Réalisé par Joseph L. Mankiewicz
Avec Marlon Brando, James Mason, John Gielgud,
Louis Calhern, Greer Garson, Edmond O'Brien,
Douglas Watson, Deborah Kerr, Douglas Watson
Genre Péplum
Production Américaine
Titre original Julius Caesar
Date de sortie 16 octobre 1953
Même ceux que l’œuvre du grand dramaturge anglais aurait tendance à rebuter devraient s’essayer à ce péplum pas comme les autres. Joseph L. Mankiewicz ne recherchant en aucune manière le spectaculaire, la pompe et le prestige, éléments constitutifs du genre dans la plupart des cas. Ce qui ne veut pas dire que le film soit austère, au contraire, mais extrêmement proche de la pièce de théâtre.
Joseph L. Mankiewicz, quatre oscars en poche, veut quitter Hollywood, ce pays de l’inculture selon lui, pour l’univers plus intellectuel du théâtre, quand la MGM de Dore Schary lui offre un contrat en or, qui laisse au cinéaste une grande liberté dans le choix des sujets. John Houseman, producteur à la MGM, lui propose alors d’adapter Jules César de William Shakespeare à l’écran : le théâtre, sa passion de toujours, venait à lui. Et nul doute que le film qu’il créa est digne du texte élisabéthain autant que du cinéaste lui-même.
Jules César remporta en 1954 :
- L'Oscar de la Meilleure direction artistique
Meilleur décors.
Cedric Gibbons, Edwin B. Willis ,
Hugh Hunt
- BAFTA du meilleur acteur anglais pour John Gielgud
- BAFTA du meilleur acteur étranger pour Marlon Brando
Déjà précédé d'une élogieuse réputation sur prestations théâtrales à Broadway à la fin des années 40, Marlon Brando est révélé au cinéma grâce au rôle bouleversant d'un soldat paraplégique avec C'étaient des hommes de Fred Zinnemann. Mais c'est surtout son interprétation du brutal Stanley Kowalski dans Un tramway nommé désir d'Elia Kazan qui le révèle, et lui vaut au passage la première de ses six citations à l'Oscar. Un rôle qu'il avait en outre déjà incarné sur les planches dans la pièce de Tennessee Williams. En 1952, il tourne à nouveau sous la direction du cinéaste d'origine arménienne dans Viva Zapata !. Avec Jules César, il remporte sa troisième citation à l'Oscar en moins de trois ans !
"Si j’ai tourné Julius Caesar, c’est que je ne connaissais pas d’auteur dramatique plus vivant que Shakespeare. Je crois que, convenablement porté à l’écran aujourd’hui, il en a plus à dire, et plus profondément, sur l’être humain et ses rapports avec la société qu’aucun écrivain d’hier et d’aujourd’hui. " reconnait Joseph L. Mankiewicz.
Entretien avec Joseph L. Mankiewicz, par Jacques Bontemps et Richard Overstreet
Cahiers du cinéma, n° 178, mai 1966
Louis Calhern, Marlon Brando, Greer Garson et Deborah Kerr
Synopsis
En 44 avant Jésus-Christ, Jules César (Louis Calhern) est virtuellement devenu le dictateur de Rome. Sa soif de puissance inquiète son entourage. Un groupe de conspirateurs a décidé de l'assassiner. Dirigés par Cassius (John Gielgud), les conjurés cherchent le soutien du très respectable Brutus (James Mason) qui admire César mais considère son ambition contraire aux intérêts de Rome. Brutus se rallie à leur cause.
James Mason
Aux Ides de Mars, Calpurnia (Greer Garson), la femme de César, le supplie de ne pas se rendre au Sénat car elle a fait un rêve de mauvais augure. Mais César se croit invulnérable... Au Sénat, il s'écroule sous les coups de poignards de Casca (Edmond O'Brien), Cassius et des autres conjurés. C'est Brutus qui lui porte le dernier coup.
Brutus explique les raisons profondes de son geste à la foule des Romains rassemblés, mais Marc-Antoine (Marlon Brando), le protégé de César, prend la parole immédiatement après lui et retourne l'opinion contre les conjurés qui sont obligés de fuir.
Louis Calhern et James Mason
Une guerre fratricide s'engage au terme de laquelle les conjurés seront anéantis par les armées de Marc-Antoine et Octavius (Douglas Watson), le neveu de César. Cassius et Brutus se suicident. Devant le corps inerte de Brutus, Marc-Antoine lui rend hommage : il était " le plus noble des Romains "; lui seul n'a agi que pour le bien de Rome.
Marlon Brando et James Mason
Selon Gilles Deleuze, (L'image-temps (Chapitre 3 : Du souvenir au rêve) dans Jules César, Mankiewicz insiste sur l'opposition psychologique de Brutus et de Marc-Antoine. Brutus apparaît comme un personnage absolument linéaire : sans doute est-il déchiré par son affection pour César, sans doute est-il orateur et politique habile, mais son amour pour la république lui trace une voie toute droite. Après avoir parlé au peuple, il permet à Marc-Antoine de parler à son tour, sans rester lui-même ou laisser un observateur : il se retrouve proscrit, promis à la défaite, seul et acculé au suicide, figé dans sa rectitude avant d'avoir pu rien comprendre à ce qui s'était passé.
Marc-Antoine au contraire est l'être fourchu par excellence : se présentant comme soldat, jouant de son parler malhabile, à la voix rauque aux articulations incertaines, aux accents plébéiens, il teint un discours extraordinaire tout en bifurcations qui va retourner le peuple romain.
Ceux qui connaissent cette pièce de Shakespeare savent déjà que l’œuvre du dramaturge évoque moins les exploits de l’ambitieux Jules César que l’acte criminel dont il a été victime. Brutus tient donc ici une place centrale dans cette tragédie politique. James Mason est tout simplement sublime dans ce film. Il y incarne un Brutus déchiré entre son amitié pour César et son amour de la démocratie romaine. Comment ne pas se laisser convaincre par un jeu si naturel, si subtil, si profond… Chaque réplique donne l’impression d’être spontanée chez James Mason. Une performance artistique qui se justifie : l’acteur avait déjà interprété ce personnage au théâtre à plusieurs reprises avant de faire du cinéma. Avec sa voix unique, l’acteur britannique parvient à magnifier le pathétisme shakespearien.
John Gielgud, spécialiste anglais du théâtre de Shakespeare, est magnifique.
La plus grande audace de Joseph L. Mankiewicz a été de confier le rôle de Marc Antoine à Marlon Brando, sorti de l'univers de Tennessee Williams et du jeu façon Actor Studio. Ce jeune chien fou est en train de révolutionner l’art de la comédie à Hollywood. L’acteur apporte son charisme, sa sensualité et son énergie et restera comme le plus puissant interprète de ce personnage flamboyant.
La scène du forum où, après les justifications de Brutus interprété par James Mason, Marc-Antoine prend la parole pour retourner l'opinion contre les assassins de César est un véritable suspens, un morceau d'anthologie. L’oraison funèbre est une performance digne des plus grads acteurs, transformant les marches du Sénat en une scène théâtrale et le peuple romain en un public attentif. Marlon Brando atteint ici un sommet de son jeu, alternant avec une force de conviction impressionnante les invectives et les flatteries, la colère et les larmes, adaptant ses paroles, ses gestes, ses mimiques, aux émotions qu’il veut susciter chez son auditoire.
Petit détail, signe de la parfaite maîtrise, par l’acteur, de son jeu, de sa pleine compréhension, aussi, du sens de la scène : à la fin de sa tirade, alors qu’il tourne le dos à la foule transportée pour rentrer dans le Sénat, Antoine-Brando esquisse pour lui-même un sourire d’auto-satisfaction, teinté de tout le mépris qu’il ressent pour cette foule qui s’est laissée si facilement convaincre par ses paroles.
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Au beau milieu du tournage, un scandale éclate. Alors que Marlon Brando est en train de tourner le fameux discours de Marc Antoine, "Amis, Romains, compatriotes …" une terrible nouvelle tombe. Le réalisateur Elia Kazan est devenu une balance, c'est confirmé. Depuis un an ils est apparu plusieurs fois devant la Commission des activités anti-américaines. Il a louvoyé. Mais maintenant c'est fait, c'est dit, c'est scellé. Il est passé de l'autre côté. Il est devenu abject. Pour Marlon Brando, l'effondrement est total. Il fond en larmes. Joseph L. Mankiewicz le console. C'est d'autant plus dur pour le cinéaste qu'il est un homme de convictions, qu'il s'est battu avec courage et dignité contre les attaques des réactionnaires les plus acharnés de la Guilde des réalisateurs, dont Cecil B. DeMille et Leo McCarey. Le tournage de Jules César reprend. Marlon Brando est dans un état second. Il dit le texte de Shakespeare avec une fureur et un désespoir contenus. Dans sa voix, il y a les chiens de guerre.
La mise en scène de Joseph L. Mankiewicz est ici remarquable, en ce qu’elle plonge à de nombreuses reprises le spectateur de la salle de cinéma au milieu de la foule romaine assemblée sur le forum, comme pour signifier plus clairement l’assimilation entre le monde "réel" et le théâtre.
Joseph L. Mankiewicz souhaitait dès le début mettre en scène un film qui collait au plus près de l'oeuvre de William Shakespeare. Il opta donc pour le respect des conventions théâtrales, refusant par exemple de montrer les batailles mais laissant aux comédiens le soin de les décrire, ce qui déconcerta beaucoup le public de l'époque, alors habitué à la vogue des péplums des années cinquante et leurs reconstitutions fastueuses; dont Quo Vadis en 1953 et Ben-Hur en 1959 représentent la quintessence du genre.
Jules César raconte la mise à mort d’un dictateur, tout au moins d’un tyran en puissance, on l’aura deviné, par un groupe de conjurés, au nom de la République romaine, pour la sauvegarde des libertés. L’œuvre est entièrement construite autour de ce climax central qu’est le meurtre de Jules César, en plein Sénat, lors des Ides de mars 44 (av. J.-C.) Mais l’ironie tragique n’est pas longue à se faire sentir : l’oraison funèbre immédiatement prononcée par Marc-Antoine sur les marches du Sénat est un chef d’œuvre de manipulation de la foule présente sur le forum, galvanisée par une mise en scène et une rhétorique digne des plus grands dictateurs, et annonce la victoire finale de celui qui se présente comme le fils spirituel de César, le digne héritier du césarisme. Dans l’esprit de John Houseman, producteur du film, l’œuvre devait nécessairement évoquer, dans l’esprit des spectateurs, les dictatures fascistes et nazies, la mise en scène du pouvoir, la manipulation du peuple par le verbe.
Dans les scènes de foules, Joseph L. Mankiewicz a fréquemment recours au gros plan, qui lui permet d'affirmer le caractère profondément humain du drame qui se joue.
John Dunning, le monteur, découvrit vite qu'une scène shakespearienne comportait certaines règles générales différentes de celles des films. Le "plan de réaction" par exemple qui est depuis longtemps la base du montage dramatique dans les films muets et parlants devient artificiel quand il s'agit de monter le dialogue shakespearien. Des réactions silencieuses, même quand le metteur en scène les avaient soigneusement placées à des endroits prédéterminés pendant une tirade, furent rarement utilisées par le monteur, qui se montra fortement hostile, et non par vénération pour le classique, mais par instinct du montage sonore, à interrompre la ligne et la cadence d'une phrase dans la bouche d'un personnage en coupant sur la réaction d'un autre.
Auteur de la bande originale de Jules César, Miklós Rózsa est l'un des grands noms de la musique au cinéma. En 1951, il composa celle de Quo Vadis, mais aussi celles de Ben-Hur et du Roi des rois de Nicholas Ray en 1961. Dans un registre très différent, on lui doit également des musiques de classiques et chefs-d'oeuvres du 7ème Art, parmi lesquels Quand la ville dort, Les Contrebandiers de Moonfleet, Le Temps d'aimer et le temps de mourir, Le Cid...
Les décors stylisés sont réduits à l'essentiel. Les plans sont longs avec une mobilité de la caméra à l'intérieur du cadre et une profondeur de champ pour suivre les déplacements des personnages.
La pièce de William Shakespeare, loin d'être la plus connue du dramaturge, n'a finalement été adaptée que peu de fois au cinéma. Outre la version réalisée par Enrico Guazzoni en 1914 Avec Amleto Novelli, Gianna Terribili Gonzales, Irene Mattalia, elle a été portée à l'écran en 1950 par David Bradley, précédant de peu l'adaptation de Joseph L. Mankiewicz.
En 1970, une nouvelle adaptation fut proposée par Stuart Burge dans laquelle, étrangement, Charlton Heston reprend le même rôle, celui de Marc Antoine, qu'il occupait vingt ans auparavant. Cette dernière version est inédite en France.
Pour visualiser la bande-annonce ... Cliquez ICI !
Sources :
http://www.cineclubdecaen.com
http://www.critikat.com
François Forestier "Un si beau monstre" chez Albin Michel - 2012
http://www.tvclassik.com - Erick Maurel
http://perspectivesgeopolitiques.wordpress.com
http://www.allocine.fr
http://www.imdb.com