Date de sortie 10 avril 2013
Réalisé par Emin Alper
Avec Tamer Levent, Reha Özcan, Mehmet Özgür,
Berk Hakman, Banu Fotocan
Titre original Tepenin Ardı
Genre Drame
Production Turcque, Grecque
Derrière la Colline a fait partie de la sélection officielle des films en compétition lors du Festival Paris Cinéma 2012.
Par ailleurs, l’œuvre a remporté :
- Le Prix spécial du Jury au Festival du film de Sarajevo 2012 et
- Les prix du meilleur film et du meilleur scénario au festival d'Istanbul.
- La mention spéciale Meilleur Premier film au Festival de Berlin 2012.
Derrière la colline, est un film qui échappe volontairement à toute sorte de repère. Hors du temps, hors du monde, il met en scène un groupe de personnages confronté à une menace qui restera toujours invisible.
Derrière la colline, paranoïa et suspicion à la Turque,
film perturbant et enivrant.
selon Hugo Saadi pour toutelaculture.com
Synopsis
Dans une belle vallée anatolienne, au cœur de l'été.
Le fier et laborieux Faik y vit entouré de sa femme, d'un de ses fils qui lui sert de métayer et d'un autre, plus jeune, un peu sauvage. Faik est fier de leur petit coin de paradis que rien ni personne ne doit venir perturber.
Il a invité son fils de la ville, avec ses deux enfants, pour qu'il vienne en profiter, et peut-être lui faire regretter de s'en être éloigné… La vie estivale s'écoule doucement, avec ses veillées au coin du feu au pied de la falaise, et une apparente harmonie règne entre les membres de la famille et leurs proches.
Les plus jeunes qui viennent de la ville ne comprennent pas les réactions de leur grand-père aux coutumes ancestrales.
Une fracture sociale apparaît nettement entre les propriétaires du lieu et leurs métayers.
Faïk est tracassé : des bergers qui vivent derrière la colline semblent faire des incursions sur ses terres, y laissant errer leurs chèvres. Et ça, Faïk ne peut le supporter, ces intrusions le rongent, l'exaspèrent…
Rapidement les événements s'enchaînent : Faïk tue une chèvre en représailles, puis c'est au tour des bêtes de Faïk de disparaître. Petit à petit c'est l'escalade, sans qu'on ne voie jamais les responsables des différents incidents, qui prennent, hors de toute raison, des proportions dramatiques.
L'ennemi invisible commence à occuper tous les esprits, ses possibles manifestations virent à l'obsession. Et si cet ennemi n'était que le fruit de la peur et de la paranoïa ?
Emin Alper a écrit le scénario de Derrière la Colline il y a plus de 10 ans en s'inspirant de ses souvenirs d'enfance. Au moment de reprendre le projet, le cinéaste s'est aperçu qu'il ne pouvait plus raconter cette histoire avec une vision vieille de 10 ans : "Je me suis donc attaché à réécrire ce scénario en découvrant au fur et à mesure le potentiel allégorique du sujet", confie le metteur en scène.
Derrière la Colline est le premier long métrage du réalisateur d'origine turque, Emin Alper., qui signe une œuvre brillante sur la peur de l’étranger et l’absurdité de la loi du talion, sans jamais avoir recours à des effets racoleurs.
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Né en 1974 à Konya en Turquie, Emin Alper a étudié l'économie et l'histoire à l'université de Bogazici à Istanbul. Il est diplômé en histoire moderne. Il enseigne au département des sciences sociales à l'université technique d'Istanbul. Ses articles sur le cinéma et la politique ont été publiés dans de nombreux magazines.
Il a réalisé les courts métrages Rifat en 2006 qui a remporté le Grand Prix à Bucarest, et Mektup 2005.
Emin Alper se dit grandement influencé par le cinéma de Sergio Leone : "Sans chercher à le copier, je voulais donner ce même sens épique à l’histoire que je racontais", précise le cinéaste à propos de Derrière la Colline.
Le film a été tourné entièrement sans musique pour renforcer la tension de ce huis-clos "en extérieurs" filmé en steadicam et caméra à l'épaule.
Avec Derrière la Colline, Emin Alper construit une sorte d'allégorie de son pays, la Turquie d'aujourd'hui, "empoisonné par la paranoïa et la suspicion", déplore le metteur en scène.
Le réalisateur est avare en indice. Il laisse les personnages livrés à eux même et une tension s’impose rapidement. A la paranoïa du fermier s’ajoute l’irresponsabilité de ses petits fils. L’un est à peu près fou, l’autre complètement stupide. Leur confier des armes, c’est jouer avec le feu… Pendant ce temps là, des pierres tombent, des ombres rodent, des coups de fusils sifflent qui semble justifier la menace.
Le film construit une parabole saisissante sur la société turque. Une société paranoïaque toujours prête à trouver un bouc émissaire fantasmé, qu'on charge de tous les maux pour mieux se dédouaner de ses propres casseroles. En Turquie l'ennemi c'est le Kurde, l'Arménien… sur le dos duquel on se conforte dans sa fierté nationaliste…
Et la vallée de Faik est comme un condensé de la Turquie. Embarquée dans la paranoïa du patriarche, toute la famille s'apprête à partir fusil à l'épaule contre les ennemis supposés et en profite pour mettre sur leur dos ses propres écarts, mettant à nu au passage quelques failles béantes dans l'apparente harmonie qu'on supposait au début du film…
"Ici, je parle de la Turquie dont le climat politique est basé sur ce même besoin de se créer un ennemi. Que ce soit les Kurdes ou un soi-disant complot international sans compter d’innombrables conflits internes. Chez nous, les débats ne peuvent jamais être raisonnables. Car les théories du complot sabrent les fondations de tout débat politique", ajoute le réalisateur.
L’air de rien, le cinéaste ponctue son œuvre d’indices qui tendent à prouver l’inexistence de la menace située derrière la colline, soulignant subtilement l’autodestruction d’une société turque gagnée par la folie. Emin Alper n'aime pas montrer de manière frontale et ostentatoire la violence dans ses films; il s'en explique : "Cela revient souvent à jouer de manière perverse avec le public et donc, quelque part, à le prendre en otage et abuser de lui. (...) Il faut donc en montrer le moins possible pour garder le secret. Ainsi, il ne faut pas savoir précisément qui tire sur qui".
Grâce à un script malin, le réalisateur brasse un nombre conséquent de thèmes, déjà définis dans un extrait d'interveiw à savoir : la présence sur le territoire turc de la population kurde, l’omniprésence d’une armée dans un pays pas si démocratique ou encore le poids écrasant des traditions, sans jamais avoir recours à la facilité. Entièrement bâti sur le non-dit, Derrière la colline cherche à traquer les dysfonctionnements permanents d’une société à travers des regards, des attitudes et une tendance à choisir la violence comme seule réponses aux problèmes posés.
Emet Alper évite de représenter cette violence à l’écran, au point de terminer son film par une séquence volontairement frustrante pour le spectateur. Alors qu’il nous invite à suivre une explosion de violence cathartique préparée par une musique martiale, le cinéaste nous laisse imaginer le massacre final en stoppant net la scène aussitôt suivie du générique final.
Un moyen frustrant, mais ô combien brillant, de faire comprendre l’inutilité de toute forme de violence dans la résolution des conflits. Précieux sont les films qui suggèrent plus qu'ils ne montrent, laissant au spectateur la liberté de faire travailler son imagination, sa curiosité, ses penchants et ses appréhensions pour explorer le hors champ du récit, chacun construisant sa propre interprétation.
La qualité du film réside dans son aspect insaisissable. Emin Alper entretient le mystère, la violence est sans cesse au bord de l’explosion, et quelque chose de l’ordre de la fantasmagorie pure ajoutent encore à l’irrationnel et à la dangerosité de l’ensemble.
Emin Alper esquisse une allégorie de la violence entre comédie noire, drame familial, thriller et western. Utilisant avec habileté la puissance des paysages, et jouant d’hallucinations visuelles ultra-réalistes, il installe une tension d’une rare force et emporte le spectateur dans une atmosphère paranoïaque et trouble.
Le jeune réalisateur Emet Alper est un artiste à suivre de près.
Derrière la colline ne s'arrête bien évidemment pas aux frontières de la Turquie et propose à notre méditation un conte philosophique sur la peur et le rejet de l'autre utilisés comme instrument pour masquer ou tenter de vaincre nos angoisses et nos petitesses.
Sources :
http://www.cinemas-utopia.org
http://www.telerama.fr
http://www.laterna-magica.fr - Benoît Thevenin
http://www.avoir-alire.com
http://www.imdb.com
http://www.allocine.fr