vie à améliorer les conditions de vie des femmes dans son pays : elle est d'une grande précision, elle n'abandonne pas le combat et elle ne dort jamais !" précise le réalisateur.

 

Le film, quasi documentaire, retrace sa prise de position en 1996 lorsqu'elle se bat pour assurer la défense d'une toute jeune fille, à peine sortie de l'enfance, et condamnée d'avance par une société patriarcale et rétrograde. "Un évènement majeur dont tout le monde parlait en Éthiopie et qui était relayé par l'ensemble des médias" assure le réalisateur. Un pays où, à cette époque, la légitime défense n’avait jamais été accordée à une femme.

 

Le film se déroule autour de cette affaire, en mettant les principaux protagonistes face à face tout en se gardant d'orienter les idées. La réalisation sans relief reste un barrage à toute émotion, mais entretient une tension jusqu'à la dernière image. La caméra suit les principaux protagonistes dans une série de plans qui se succèdent dans un certain désordre.

 

Le principal est ailleurs. Dans les actions de cette femme qui a su faire avancer les mentalités.

 

"J’ai toujours eu une inclination pour le côté juste avec le refus de l’exploitation des plus faibles et la volonté de connaître mes droits et ceux d’autrui." a déclaré Meaza Ashenafi.

 

 

 

Qu'est devenue Aberash Bekele, (Hirut dans le film) ? Cliquez ICI !

6 septembre 2015 7 06 /09 /septembre /2015 10:30

 

Date de sortie 15 juillet 2015

 

Les nuits blanches du facteur


Réalisé par Andrei Konchalovsky


Avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova, Timur Bondarenko,


Genre Drame


Production Russe

 

Les Nuits Blanches du facteur constitue l'occasion pour Andrei Konchalovsky de parler de son pays, la Russie. Il déclare : "La Russie n'est ni pauvre, ni arriérée. C'est un pays médiéval. Encore aujourd'hui. Et c'est tant mieux. Ses traditions, ses conceptions du monde, une voie de développement particulière, c'est cela sa richesse. Nous sommes un peu sauvages, un peu tumultueux, un peu dingues même. Et alors ?"

 

Habitué des festivals de cinéma, le cinéaste Andrei Konchalovsky a remporté avec Les Nuits Blanches du facteur, le Lion d'Argent lors de la dernière édition de la Mostra de Venise.

 

Synopsis

 

Coupés du monde, les habitants des villages autour du lac Kenozero ont un mode de vie proche de celui de leurs ancêtres : c’est une petite communauté, chacun se connait et toute leur activité est tournée vers la recherche de moyens de subsistance.

 

Le facteur Aleksey Tryaptisyn et son bateau sont leur seul lien avec le monde extérieur et la civilisation.

 

Mais quand il se fait voler son moteur et que la femme qu’il aime part pour la ville, le facteur décide de tenter une nouvelle aventure et  de changer de vie.

 

Les nuits blanches du facteur

Les régions comme celle du film étant coupées de la civilisation sont quelque chose de bien connu en Russie. En revanche, cela n'est pas vraiment le cas pour les autres pays qui n'imaginent pas forcément à quel degré d'archaïsme ils vont assister à la vision du film.

 

Mes nuits blanches du facteur

 

Présenter une image inédite de certaines contrées russes au public occidental, tel est l'un des postulats du réalisateur Andrei Konchalovsky, qui souligne : "Je vais montrer mon film aux "acteurs" du village. Je ne pense pas que cela va les intéresser. Mais le public occidental va y trouver un certain intérêt. Ils sont peu familiarisés avec la vie russe. Ils auront du mal à croire qu'il y a des endroits où les gens vivent comme ça."

À l'origine des Nuits blanches du facteur, il y avait cette envie pour le réalisateur d'évoquer un phénomène bien connu en Russie, à savoir celui de ces très nombreux villages coupés du monde à cause de routes impraticables et dont les facteurs sont les seuls relais avec le monde extérieur.

 

C'est à la suite d'un article sur ce sujet que Andrei Konchalovsky a pu voir sur internet, qu'il a décidé de consacrer un film à ce fait de société. Il a en outre poussé le réalisme jusqu'à exiger de prendre un réel facteur et l'interprète principal du film, Aleksey Tryapitsyn, joue donc ici son propre rôle.

 

Andrei Konchalovsky, qui a notamment commencé en travaillant comme scénariste pour Andreï Tarkovski, est un grand amateur du cinéaste français Robert Bresson à qui il emprunte cette particularité de n'avoir employé ici que des acteurs non-professionnels. Hormis la comédienne de théâtre Irina Ermolova, les autres personnages sont interprétés par des acteurs débutants comme Timur Bondarenko découvert dans une école de théâtre à Moscou ou tout simplement par différents habitants de la région d'Arkhangelsk où le film fut tourné.

 

A casting atypique, préparation atypique.

 

Andrei Konchalovsky n'a pas procédé de manière traditionnelle quant à la préparation du film notamment autour de la question du scénario, puisqu'il déclare : "Nous n'avions pas de scénario. Nous l'avons "écrit" au moment du montage."

 

Le cinéaste a planté sa caméra dans la région de l'Arkhangelsk, au nord de Moscou, qui est également appelée "La ville de l'archange" en référence à l'arrivée en Russie du premier Français, Jean Sauvage, en 1586. Le choix de cette province vient du fait que l'interprète du facteur du film, Aleksey Tryapitsin que le réalisateur a longtemps cherché à travers tout le pays, est originaire de ce coin de Russie.

 

Les nuits blanches du facteur

 

Mon opinion

 

Un nouveau regard d'Andreï Konchalovski  sur des contrées reculées de l'actuelle Russie. Loin de toute notre modernité. Il déclare : "Je vais montrer mon film aux "acteurs" du village. Je ne pense pas que cela va les intéresser. Mais le public occidental va y trouver un certain intérêt. Ils sont peu familiarisés avec la vie russe. Ils auront du mal à croire qu'il y a des endroits où les gens vivent comme ça."

 

Le film peut paraître long, certaines scènes répétitives. Il est toutefois difficile de rester insensible devant la beauté envahissante de cette nature qui semble ici comme un rempart majeur à toute modernité excessive.

 

La direction de ces acteurs qui jouent leur propre rôle est minutieuse. Le facteur principal protagoniste, est à la fois messager, confident et parfois ami. Un homme au passé incertain, hanté par la vision d'un magnifique chat gris. Le scénario, écrit au moment du montage, oscille entre rêve, fiction et pur documentaire.

 

La vodka et ses ravages, la corruption, de vieilles légendes avec une rivière hantée par Kikimora, une sorcière qui enlève les enfants, s'opposent à la modernité de la ville la plus proche. Son centre commercial, des cocktails pendant "l'happy hour", des trains qui font trembler les lustres des plus proches habitations, un camp militaire doté des dernières inventions technologiques, sont comme autant de reflets de la Russie actuelle sur laquelle le réalisateur pose une caméra bienveillante. Y compris dans sa dernière image.

 

La pauvreté d'un côté, les effets bruyants du capitalisme de l'autre. Entre conte et réalité, le film triomphe par sa seule photographie, et la beauté de ces paysages qui s'imposent face à une certaine fatalité qui pèse sur ses habitants.

 

Le mot de fin au réalisateur : "La Russie n'est ni pauvre, ni arriérée. C'est un pays médiéval. Encore aujourd'hui. Et c'est tant mieux. Ses traditions, ses conceptions du monde, une voie de développement particulière, c'est cela sa richesse. Nous sommes un peu sauvages, un peu tumultueux, un peu dingues même. Et alors ?"

 

Les nuits blanches du facteur


Propos de Pascal Mérigeau

pour forumdesimages.fr (Master Class d'Andrei Konchalovsky le 17 juin 2015)

 

S’il s’inscrit dans la grande tradition du cinéma russe, Andrei Sergueevitch Mikhalkov aurait tout aussi bien pu devenir musicien. Se destinant en effet à la carrière de pianiste, il suit pendant dix ans les cours du Conservatoire de Moscou, jusqu’à sa rencontre avec Andreï Tarkovski, pour lequel il écrit plusieurs scénarios, notamment L’Enfance d’Ivan et Andreï Roublev.

 

Prenant le nom de son grand-père maternel, le peintre Piotr Konchalovski, le frère aîné de Nikita Mikhalkov, qui deviendra cinéaste lui aussi, réalise en 1965 Le Premier Maître, qui relate les débuts d’un jeune instituteur envoyé en 1923 dans un village de Kirghizie. Le film est célébré par les autorités soviétiques, ce qui permet sa découverte en Occident, mais ces mêmes autorités interdisent Le Bonheur d’Assia, magnifique tableau de la vie paysanne russe, qui demeurera inédit jusqu’en 1988.


Après notamment une adaptation de Tourgueniev (Nid de gentilshommes, 1969) et une autre de Tchekhov (Oncle Vania, 1970), Sibériade, vaste fresque évoquant la guerre que se livrent deux familles dans la Sibérie des premiers temps de la Révolution, obtient le Prix Spécial du Jury à Cannes en 1979. La distinction offre à Konchalovsky de partir pour les États-Unis, où il réalise plusieurs films, parmi lesquels Maria’s Lovers, avec Nastassja Kinski, et Runaway Train. Il retrouve l’histoire de l’Union soviétique avec Le Cercle des intimes (1991), portrait du projectionniste particulier de Staline, avec Tom Hulce (Mozart dans Amadeus) et Bob Hoskins dans le rôle de Beria.


De retour dans son pays, il revient à ses premières amours de cinéaste : Riaba, ma poule (1994) est la continuation du Bonheur d’Assia ; La Maison de fous (2002) se situe dans un hôpital psychiatrique près de la frontière avec la Tchétchénie, dont les malades sont livrés à eux-mêmes par les médecins lorsque la guerre de 1995 éclate ; Les Nuits blanches du facteur, dans les salles françaises le 15 juillet, associe fiction et documentaire avec une virtuosité constante.


La trajectoire d’Andrei Konchalovsky est celle d’un cinéaste surdoué, qui a su passer d’un registre à un autre, d’une super-production avec vedettes à un film bricolé en toute modestie, de la Sibérie à Hollywood et retour, sans jamais rien perdre de sa maîtrise et de sa singularité. Son œuvre est une des plus passionnantes et originales du cinéma des cinquante dernières années.

3 septembre 2015 4 03 /09 /septembre /2015 20:10

 

Date de sortie 5 août 2015

 

Aferim !


Réalisé par Radu Jude


Avec Teodor Corban, Mihai Comanoiu, Toma Cuzin, Luminita Gheorghiu


Genre Comédie


Production Roumaine, Bulgare, Tchèque, Française

 

Se jouant des clichés du western d’antan, AFERIM !  se moque avec cynisme et mordant de l’intolérance des hommes,  d’hier comme d’aujourdhui ! Radu Jude rouvre une page peu assumée de l'Histoire, à l'heure où les Roms (qui n'avaient pas encore ce nom) étaient réduits en esclavage.

 

Né en 1977, Radu Jude est un des plus jeunes cinéastes de la scène roumaine contemporaine. Avec La Fille la plus heureuse du monde réalisé en 2009 et Papa vient dimanche en 2012, il a commencé par creuser le même sillon, absurde et corrosif, que ses contemporains Cristi Puiu ou Corneliu Porumboiu, offrant de la Roumanie actuelle une peinture au vitriol.

 

Le Roumain Radu Jude a été l'une des révélations de la Berlinale avec Aferim !, avec le prix de la mise en scène décerné par le jury de Darren Aronofsky.

 

Aferim !

 

Synopsis

 

1835 en Valachie.

 

Un policier, Costandin (Teodor Corban) accompagné de Ionita (Mihai Comanoiu), son fils adolescent, a été embauché par un propriétaire pour ramener Carfin (Toma Cuzin), un esclave en fuite.

 

Celui-ci est accusé d'avoir séduit la femme du seigneur local et s'est donc échappé pour ne pas subir les coups de fouet.

 

Tel un shérif d'opérette chevauchant dans les Balkans sauvages, le fonctionnaire zélé enchaîne les anecdotes historiques abracadabrantes, les aphorismes sur le sens de la vie et un chapelet coloré de considérations racistes et xénophobes teintées de religiosité de bazar et de superstition. Il montre peu de respect envers les religieux, également "propriétaires" d'êtres humains et affiche son mépris des femmes, enfants, vieillards, paysanset  surtout, des gitans.

 

Ionita, pas encore déniaisé, l’écoute en silence.

 

Après une longue recherche, Costandin finit par mettre la main sur Carfin.

 

Dans l'espoir d'être relâché, celui-ci tente en vain de charmer père et fils en leur racontant des histoires glanées à Leipzig, Vienne et Paris...

 

Aferim !

 

Toma Cuzin

En conférence de presse, Radu Jude a parlé des propos racistes et antisémites trouvé sur le net et suscités par le sujet de son film. La Roumanie décrite dans Aferim ! est corrompue jusqu'à l'os, persuadée de marcher droit même en commettant les pires horreurs, les Roms y sont littéralement chassés et on y hait les juifs plus que tout. De 1835 à 2015, Radu Jude établit des liens clairs, et jette un oeil pour voir d'où vient la haine à l'oeuvre aujourd'hui. Le film, pourtant, parvient à être drôle pour mieux glacer de temps à autre. Sa "gauloiserie" (quel serait l'équivalent roumain ?) peut parfois assommer, comme assomment souvent les fictions baroques d'un Emir Kusturica. Le récit picaresque aurait également gagné à avoir plus de relief. Mais cette traversée, visuellement accomplie, est suffisamment mordante et surprenante pour marquer.

 

Aferim !

 

Mihai Comanoiu, Teodor Corban, Toma Cuzin

Propos recueillis par Nicolas Bardot pour filmdeculte.com

Entretien réalisé le 10 mars 2015.

 

Quel était le point de départ d'Aferim ?

 

Mon désir consistait à faire un film sur le passé qui ait quelque chose à dire sur la vie d’aujourd’hui en Roumanie (mais pas seulement). Je voulais également exprimer la difficulter de dépasser le jugement moral qu’on peut avoir envers des gens qui ont vécu il y a des centaines d’années et qui se sont comportés en accord avec les lois de leur temps. C’est, je pense, la principale question du film. Par ailleurs je voulais parler du fait qu’il y a toujours un problème – d’un point de vue philosophique – à affirmer une absolue vérité quand il s’agit d’Histoire.

 

Aviez-vous décidé dès le départ de tourner Aferim en noir et blanc ?

 

Aferim !Non, c’est une idée qui nous est venue petit à petit. On voulait donner le sentiment au spectateur qu’il regardait bel et bien un film et rien qu’un film, avec un point de vue personnel et subjectif sur les questions évoquées. Ce n’est pas la vie en tant que telle, ce n’est pas une vérité absolue, mais une création artistique qui a besoin d’être questionnée, et qu’il ne faut pas tenir pour acquise.

 

Aviez-vous des références particulières en tête pour l'aspect visuel du film ?

 

Des peintures et dessins du 19 ème siècle, plus particulièrement de Raffet. Les films de Hou Hsiao-Hsien. Les westerns de Howard Hawks et de John Ford. Et les premières photographies.

 

Votre film se déroule dans le passé, est tourné en noir et blanc. Était-ce pour vous plus facile de parler du présent ainsi ?

 

Aferim !

 

 

 

Non, c’était juste un point de vue différent. Le film tente de comprendre l’origine de certains problèmes (l’esclavage des Roms n’est qu’un seul de ces problèmes) et d’interroger le spectateur : ces problèmes sont-ils résolus aujourd’hui ? Les réponses appartiennent au public.

 

 

 

La Roumanie a connu beaucoup de succès en festivals ces dernières années. Vous partagez la même productrice que Mère et fils, l'Ours d'or 2013. Dans quelle mesure souhaiteriez-vous un soutien plus important des autorités ?

 

Il y a eu un certain soutien de la part des institutions ces dernières années, mais j’ai le sentiment que ce soutien est extrêmement fragile et pourrait disparaître à tout moment. C’est pourquoi je pense qu’il doit être maintenu et développé. Au bout du compte, j’espère qu’il sera plus facile pour les jeunes cinéastes de diriger leurs premiers films.

 

Avez-vous eu le temps de voir des films pendant la Berlinale ?

 

Non, mais j’aurais beaucoup aimé voir les films de Jafar Panahi et de Patricio Guzman, qui sont deux réalisateurs que j’admire énormément. J’aurais aimé également voir des films du Forum, j’y étais avec mon précédent film et leurs choix de films m’intéressent.

 

Quels sont vos projets ?

 

Je prépare un projet qui m’est très cher, une adaptation du roman de Max Blecher Scarred Hearts. Il vient juste d’être traduit en France (sous le titre Cœurs cicatrisés, ndlr). C’est un roman écrit dans les années 30 et qui traite de la maladie, de la mort, de l’amour et de la dignité. Et par-dessus tout ce sera un hommage à ce grand écrivain qu’est Blecher, et qui mérite d’être connu par plus de gens.

 

Aferim !

Mon opinion

 

D'emblée, la sublime photographie noire et blanche, enchante et rehausse, si besoin était, des paysages d'une exceptionnelle beauté. Le réalisateur s'est inspiré pour ce premier point fort du film des peintures de Raffet.

 

Aferim ! est un voyage magnifique et cruel dans cette campagne du 19ème siècle de ce coin reculé de l'actuelle Roumanie. Le long des chemins, dans tous les villages traversés, au beau milieu des forêts ou dans une fête de village champêtre, les rencontres sont truculentes. Parfois violentes, non dépourvues d'un humour féroce et grinçant, elles sont traitées sur un ton léger qui tente d'atténuer l'horreur du sujet. Le scénario s'appuie sur des récits et des écrits de l'époque. L'exploitation de l'homme par l'homme avec, entre autres, celle des tziganes maltraités et rendus au rang de simples esclaves. Les femmes en marge de la vie des hommes, ne sont pas mieux loties. Les étrangers rejetés.

 

"Mon désir consistait à faire un film sur le passé qui ait quelque chose à dire sur la vie d’aujourd’hui en Roumanie (mais pas seulement)." a déclaré le jeune réalisateur roumain, récompensé par un Ours d'argent à la dernière Berlinale. La xénophobie et le racisme de l'époque, résonnent comme autant de rappels dans ce que nous vivons aujourd'hui.

 

Les dialogues retentissent souvent violemment dans la bouche de l'excellent Teodor Corban. Acteur souvent présent dans les films de Cristian Mungiu, il retrouve à la fin du film Luminita Gheorghiu. Tour à tour proverbes ridicules, humiliations, insultes ou menaces diverses, ils restent l'un des points essentiels du film dans l'écho qu'ils peuvent trouver dans tout ce que nous pouvons constater de nos jours, encore.

 

Le tour de force du film est là. Dans une mise en scène sans faille aucune, Radu Jude n'impose pas son point de vue. Il laisse le spectateur libre et dans une position inconfortable.

 

Celle de constater que certaines injustices, dénoncées dans le film, restent cruellement d'actualité.

Aferim !
Aferim !
Aferim !
Aferim !
Aferim !
Aferim !
31 août 2015 1 31 /08 /août /2015 18:40

 

Date de sortie 12 août 2015

 

Magical Girl

 

Réalisé par Carlos Vermut


Avec Bárbara Lennie, Luis Bermejo, José Sacristán,

Lucía Pollán, Israel Elejalde


Genre Thriller

 

Titre original Magical Girl


Production Espagnole

 

Synopsis

 

Bárbara (Bárbara Lennie) est une belle femme vénéneuse et psychologiquement instable, que son riche mari psychiatre tente de contenir.

 

Damiàn (José Sacristán) vieux prof de maths, sort d'un long séjour en prison. Il  a justement eu à faire à Barbaran. Il craint de la revoir.

 

Alicia (Lucía Pollán), atteinte de leucémie et fan de manga est la fille de Luis (Luis Bermejo). Il est prêt à satisfaire un ultime caprice : une panoplie de fée avec le bâton magique ! Mais certains déguisements peuvent coûter très cher. Et Luis, prof au chômage désabusé, n'a pas cet argent.

 

Le trio se retrouve plongé dans un tourbillon de tromperies où la lutte entre la raison et la passion tourne à la guerre des nerfs…

 

La Nina de Fuego - Bárbara Lennie

 

Bárbara Lennie

Carlos Vermut a étudié illustration à l’école d’art Número diez à Madrid, faisant ses premiers pas en tant qu’illustrateur pour El Mundo. Il gagne le Injuve comic award en 2006, publiant ensuite sa première bande dessinée, El banyán rojo. En 2008, il crée la série télévisée Jelly Jamm, et l’année suivante gagne la septième édition du Notodofilmfest avec son premier court métrage Maquetas.

 

La même année, il réalise son deuxième court métrage, Michirones. En 2011, il fonde sa société de production Psicosoda Films et produit son premier long métrage, Diamond Flash, à travers la plateforme en ligne Filmin movie platform. En 2012, il écrit et réalise le court métrage Don Pepe Popi et publie la bande dessinée Cosmic Dragon.

 

La Niña de fuego, son deuxième long métrage, remporte, entre autres récompenses, La concha de oro au Festival de San Sebastian en 2014.

 

"Il y a une scène dans La Niña de fuego, dans laquelle le personnage d’Oliver explique pourquoi en Espagne la corrida est encore largement accepté par la population. L’Espagne est un pays où le conflit entre le rationnel et l’émotif n’est pas encore complètement résolu, d’où la fascination pour le portrait de la lutte entre l’instinct et la raison qui a lieu dans les arènes. La Niña de fuego est né de l’obsession pour cette lutte, qui, en grande ou petite partie, fait partie de chaque être humain, faisant de nous des êtres en conflit éternel."  déclare Carlos Vermut.

"Carlos Vermut possède ce sens hors du commun de l'ellipse : les personnages et histoires cohabitent et évoluent dans une narration pleine de coupures, ce qui donne l'impression de quelque chose de linéaire, alors que c'est tout le contraire. J'espère que le public rendra justice à La Niña de Fuego qui est, pour moi, la grande révélation du cinéma espagnol de ce siècle."

Pedro Almodovar.

 

Magical Girl

 

Propos recueillis par Patricia Baena relevés sur www.cinespagne.com.

 

Bonjour Carlos. Comment vivez-vous votre arrivée à Paris ? Est-ce que vous connaissiez la capitale française et le festival Different, l'autre cinema espagnol ?

 

Oui, je connais cette ville car je suis venu à Paris plusieurs fois pour des raisons professionnelles. La première fois c'était quand je dessinais des bandes dessinées. Je suis passé par Paris après avoir été à Angoulême. Les trois dernières fois, je suis venu pour le festival Différent, invité par José Maria Riba. Malheureusement, je n'ai jamais eu le temps de profiter vraiment de la ville et je voudrais venir plus souvent et rester pendant un mois pour y vivre.

 

Dans ce film vous dirigez des acteurs d'horizons et de générations différents, comme la jeune et prometteuse Lucía Pollán, l'acteur mythique José Sacristán ou Bárbara Lennie, qui a gagné le Goya de la meilleure actrice grâce à votre film. Quel rapport entretenez-vous avec vos interprètes ?

 

Magical GirlAvant de tourner La Niña de fuego et Diamond Flash, mon premier long-métrage, j'avais peur de la direction d'acteurs. Je viens du monde de la bande dessinée et j'avais entendu parler d'expériences négatives de tournages. Le travail avec eux a été très facile et agréable, pas du tout traumatique.

 

Je pense que ces acteurs merveilleux ont quelque chose en commun qui m'a aidé à travailler. Leur âge et origine n'ont pas changé grand chose, j'ai eu confiance en leur talent.

 

La Niña de fuego dévoile la forte influence que la culture japonaise a sur votre imaginaire cinématographique. Quels sont vos réalisateurs japonais préférés ?

 

Magical GirlEn effet, je me sens très proche du cinéma japonais parce que j'y retrouve certaines de mes obsessions de cinéaste, notamment la présence d'un côté obscur et farfelu dans les récits filmiques. Je m'intéresse beaucoup à la tendance du peuple japonais à occulter les sentiments, les désirs et les émotions.

 

 

Mes réalisateurs préférés sont Nagisa Oshima, Teshigahara Hiroshi, Kurosawa, Kiyoshi Kurosawa, Takashi Miike et Takeshi Kitano.

 

La Niña de fuego sort en France avec le titre éponyme de la chanson de Manolo Caracol. Comment est née l'idée d'inclure cette musique qui "hispanise" d'une certaine manière le film pour le public français ?

 

Ce fut un hasard ! Honnêtement, je n'avais pas pensé à cette chanson à l'écriture du scénario. Dans la première version, Bárbara allait dans un karaoké et chantait la chanson pop Aprendiz de Malú. Nous nous sommes rendus compte par la suite qu'il était très difficile d'obtenir les droits de cette chanson. De plus, il était plus intéressant de montrer le personnage de Bárbara chez elle dans une sorte de réclusion permanente. J'ai donc fini par trouver cette chanson de La Niña de fuego, en découvrant une version moderne de Pony Bravo, intitulée La Niña de fuego.

 

Magical Girl

Le manque d'argent est l'élément déclencheur de l'histoire puisque Bárbara tombe dans un cercle vicieux où elle doit réussir à trouver de plus en plus d'argent pour rembourser sa dette. Cette omniprésence de l'argent qui représente une fatalité dans la vie des personnages nous révèle la situation de crise actuelle que traverse l'Espagne. C'était ton intention de montrer ce contexte socioculturel ?

 

Même si La Niña de fuego commence comme un film noir classique, il finit par parler de la crise parce qu'il se situe dans l'Espagne de 2014, et pas dans un passé lointain ou un lieu indéterminé. À travers cette histoire de chantage, je voulais réfléchir à notre servitude à l'argent et à la manière dont nous portons préjudice aux autres afin de nous enrichir.

 

En Espagne, nous nous sommes rendus compte tout d'un coup que le capitalisme était la pire des idées. Nous ne pensions pas cela avant, quand la crise affectait d'autres pays et pas le nôtre. Peu à peu, nous réalisons à quel point nous sommes coupables et responsables de ce qui nous arrive et comment nous pouvons changer la situation.


Dans le film, les personnages ne sont pas conscients non plus de ce qu'ils provoquent ; ils obtiennent de l'argent et ne se posent pas trop de questions. Il nous arrive un peu la même chose tous les jours. Nous sommes entourés de biens et nous ignorons à quel prix nous les possédons.
Mon idée, c'était de situer les personnages du film dans le contexte socioculturel actuel et de ne pas éviter le thème de la crise même s'il n'est pas évoqué directement. Je pense que la crise espagnole ne parle pas seulement de l'Espagne, mais de l'Occident en général.

 

Contrairement à vos courts-métrages et bandes dessinées, comme la dernière intitulée Cosmic Dragon, vos long-métrages expriment une vision plus obscure et tragique. Comment le format ou le support délimitent-ils la nature même du message ?

 

Je dois avouer que je n'étais pas conscient de cet aspect mais c'est vrai que ma troisième bande dessinée est une adaptation d'une comédie et la quatrième et dernière a été pour moi un "divertissement" qui n'exclut pas pour autant un côté tragique de l'humour.

 

Magical Girl

Ce côté à la fois tragique et comique est très typique de la comédie espagnole...

 

C'est exact. Mais, je n'ai jamais été conscient de cette différence de ton entre mes bandes dessinées et mes long-métrages parce que je n'ai jamais tracé de frontière dans la création, le support étant complètement circonstanciel.

 

J'ai également remarqué que dans La Niña de fuego la violence est montrée avec beaucoup plus de distance et d'humour et de manière moins explicite que dans Diamond Flash. Est-ce que vous pensez que l'humour peut être un instrument pour exprimer la violence indirectement ?

 

Je crois que les limites de l'humour sont tracées par ceux qui ont souffert de la violence. Pour les autres, c'est difficile de tracer ces limites et de se demander : de quoi et de qui pouvons-nous rire ? Quelle est la limite de la violence ?


Dans La Niña de fuego, j'ai montré une violence plus implicite non seulement à cause d'une position morale, mais surtout parce que la violence extrême est une composante narrative qui devient encore plus brutale si elle n'est pas directement visible. On ne voit jamais les mauvais traitements dont est victime Bárbara après avoir passé la porte du Lézard noir, mais ses bandes plâtrées cachent des blessures qui doivent être très graves.

 

À propos de la violence qui se cache derrière la porte du Lézard noir, pourquoi l'appeler de cette façon ?

 

Le Lézard noir est une référence freak et personnelle au cinéma et à la littérature japonaise. Il y a un livre très connu qui s'appelle Le Lézard noir.

L'acteur travesti japonais qui incarne le personnage de femme fatale me paraît génial et en plus, dans le roman, on ne se sait pas s'il s'agit d'un homme ou d'une femme ! À la fin de La Niña de fuego, j'utilise une chanson de ce film, reprise par le groupe Pink Martini, The Song of The Black Lizard.

 

Pourquoi Bárbara décide d'ouvrir la porte du Lézard noir en sachant les dangers atroces qui l'attendent ? Que symbolise pour toi ce motif de la porte qui apparaît de manière récurrente au cinéma, par exemple dans Le Secret derrière la porte de Fritz Lang, The Shining de Stanley Kubrick ou dans les films de David Lynch ?

 

En écrivant le scénario du film, Bárbara m'est apparue comme un personnage très puissant qui utilise la soumission comme une arme pour atteindre ses objectifs. Cette idée de la soumission comme une force m'a donné celle de la violence qui se cache derrière la porte. Je crois qu'il y a quelque chose de terrifiant dans l'idée d'une porte fermée, le conte de Barbe Bleu parle de cela. Il y a aussi une scène de Twin Peaks : Fire Walk with Me de David Lynch, que je trouve très angoissante : c'est celle où Laura peint une porte fermée dans sa chambre et, à un moment donné, Laura se réveille et la peinture représente une porte ouverte. L'image de cette porte provoque en moi une panique totale.

 

Quel regard portez-vous sur le cinéma d'auteur espagnol et sur la possibilité de produire et réaliser ce genre de films en Espagne ?

 

Il est certain qu'il y a aujourd'hui des jeunes réalisateurs comme moi qui se mettent à faire des long-métrages, sans faire appel à des grosses boîtes de production. C'est important que les réalisateurs puissent envisager la possibilité de réaliser des long-métrages avec peu de moyens parce qu'on apprend beaucoup plus dans un long que dans un court, même si les deux expériences sont merveilleuses. Je suis optimiste quant à l'avenir du cinéma espagnol : pour que le cinéma aille bien il faut qu'on le veuille. S'il n'y a pas des gens optimistes qui osent faire des films, personne ne pourra dire que le cinéma espagnol se porte bien. Il faut donc être optimiste.

 

Magical Girl

Mon opinion

 

Magical girl, le titre original, de ce deuxième long-métrage de Carlos Vermut sort sur les écrans sous le titre La Niña de fuego, chanson éponyme d'un ancien chanteur de flamenco, Manolo Caracol. Pour le réalisateur l'idée est venue avec "Une découverte d'une version moderne de Pony Bravo". Le titre original faisait référence aux personnages de mangas et correspondait parfaitement au thème du film. Tout au long de ce long métrage le réalisateur ne cache pas son attrait pour le cinéma japonais.

 

Si la construction du scénario reste très inventive, sans être toutefois d'une extrême complexité, elle n'en demande pas moins une attention particulière pour tenter de trouver, ou pas, les liens qui unissent les principaux protagonistes. Jusqu'à la dernière pièce manquante d'un puzzle géant.

 

Il est question de la crise en Espagne, avec entre autres la vente de livres dont le poids fait la valeur au détriment du contenu. L'anéantissement de tout un système éducatif.

 

La photographie blafarde et les décors minimalistes accentuent une impression de froideur implacable. La caméra s'attarde à peine sur des lieux de vie impersonnels. La réalisation de Carlos Vermut, récompensée aux derniers Goya, ne manque pas d'effets, avec entre autres de nombreuses ellipses particulièrement réussies. "Un sens hors du commun" selon Pedro Almodóvar.

 

Dans l'une des dernières scènes, l'un des principaux protagonistes enfilera chemise, cravate, et costume de ville avec la méticulosité d'un toréador. "L’Espagne est un pays où le conflit entre le rationnel et l’émotif n’est pas encore complètement résolu, d’où la fascination pour le portrait de la lutte entre l’instinct et la raison qui a lieu dans les arènes" a déclaré le réalisateur.

 

Dans un casting restreint, Luis Bermejo, Israel Elejalde et José Sacristán sont tous trois excellents. La très belle et convaincante Bárbara Lennie a, quant à elle, reçu le Goya de la meilleure actrice. Une autre récompense et non des moindres pour ce film, le prix du Jury Jeune au Festival du Cinéma Espagnol de Nantes.

 

La première sensation ressentie à la sortie de la salle est d'avoir vu un film d'un genre tout nouveau, à nul autre pareil.

 

Je reste à la fois fasciné, asphyxié et tout a fait convaincu. Un film qu'il est difficile de conseiller, mais un très grand moment de cinéma en ce qui me concerne.

 

La Nina de fuego (Magical Girl)

27 août 2015 4 27 /08 /août /2015 18:20


Date de sortie 26 août 2015

 

Dheepan


Réalisé par Jacques Audiard


Avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby,

Vincent Rottiers, Marc Zinga, Franck Falise, Tarik Lamli


Genre Drame

 

Production Française

 

Festival de Cannes 2015

 

C'est la première fois que Jacques Audiard remporte la Palme d'Or pour un de ses films et le moins que l'on puisse dire, c'est que cette récompense fut une grande surprise. Certes, le réalisateur est un habitué de la compétition cannoise puisqu'il y a remporté le Grand Prix du Jury en 2009 pour Un Prophète. Néanmoins, l'accueil de la presse fut dans l'ensemble assez mitigé et les pronostics misaient plutôt sur un autre film. À vrai dire, peu de personnes s'attendaient à ce que le long métrage soit présent au palmarès et encore moins qu'il remporte la récompense suprême.

 

 

Au final, la victoire de Dheepan est une énorme surprise et vient grossir le rang des Palmes d'Or françaises de ces dernières années après le sacre de Laurent Cantet pour Entre les murs en 2008 et Abdellatif Kechiche avec La Vie d'Adèle en 2013.

Sources : allocine.fr

 

Dheepan

 

Synopsis

 

Dheepan (Antonythasan Jesuthasan) est un combattant de l'indépendance tamoule, un Tigre.

 

La guerre civile touche à sa fin au Sri Lanka, la défaite est proche, Dheepan décide de fuir. Il emmène avec lui une femme, Yalini (Kalieaswari Srinivasan) et une petite fille Illayaal (Claudine Vinasithamby) qu'il ne connaît pas, espérant ainsi obtenir plus facilement l'asile politique en Europe.

 

Arrivée à Paris, cette "famille" vivote d'un foyer d'accueil à l'autre, jusqu'à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d'immeuble en banlieue. Dheepan espère y bâtir une nouvelle vie et construire un véritable foyer pour sa fausse femme et sa fausse fille.

 

Bientôt cependant, la violence quotidienne de la cité fait ressurgir les blessures encore ouvertes de la guerre. Le soldat Dheepan va devoir renouer avec ses instincts guerriers pour protéger ce qu'il espérait voir devenir sa "vraie" famille.

 

Dheepan -  Antonythasan Jesuthasan

 

Antonythasan Jesuthasan

© Paul Arnaud - Why Not Productions

Entretien avec Jacques Audiard et Thomas Bidegain

 

D’où vient ce personnage de Dheepan ?


Jacques Audiard : C'est Noé Debré qui un jour est venu nous voir avec cette idée d'étrangers très étrangers, cette idée de personnages Tamouls fuyant le conflit Sri Lankais.


Thomas Bidegain : Une communauté pour laquelle il n'existe pas de représentation de la violence.


Jacques Audiard : Pas de représentation cinématographique du tout ! Que savions nous du conflit tamoul ? Noé nous a présenté un documentaire de la BBC, "No Fire Zone", qui est d’ailleurs d’une violence parfois à la limite du soutenable mais qui racontait cette particularité du conflit : les forces gouvernementales négociaient des "No Fire Zones", dans lesquelles les populations tamoules se réfugiaient. Puis cette zone était bombardée et les poches de résistance se sont ainsi réduites jusqu'à ce que les tamouls se retrouvent les pieds dans l'eau.

 

Le film s’appelle Dheepan, mais le personnage principal est tout autant la famille qu’il forme lui-même avec cette fausse femme et cette fausse fille. Aviez-vous conscience que celles-ci prendraient autant de place au final ?


Thomas Bidegain : Comme pour De Rouille et d'Os et Un Prophète, le sujet du film –l'objectif primaire des personnages– est inscrit, presque de manière inconsciente, dans la première séquence.


Jacques Audiard : Oui bien sûr, mais il n'est pas perçu comme un objectif lorsqu'il est exposé. On découvre une fausse famille, l'objectif, qui serait en devenir une vraie, est sous-jacent.

Thomas Bidegain : Tout comme dans De Rouille et d'Os… Devenir un père est un objectif primaire désigné en creux dès la première séquence.


Jacques Audiard : Je crois qu'au tout début du projet nous n'étions pas du tout conscient de cet objectif : former un couple, une famille. C'est pourtant quelque chose qui m'est apparu très clairement en cours de route et que le tournage n'a cessé de renforcer. Ce sont des personnages qui ne s'aiment pas. Et qui ne s'aiment pas sur une base très claire : lui était guerrier et elle était civile. Le guerrier révolté a le plus grand mépris pour la civile.
Parfois, je me dis que Dheepan est vraiment une comédie de remariage. Il y a un thème au fond du fond du film qui est un thème typiquement de comédie : on a besoin d'être une famille, un couple, dans un but utilitaire, pour rentrer dans une société, et à la fin on se prend sauvagement sur le canapé.

Thomas Bidegain : Je me souviens pourtant de débats sur la nécessité de ce prologue. Le film aurait pu s'ouvrir directement sur un vendeur à la sauvette.


Jacques Audiard : Il y a eu des versions de montage du début du film extrêmement cursives, où la recherche de l'enfant n'était pas montrée, où l'on ne découvrait que le résultat, mais ce n'était jamais satisfaisant. Il fallait avoir la patience de désigner la fausseté, le mensonge, tout ce qui allait devenir le sujet.

 

Dheepan - Antonythasan Jesuthasan, Claudine Vinasithamby

 

Claudine Vinasithamby et Antonythasan Jesuthasan

 Paul Arnaud - Why Not Productions

Yalini apporte à Dheepan ce qu’il avait perdu : avoir un but dans sa vie. À partir du moment où il tombe amoureux d’elle, l’objectif de cette femme devient le sien. L’épilogue a fait couler beaucoup d’encre, mais n’était-ce pas précisément cette idée qu’il souligne, la victoire de Yalini sur Dheepan ?

Thomas Bidegain : Oui, il nous a toujours semblé que c'était un des rares objectifs personnels clairement désigné dans le scénario : elle veut aller à Londres. C'est son seul objectif. Aller un jour en Angleterre parce qu'elle a une cousine là-bas. D'ailleurs si sa cousine vivait au Danemark, l'épilogue se situerait à Copenhague sans que cela soit un commentaire sur le modèle d'intégration danois.


Jacques Audiard : Ce qu'il y a d'intéressant pour nous là dedans, c'est qu'en allant en Angleterre, Dheepan qui a jusqu'à présent imposé son désir aux autres, va s'abandonner dans le désir de la femme. Il se soumet et ça c'était une chose intéressante. C'est finalement très doux.

Thomas Bidegain : On pourrait pratiquement dire que Dheepan est l'histoire d'une femme qui veut aller en Angleterre.


Jacques Audiard : Le film est en tout cas assez proche de l'ambition initiale, reptilienne, du projet qui était celle d'un immense chemin parcouru entre la première et la dernière image. Et qu'est-ce qui va faire que ces personnages vont pouvoir parcourir cette chose là extérieurement comme intérieurement.

Thomas Bidegain : La mécanique scénaristique était aussi bien plus légère que sur tes deux précédents films…


Jacques Audiard : Là il n'y avait pas de mécanique. Il ne fallait pas s'étonner de retrouver au montage les caractéristiques de ce qu'à été l'écriture du projet. On peut toujours trouver des problèmes au montage, moi je n'appellerais pas ça des "problèmes" mais plutôt des caractéristiques d'un certain type de matériel. Ici le tournage a été très évolutif. C'était nécessaire et je ne voulais pas mettre les comédiens dans des dispositifs trop serrés. Des choses arrivaient que j'inventais le matin pour l'après midi. Tu dis que le film est personnel. S'il est personnel, c'est à la hauteur du risque, de la peur, que j'ai eu très régulièrement pendant le tournage. Un mélange de peur et d'exaltation.

 

Dheepan


Quel a été l’apport des comédiens et de leur vécu sur cette histoire ?

Thomas Bidegain : Tout au long de l'écriture j'ai le souvenir que nous évoquions l'arrivée des comédiens comme une inconnue qui allait de toute façon bousculer le scénario.


Jacques Audiard : J'ai hésité à faire le film, sur la simple foi du scénario. Ce n'était pas un reniement mais je m'interrogeais. Le matériau scénaristique était-il suffisamment renouvelé ? Est-ce que c'était simplement un film de "vigilante" ? Je trouvais aussi que pour des raisons de thèmes et de milieu, il pouvait y avoir quelques ressemblances avec Un Prophète. Je me suis interrogé pendant un certain temps mais ce qui a été pour moi décisif, ça a été de voir les comédiens. Avec eux je retrouvais ce qui était à l’origine même du projet : faire un film de genre avec des acteurs complètement étrangers, et que cette altérité entre dans le genre. Cette espèce d’altérité que nous cherchions pour le film, je la retrouvais assez naturellement avec eux. J'ai eu de longs moments d'immersion avec les trois comédiens. C'était assez singulier. Peu à peu la Coudraie devenait réellement une terre étrangère. Et puis, le film ne pouvait pas s'articuler trop sur la fiction, la chose la plus importante était l'intériorisation de tout ça par les personnages. Leur évolution de l'intérieur et les uns vis à vis des autres. C'était primordial.


Thomas Bidegain : Je crois que c'est le jeu remarquable de Shoba qui maintient cette tension, et par là l'unité formelle du film. Quelque chose gronde en lui d'un bout à l'autre.

Jacques Audiard : Si c'est ça, tant mieux et je pense que c'est quelque chose que Shoba a appris en cours de route. Au départ, il n'est pas acteur, on ne parle pas la même langue, et il était un peu lui même. Ce qu'il m'avait montré aux essais. Ce qui d'ailleurs me l'avait fait choisir : une espèce de charme, de nonchalance, dans un corps meurtri. Mais je me suis rapidement aperçu qu'il fallait absolument qu'il trouve autre chose, que le personnage ce n'était pas lui, c'était Dheepan. A moi donc à ce moment là de lui faire comprendre qui était Dheepan, quelqu'un qui se tient différemment, qui regarde différemment, quelqu'un de plus posé.


Thomas Bidegain : Un héros avec une silhouette.

Jacques Audiard : Ce que je voulais c'est qu'il puisse pousser une poubelle comme un guerrier. Pas comme un gardien.


Thomas Bidegain : Kalie, elle, était déjà comédienne.

Jacques Audiard : Elle n'avait jamais fait de film, mais elle vient du théâtre et travaille dans une troupe de Chennaï. Assez régulièrement, elle venait me trouver pour me demander où en était le personnage à ce moment là du film. Des questions que ne posait jamais Shoba. Avec lui je travaillais scène à scène sur ses mouvements, ses positions. Avec Kali, on était dans un questionnement de comédienne, elle était une force de proposition et se révélait très différente selon la conscience qu'elle avait de la scène.
D'une scène à l'autre, même physiquement, elle n'était pas la même personne. Il y a des scènes difficiles à faire. Quand elle regarde la télé en silence avec Brahim, il règne une espèce d'émotion sexuelle et ça elle l'amenait avec beaucoup de simplicité, elle l’intègre très naturellement dans son jeu. Elle est fine et c'est une séductrice mais je l'ai aussi beaucoup choisi pour sa voix. Elle a une voix formidable.


Thomas Bidegain : Il est fascinant de voir comment dans le cours du film, elle passe d'objet à sujet.

Jacques Audiard : Absolument. Et lui aussi.


Claudine, elle n'avait jamais joué, n'est-ce pas ?

 

Jacques Audiard : Alors elle, elle est un peu surdouée. Surdouée en tout je crois. Quand je pense qu'elle avait neuf ans lors du tournage, je n'en revenais pas. Elle est vraiment très fine. Très intelligente. Au bout d'un moment j'en venais à me demander : elle a fait combien de films ? Et puis elle servait aussi souvent d'interprète, avec un tamoul tout à fait précieux. Très choisi.

 

Dheepan

La référence aux Lettres Persanes vous semble toujours d'actualité ?

 

Jacques Audiard : C'était surtout une espèce de slogan. Un "post-it" apposé sur le projet au tout début du travail, une direction. Ensuite sur la question de l'altérité, on peut dire que le film est entièrement dans des points de vue. On est toujours dans leurs regards, leurs regards sur une réalité qui n'est pas la leur, qu'ils ne connaissent pas et dans laquelle ils pourraient entrer s'ils possédaient la langue mais ils ne la possèdent pas.

Thomas Bidegain : La petite fille les précède dans l'apprentissage de la langue.

 

Jacques Audiard : Elle a un rôle moteur dans le développement de la famille. C'est elle qui relie ses faux parents l'un à l'autre. Elle est la première à aller vers ce faux père. Elle établit ensuite ce curieux arrangement avec sa fausse mère : tu ne veux pas être ma fausse mère, soit au moins ma fausse soeur, ça ira déjà mieux.

Thomas Bidegain : Elle sert de lien au début, elle réunie les forces en présence puis doit s'effacer pour laisser de la place à ce qui va devenir une histoire d'amour. Dans le scénario, l'histoire d'amour était moins claire qu'elle n'est dans le film. Il y avait un désir naissant, un rapprochement, mais ce n'était pas le moteur du récit.

 

Jacques Audiard : C'est pourtant ce qui m'a décidé à me lancer dans l'aventure. C'était quelque chose qu'il fallait développer au tournage. C'est la première fois qu'on s'est dit qu'il manquait quelque chose au scénario, que le film ne serait valide que s'il s'accroissait au tournage. Et c'est ce qui s'est passé autour de l'histoire d'amour.

 

Les acteurs avaient lu le scénario, mais avaient-ils conscience qu'il leur incomberait de venir combler ces manques ?


Jacques Audiard : Shoba et Kalie ont tout à fait bien compris dans quel sens allait évoluer le film. Et ce qui a été pour moi assez important c'était de voir à quel point les scènes entre Vincent Rottiers et Kalie étaient érotiquement chargées. J'étais très intéressé dans le film par ces relais de désir. Tout à coup, là naissait quelque chose qui allait éclairer le récit. Il y avait quelque chose de plus incarné sensuellement.

Et l'idée de Vincent Rottiers pour jouer le personnage de Brahim justement, à quel moment est-elle intervenue ?

Thomas Bidegain : Le personnage dans le scénario était décrit comme un grand black athlétique.


Jacques Audiard : Oui, ou arabe, il y avait là-dedans quelque chose de très attendu. Et puis surtout, Vincent Rottiers est quelqu'un qui m'intéressait depuis longtemps. Un jour j'ai décidé que c'était lui et c'est un peu comme quand sur Un Prophète on a décidé que Niels Arestrup allait interpréter le chef corse. Ce n'était pas désigné à priori. J'aimais pour Brahim l'idée que le personnage ne soit pas une brute épaisse mais quelqu'un d'assez enfantin, assez juvénile.

Thomas Bidegain : Dans le film, Brahim évoque son oncle, son père. L'idée d'une lignée, d'une dynastie, qui n'était pas dans le scénario.


Jacques Audiard: C'est en les voyant, sur le tournage, que m'est venue l'idée. L'idée d'improbables mélanges, de désigner la filiation de ce garçon blond aux yeux d'opaline qui s'appelle Brahim.


Thomas Bidegain : Comme le personnage de Matthias dans De Rouille et d'Os qui s'appelait Ali.

Jacques Audiard : Cela vient aussi de la visite des foyers, lors des repérages. J'y ai rencontré des familles musulmanes dans lesquelles on voyait des blonds aux joues roses avec des yeux transparents. Les stéréotypes en prennent un coup. L'idée de Vincent Rottiers vient vraisemblablement de là.

 

Le tournage à la Coudraie a-t-il eu, au même titre que la découverte des comédiens, une influence sur le film ?


Jacques Audiard : Ce que l'on a longtemps cherché pour la cité c'était un dispositif scénographique particulier. Cette scénographie était très impérative dans le scénario, nécessaire à la confrontation, à l'idée de la "No Fire Zone". Mais les cités ainsi distribuées n'existent plus. Elles ont été pour la plus part démolies. Nous avons trouvé la Coudraie, à Poissy. Ce paysage en voie de désertification, mais surtout la collaboration des habitants ont sans doute été actifs sur ce qu'est devenu le film. Mais ça reste un décor. Un décor très frontal, et pas une sociologie. Sinon on s'y serait pris autrement.
 

Et le fait d'avoir changé un grand nombre de personnes de l'équipe ?


Jacques Audiard : Le cinéma, ça sert quand même à expérimenter des choses. A vivre des rapports différents avec les gens. Et le fait d'avoir changé pas mal de monde sur le plateau m'a fait penser que j'avais raison sur certains points et pas forcément sur d'autres. Mais ce qui est agréable c'est de m'être dit un jour que sur ce film là, puisque je rentre dans un domaine complètement étranger, autant que nous soyons tous étrangers.

 

Dheepan - Palme d'or Cannes 2015

 

Cannes 2015

Jacques Audiard, entouré de ses interprètes.

Mon opinion

 

Le principal protagoniste, Anthonythasan Jesuthasan est le premier point fort de ce film. Un homme qui, entre ses seize et dix-neuf ans fut enrôlé par les Tigres de la Libération. Réfugié politique par la suite, il est aujourd'hui écrivain. Une autre façon de raconter ses souvenirs, pendant son engagement et de rappeler ce lointain et douloureux conflit au Sri Lanka.

 

Un interprète idéal à la fois fascinant, inquiétant, émouvant, doux et violent. "Une espèce de charme, de nonchalance, dans un corps meurtri" déclarera le réalisateur.

 

À ses côtés, Kalieaswari Srinivasan tiendra le rôle d'une prétendue épouse. L'énergie du désespoir lui offrira quelques belles scènes dans lesquelles l'actrice se montre particulièrement convaincante. Avec son éclatante beauté et toute la fraîcheur de son jeune âge, Claudine Vinasithamby apporte une touche de douceur et d'émotion.

 

Noé Debré, à l'origine de ce projet participe à l'écriture du scénario avec Jacques Audiard et Thomas Bidegain. Le film oscille sans cesse entre polar et cruelle actualité sociale. La musique de Nicolas Jaar, élément majeur du film, est une parfaite réussite.

 

Dès le début du film, entre la préparation d'un bucher et le passage dans les camps de réfugiés, le spectateur se trouve pris dans une atmosphère oppressante et d'une grande férocité. Impossible de rester insensible devant tant de cruautés. Impatience, aussi, de savoir où nous mènera cette pseudo famille, au moment même où notre actualité témoigne de la détresse de tous ces réfugiés.

 

Dans la deuxième partie du film le scénario devient plus alambiqué et multiplie les récits sans véritablement en développer un seul. L'ensemble devient confus. Dommage. La banlieue et ses barres d'immeubles apparaissent, une fois encore, comme autant de repères pour trafics en tous genres.

 

La photographie n'en reste pas moins exceptionnelle. La finesse de la réalisation remarquable.

 

Loin de laisser insensible, Dheepan laisse passer l'émotion sans la retenir.

 

Dheepan - Kalieaswari Srinivasan et Vincent Rottiers

 

Kalieaswari Srinivasan, Vincent Rottiers

 

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mais beaucoup s'échinent à la transformer

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