Date de sortie 10 février 2016
Réalisé par Pablo Trapero
Avec Guillermo Francella, Peter Lanzani, Lili Popovich,
Giselle Motta, Franco Masini, Gastón Cocchiarale
Genres Thriller, Drame
Production Argentine, Espagnole
Phénomène actuel en Argentine avec plus de 2 millions de spectateurs à la 5ème semaine, El Clan revient sur une affaire qui a traumatisé le pays dans les années 80. Pablo Trapero a coécrit et produit le film, en partenariat avec la société de production El Deseo, dirigée par les frères Agustín et Pedro Almodóvar.
Véritable succès cinématographique sur le plan national,
Pablo Trapero a été récompensé par :
- Le Lion d’argent du meilleur réalisateur lors de la 72ème Mostra de Venise.
Le Goya 2016 du meilleur film étranger en langue espagnole
Synopsis
Dans l’Argentine du début des années quatre-vingt, un clan machiavélique, auteur de kidnappings et de meurtres, vit dans un quartier tranquille de Buenos Aires sous l’apparence d’une famille ordinaire.
Arquímedes Puccio ( le patriarche, dirige et planifie les opérations. Il contraint Alejandro (, son fils aîné et star du rugby, à lui fournir des candidats au kidnapping.
Alejandro évolue au prestigieux club le Casi et dans la mythique équipe nationale, Los Pumas.
Il est ainsi, par sa popularité, protégé de tous soupçons.
L’Affaire Puccio
La fin de la dictature
El Clan revient sur quatre enlèvements retentissants, commis à Buenos Aires entre 1982 et 1985, s’inscrivant dans le cadre de ce qui deviendra "l’affaire Pucci". Cette série d’enlèvements crapuleux, suivis de l’assassinat des victimes malgré le paiement des rançons est le fait d’un patriarche, Arquimedes Puccio, avec la complicité directe ou tacite de toute sa famille.
Alors que l’Argentine expérimente la démocratie après avoir subi de 1976 à 1983, une dictature militaire, le père, ancien homme de main des services de renseignement militaire, est mis en "chômage technique" par la fin de la dictature. Il intensifie alors ses activités parallèles de droit commun et planifie des enlèvements, ciblant deux chefs d’entreprise et deux connaissances de son fils aîné, Alejandro.
L’effet de choc
Celui-ci, célèbre rugbyman qui porte les couleurs d’un club emblématique, le Club Atletico San Isidro (CASI) et joue pour l’équipe nationale d’Argentine, participe aux forfaits, ce qui accroit l’effet de choc lorsque la police vient arrêter toute la famille dans leur maison de San Isidro, une banlieue chic et résidentielle de la capitale argentine. La plupart de ses camarades de rugby ont mis des années à admettre sa culpabilité, alors même qu’une des premières victimes des Puccio avait été un autre jeune rugbyman du CASI.
Daniel, son frère cadet, collabore aussi. Epifania, la mère, quant à elle, affiche une attitude passive et complice, allant jusqu’à rappeler à l’ordre Alejandro, quand il manifeste le désir de rompre avec la vie criminelle. Deux amis du père complètent l’organisation criminelle.
Au centre du film
La manipulation du fils aîné par son psychopathe de père et ses tentatives pour échapper à son emprise sont au centre du film qui rappelle en guise d’épilogue que Puccio père fut condamné mais n’avoua jamais. Pendant ses longues années de prison il étudia le droit et à sa sortie devint… avocat ! Il mourut à 84 ans, bien après ses victimes et la plupart des membres de sa famille. Alejandro passera plus de vingt ans en prison avant de mourir peu après sa libération en 2008.
Entretien relevé dans le dossier de presse avec le réalisateur/scénriste Pablo Trapero.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à ce terrible fait divers ?
J’avais 13, 14 ans lorsque cette histoire complètement folle a commencé de défrayer la chronique. Elle a tout de suite fasciné l’adolescent que j’étais. Les années passant, et à mesure qu’on découvrait des choses sur l’affaire - très opaque au début - j’avais l’intuition que ce serait un excellent point de départ pour un scénario. Les faits me trottaient d’ailleurs toujours dans la tête lorsque j’ai commencé mes études de cinéma et puis les événements et les rencontres m’ont conduit sur d’autres chemins. Pour autant, l’idée d’en faire "quelque chose" un jour ne m’a jamais quitté.
Après Elefante Blanco, vous étiez pourtant parti sur un projet tout-à-fait différent…
J’avais en effet un projet en anglais, un film que j’aurais tourné en Inde, d’après un roman de Vikas Swarup, l’auteur de Slumdog Millionaire. J’avais même commencé les repérages, avant que l’un des acteurs pressentis ne me fasse défaut. J’ai alors senti que j’étais mûr pour entreprendre El Clan.
Aujourd’hui le film est un succès en Argentine, comme dans nombre de ses pays voisins, et personne ne remet en cause sa légitimité. Au début pourtant, il semble que vous ayez dû batailler ferme pour en imposer le projet.
C’est vrai. Il y a une petite dizaine d’années, lorsque j’ai commencé à dire que j’aimerais écrire sur l’affaire Puccio, beaucoup de gens, dans l’entourage de la famille, comme dans celui de leurs victimes, m’avaient prié de laisser tomber.
Quels étaient leurs arguments ?
Ce fut très troublant pour moi d’entendre par exemple les gens de leur district dire que les Puccio étaient "une famille ordinaire", des gens respectables en somme. Les enfants étaient parfaitement intégrés à la société. Alexandre par exemple était un rugbyman vedette dans notre pays, vainqueur des All Black au sein d’une sélection des meilleurs joueurs d’Amérique du Sud. La mère était enseignante dans un établissement assez classique. Quant au père, tout ce que certains pouvaient éventuellement retenir "contre lui" c’est qu’il était un maniaque de la propreté ; un obsédé du balai, qu’on le voyait passer tous les jours devant sa porte. Depuis, cette affaire, de par son caractère paradoxal, est devenue un cas d’école dans les universités qui enseignent la criminologie.
Que savait-on concrètement sur cette famille lorsque vous entreprenez la partie "enquête" de l’écriture ?
Très peu de choses. Surtout des choses fausses. Beaucoup de gens pensaient même que les Puccio avaient été certainement victimes d’une erreur judiciaire ; que cette famille "bien sous tous rapports", aurait été incapable de commettre une série de crimes pareils. Il y a encore aujourd’hui des gens pour le croire. Certains ont d’ailleurs refusé de me rencontrer pour m’aider à écrire cette histoire.
De quels éléments concrets disposiez-vous avant de commencer à tirer le fil de l’histoire ?
Il est sorti beaucoup de livres depuis, mais il n’en existait alors qu’un seul sur l’affaire et il ne couvrait les faits que jusqu’en 1980. Avec mon équipe, nous avons ainsi dû mener un travail de documentation de très longue haleine. Même au moment d’aller fouiller dans les journaux de l’époque : il nous a fallu les feuilleter un à un, puisqu’ils n’étaient même pas numérisés. En fait, on s’est retrouvés à faire du journalisme "old school" ; une véritable enquête de voisinage aussi, façon détective privé, en allant sonner à la porte des maisons voisines de celle des Puccio ; ou en rencontrant les copains du club de rugby d’Alejandro !
Avez-vous eu accès au dossier d’instruction ?
C’est même devenu notre base de travail la plus concrète. Dans la foulée, j’ai pu interroger les juges de l’enquête et même les familles des victimes. J’ai épluché les rapports de police, les minutes du procès, etc. En fait, ce fut un processus assez bouleversant pour moi.
Pourquoi "bouleversant" ?
De par la brutalité des faits décrits et leur caractère surréaliste, presque "irréel" j’ai envie de dire. En 2012 le père Puccio, qui avait passé déjà des années en prison, avait eu vent de mon projet et avait voulu me rencontrer. Il était toujours dans le déni et voulait que j’écoute sa version des faits. Il est mort cinq mois après.
Le film tourne le dos à une narration linéaire et commence par l’image d’une femme se débattant dans une chambre noire, sans qu’on ne sache rien de ce qu’elle vit.
L’idée était de partager avec le spectateur ce qu’avait été mon trouble à mesure que je découvrais l’ampleur dramatique de la vraie histoire. Au début, face à tant d’incohérences, j’étais très désorienté. Or je me suis dit que j’aimerais que les gens dans la salle éprouvent le même trouble ; qu’ils sortent de la zone de confort qu’on recherche habituellement lorsqu’on va au cinéma et découvrent l’histoire dans le désordre angoissant dans lequel, avec mon équipe, nous l’avions découverte avant eux. En filigrane, le film peut être vu aussi comme la radiographie d’une société terriblement inhumaine et atroce. Beaucoup d’autres "Puccio" sont aujourd’hui en liberté. Pour eux, la protection existe toujours.
Quelle période avez-vous choisi de faire revivre ?
Avant de peaufiner son business macabre, Arquimedes Puccio avait sévi en toute impunité pendant plus de dix ans : au début des années soixante-dix (avant donc la dictature militaire), agissant au sein d’un groupe d’extrême droite, il avait par exemple déjà été accusé de trafic d’armes, mais était resté en liberté. Il appartenait alors au Service Diplomatique de Perón et bénéficiait clairement de protections en haut lieu. J’ai préféré centrer le film sur les quatre enlèvements les plus connus, opérés entre 1982 et 1985. Une période charnière de notre histoire récente, car à cheval entre la fin de la dictature et le début de la démocratie.
C’est un film ou la violence est omniprésente. Mais elle ne s’exprime pas de la même manière à l’intérieur de cette "maison des secrets" qu’à l’extérieur.
À l’extérieur, la violence est institutionnelle, le pays passe par différents soubresauts. Puis elle devient concrète pour les victimes pendant leurs enlèvements. À l’intérieur de la maison, j’ai envie de dire qu’elle est encore plus forte cette violence, car on y mesure ce que ce père a été capable d’imposer à ses enfants dans l’objectif de ne pas les voir ruiner son entreprise. C’est une violence qui se fait alors psychologique.
Devoir travailler sur un fait réel a-t-il modifié votre manière d’écrire ?
Forcément, car malgré tout le travail de recherche, des aspects manquaient à la construction du récit. Je ne savais pas par exemple en quels termes le père Puccio s’adressait à son fils pour le convaincre de l’assister dans ses crimes. Personne n’avait été là pour les entendre. Et pour ça, il m’a fallu me projeter, l’imaginer. Et cet aspect là, je l’ai écrit seul, fort de toute la matière que j’avais assimilé.
S’il fallait définir le genre du film ?
Je dirais qu’il s’agît d’un mélange entre mélodrame et thriller, avec des emprunts au film de genre. Et puis j’ai tenté d’y glisser en plus de petits clins d’oeil au cinéma de Buñuel.
Vous avez confié le rôle de l’effrayant patriarche à Guillermo Francella, un acteur surtout très apprécié et connu dans le pur registre de la comédie. Un sacré contre-emploi !
C’est un acteur immense. Je craignais qu’il refuse de camper le méchant du film. Mais à ma grande surprise il m’a tout de suite dit oui, très excité par cette idée. D’autant qu’il avait habité non loin du quartier où s’étaient déroulé les faits et qu’il faisait partie au départ des gens persuadés que Puccio avait été la victime d’une méprise.
C’est très vite devenu passionnant de travailler avec lui à la composition du chef de Famille. Il a trouvé sa voix propre.
Peter Lanzani, très populaire à la télévision comme acteur et comme chanteur au sein d’un groupe, est lui aussi un choix surprise.
.
Mon choix pour lui s’est décanté durant les essais. Comme Alejandro, il a lui aussi pratiqué le rugby, ce qui a représenté un plus durant les scènes de matches.
Comment expliqueriez-vous aujourd’hui le succès du film dans votre pays ?
C’est toujours un exercice périlleux et il est sûr que je ne m’imaginais pas réaliser plus d’entrées en Argentine que le nouveau Mission Impossible ! Disons que le script est suffisamment riche en détails pour permettre d’apprendre des choses même à ceux qui croyaient connaître cette histoire.
Et les autres, ceux qui y étaient étrangers ?
Les autres sont sans doute entrés dans le récit à travers la relation entre ce père et son fils. Aussi ambiguë qu’elle soit, elle est le coeur émotionnel du dispositif. Tout le monde, je crois, peut lire cette histoire à l’aune du face-à-face qu’ils se livrent sous nos yeux. C’est un sujet universel. Et il rend le film autonome de ce qu’on est censé savoir de l’affaire.
Mon opinion
Produit, entre autres, par la société des frères Almodóvar, Pablo Trapero porte à l'écran, avec un succès reconnu, un fait divers qui, dans les années 1980, défraya la chronique en Argentine.
Un habile montage et des images d'archives ponctuent ce long-métrage.
La réalisation est à la fois étincelante, parfaitement maîtrisée et ce, en dépit de scènes récurrentes qui augmentent l'écœurement. Le rythme ne faiblit à aucun moment. L'excellente musique signée Sebastian Escofet accompagne parfaitement le propos et finit par assommer tout autant que les horreurs, une fois encore, répétitives à souhait.
Manipulation à tous les niveaux.
Le scénario ne dévoile rien de la psychologie des principaux protagonistes de cette famille, en apparence ordinaire, qui trouve tout bénéfice de ce père à la fois attentif et monstrueux. À l'exception de l'un d'entre eux, qui, tout jeune choisira la fuite.
Tous les comédiens sont remarquables.
La répulsion ressentie ne trouve un apaisement qu'en toute fin de ce film qui reste très difficile à conseiller.
Peter Lanzani