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17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 18:00


Date de sortie 14 octobre 2015

 

Belles familles


Réalisé par Jean-Paul Rappeneau


Avec Mathieu Amalric, Marine Vacth, Gilles Lellouche,

Karin Viard, Nicole Garcia, Guillaume De Tonquédec, André Dussollier


Genre Comédie dramatique


Production Française

 

Synopsis

 

Jérôme Varenne (Mathieu Amalric), qui vit à Shanghai, est de passage à Paris. Il apprend que la maison de famille d’Ambray où il a grandi est au cœur d’un conflit local. Il décide de se rendre sur place pour le résoudre. Cette échappée provinciale changera sa vie…

 

Belels familles -

 

Mathieu Amalric, Karin Viard, Gilles Lellouche et Marine Vacth

Entretien avec Jean-Paul Rappeneau

 

Cela faisait dix ans que vous n’aviez pas tourné…


Normalement, je mets cinq ans à faire un film, une sorte de plan quinquennal involontaire... Je n’ai jamais un film d’avance, à chaque fois je repars à zéro. Là, j’ai laissé passer deux fois cinq ans depuis Bon Voyage, parce qu’entre temps il y a un film qui ne s’est pas fait, un film que j’avais longuement écrit et préparé, et qui, faute de financements, a été annulé deux mois avant le tournage.

C’est la première fois que cela m’arrivait. Je traversais donc un moment de déprime. Je comprends que le cinéma a changé, que les films que j’avais aimé faire coûteraient trop cher aujourd’hui, et je me mets à la recherche d’un sujet plus simple.
Je repense à une histoire que j’avais souvent racontée sans aller plus loin que la première partie. L’histoire d’un homme qui partait vers le Midi, avec une jeune femme qui était peut-être sa fiancée, enfin, quelqu’un de nouveau dans sa vie. Ils roulent vers la Côte d’Azur et, sur la route, à mi-chemin, il voit qu’en fait ils ne sont pas loin d’un endroit où il a passé son enfance. Il dit à cette femme : "Mais au fond allons-y, je vais t’emmener voir la maison où j’ai vécu". Il y allait, il trouvait la maison. Tout avait changé, et dans cette maison, vivait une jeune fille…


Donc, vous aviez déjà un homme, deux femmes, une maison. Qu’est-ce qui manquait ?


En fait, dans les films que j’ai réalisés jusqu’alors, il y avait toujours, au départ, une accroche très forte. Dans La vie de château, un agent secret se cache dans la cave pour préparer le Débarquement. Dans Les mariés de l’An II, un homme va se marier en Amérique, on découvre qu’il est déjà marié en France. Ca démarrait sur les chapeaux de roue.
Là, après l’expérience triste du film annulé, je me suis dit : "Mais pourquoi convoquer les grandes eaux tout de suite ? Pourquoi ne pas démarrer en douceur ? ".

J’ai rencontré Jacques Fieschi, je lui ai parlé de plusieurs idées, et quand je lui ai raconté cette histoire de la maison, il s’est arrêté :

"Ah ça, c’est pas mal".

"Ben oui, mais qu’est-ce qui se passe après ?".

"Tu verras, mais déjà c’est pas mal ".

 

Et cette maison est devenue la vôtre.


Assez vite je me suis dit : "Bon, le moment est venu : arrêtons de tourner autour du pot. Il est temps que je revienne un jour dans la province où je suis né et où j’ai passé dix-huit années, avant de monter à Paris pour faire des études". Quand j’y retourne aujourd’hui, la maison où j’ai vécu n’existe plus. Il y avait un parc, mais les arbres ont été rasés. A la place, il y a un bloc de béton, un monolithe qu’on dirait tombé du ciel, comme dans un film de Kubrick. Un immeuble ! Pourtant, à côté, rien n’a changé, le vieux quartier est le même. Ca me plaît beaucoup, parce que la maison existe encore, mais uniquement dans ma tête. Elle est comme intouchable. Dans ma mémoire, j’ai tout. Je sais combien de marches il faut monter pour être au premier, la longueur du couloir à droite… C’est ce qui nous a guidés dans nos repérages d’ailleurs. Quand on cherchait la maison, je pouvais dire, sur un décor : "C’est ça ! ".

 

Belles familles - Karin Viard et Mathieu Almaric

 

Karin Viard et Mathieu Amalric

Il y avait l’idée de rentrer chez vous.


Exactement. C’est une idée qui hante beaucoup de cinéastes. Bertrand Tavernier, dès son premier film, retourne à Lyon, sa ville natale. Arnaud Desplechin est revenu une nouvelle fois à Roubaix, avec Trois souvenirs de ma jeunesse. Et Tim Burton dans Edward aux mains d’argent revisitait Burbank, la banlieue de Los Angeles où il est né. Il disait : "On peut aller où on veut, on ne quitte jamais l’endroit où on a grandi". C’est ce que je répétais à mes co-scénaristes, Julien, mon fils, puis Philippe Le Guay, qui nous a rejoints.
Au fond il y a toujours eu des maisons dans mes films. Dans  La vie de château, la maison était devenue un manoir. Et pourquoi j’ai fait  Le Sauvage ? Parce qu’il y avait une maison en bois avec un ponton, sur une île, où un homme s’était retiré pour vivre seul. Dans Tout feu tout flamme, j’ai imaginé un ancien casino au bord du lac Léman, ce qui n’existe pas. Cette fois, l’idée était de tourner une sorte d’autobiographie imaginaire puisqu’au fond, dans ce qui est raconté, tout a un lien avec moi mais rien n’a de lien avec ma véritable vie. En fait, si on se met à chercher vraiment, on trouve des correspondances bien sûr, mais aussi des choses arrivées dans d’autres familles, ou liées à d’autres encore…

 

C’est l’esprit plus que la lettre ?


Oui, c’est un roman familial imaginaire. Mais je voulais que la ville aussi soit imaginaire. C’est pour cela qu’on a tourné dans plusieurs lieux, c’est un mélange. Quand je retourne dans la ville où je suis né, je la reconnais mal, je traverse ces zones commerciales infinies, et je vois sur les collines les tours qui entourent la ville, comme celle où vit Gilles Lellouche dans le film. Il y avait l’idée de montrer la France d’aujourd’hui mêlée à celle d’hier. Une province des années cinquante, dans le grand bain de la mondialisation. Ce garçon qui revient a vécu longtemps ailleurs, en Chine. Il vit avec une brillante jeune Chinoise qui, venue de sa campagne, est sortie major de sa promotion à l’Institut de Technologie de Pékin. Ensuite, elle est allée à Shanghai, elle a rencontré Jérôme. Ensemble, ils ont créé une start-up, et ils viennent en Europe pour signer un accord avec un grand groupe anglais. Tout ça est suggéré dans le film, pas vraiment expliqué, mais tout est vrai. Le monde flotte autour de la petite ville. Les moyens de communication modernes jouent leur rôle. C’est Bertrand Tavernier qui, en voyant le film, a dit : "C’est la première utilisation du portable comme Feydeau l’aurait fait !".
En avançant dans l’écriture, je voyais bien que cela n’allait pas partir, comme je l’ai dit tout à l’heure, sur les chapeaux de roue, qu’en fait on allait rentrer progressivement dans des ambiances et que, par couches successives, ces ambiances finiraient par faire sujet. C’est ça qui m’a intéressé, c’était le défi. Ne pas se lancer tout de suite dans une comédie à gags, mais dans un monde où l’on serait pris peu à peu dans les fils qui se tissent entre les personnages. On les découvre, les uns après les autres, avec leurs vies, leurs désirs et leurs failles. Et à la fin, musicalement, on va vers quelque chose qui est le climax du film, dans ce festival de musique autour du concerto no 1 de Schumann. On est, dans ce final, à la limite de l’opéra que j’aime tant.

 

Belles Familles - Mathieu Almaric et Gilles Lellouche

 

Mathieu Amalric et Gilles Lellouche

Ça démarre par de la musique de chambre et ça se termine par un grand orchestre...


Oui, cet espace s’ouvre peu à peu. Et ça me plaît qu’en fait on ne sache pas très bien où l’on va, qu’on soit dans l’attente, au lieu d’annoncer le sujet avec vacarme. Cela permet d’être plus proche de la vie et des émotions, en élargissant jusqu’à ce que les émotions submergent tout. Dans les scènes, finalement, chacune a sa couleur, sa drôlerie, ou son interrogation, mais pendant qu’on goûte cette scène, qu’on la savoure, en même temps inconsciemment on sait que derrière il y a une autre histoire qui avance, l’histoire du film, et qu’en définitive chaque scène n’est qu’un des éléments du puzzle. On regarde la pièce du puzzle tout en sachant qu’on est en train de nous bâtir un ensemble. Et là dans ce film, ce qui m’a plu c’est que, pendant un temps, on ne sait pas vers quoi on va, quelle sera la grande figure du puzzle. C’est un film impressionniste, il est plus musical dans la mise en scène, je trouve. Pas de prise de la Bastille, pas d’attaque du mur de l’Atlantique, mais des choses plus douces, plus prenantes, j’espère.

 

Vous avez laissé plus de place à l’émotion ?


Le film au tournage est devenu plus drôle et en même temps plus émouvant que ce que j’imaginais au départ. Ce que j’aime beaucoup dans l’histoire c’est que ces Belles familles sont au pluriel. Il y a une famille bien sûr, mais surtout une deuxième famille… Et je peux vous dire que dans ma ville natale, on ne parlait que de ces histoires-là. Ceux qui ont vu le film et qui connaissent la ville m’ont dit : "Ah mais là ca ressemble à l’histoire de … ?". "Mais oui, c’est ça ! ". Il faut dire que j’ai eu une gaîté à écrire, parce que j’étais chez moi. Tout, je connaissais tout ! Les personnages ressemblent tous à des gens que j’ai connus. Les petites et les grandes aventures, je sais qu’elles sont arrivées à untel, à moi, à d’autres. Il ne s’agissait pas d’inventer à tout prix…

 

Votre héros est insaisissable.

Comment fait-on d’une anguille un personnage aussi romanesque ?


Belles Familles - Mathieu AlmaricDepuis très longtemps je voulais travailler avec Mathieu Amalric, et quand j’ai commencé à penser au personnage, j’ai su que le moment était venu. Parce qu’il exprime une pensée, rien que par sa présence, une pensée en mouvement. J’ai vite compris qu’au fond il me représentait. Vous dites "l’anguille" et il y a de cela dans le personnage, en tout cas il y a une chose qui est un peu la mienne, c’est que je peux être très pressé, très agité, en même temps je peux être absolument dans l’attente, comme un lièvre dans les hautes herbes qui ne bouge pas tant qu’il n’entend pas les chasseurs s’éloigner. Donc ce mélange de rapidité et de réflexion, de lenteur même, me ressemble. C’est ce que Mathieu exprime, magnifiquement. Mais, bon… ça ne l’a pas trompé. Dès qu’il a lu le scénario, il m’a dit : "Enfin vous parlez de vous !".

 

Est-ce cela qui a contribué à votre sérénité sur le tournage où vous étiez comme un poisson dans l’eau ?


Effectivement, je n’ai jamais été aussi heureux sur un tournage que sur celui-là. Je n’avais pas de crainte, je connaissais tout, j’étais chez moi, avec une équipe extraordinaire et peut-être, le fait que tout le monde savait qu’il y avait dix années que je ne m’étais pas trouvé sur un plateau, tout le monde voulait m’aider à revenir, oui ! A commencer par mes producteurs, qui sont devenus des amis, qui m’avaient déjà aidé en sauvant Bon Voyage qui avait failli ne pas se faire, et qui, cette fois encore, sont venus sauver le soldat Rappeneau et le film ! Et puis les acteurs, qui ont formé autour de moi comme une nouvelle famille. Je les adore tous. Marine, Karin, Nicole, Gemma, Claude Perron et Mathieu, et Guillaume, et André Dussollier avec qui je rêvais depuis toujours de travailler, et Jean Marie Winling, qui était déjà dans Cyrano, et Gilles Lellouche que je trouve extraordinaire dans le rôle de Grégoire Piaggi, le promoteur, le prince de la région. Dans ses moments de panache, il m’a souvent fait penser à Yves Montand. En même temps, il peut être un homme qui souffre et dans cette souffrance il est bouleversant.

 

Marina Vacth - Belles famillesParlons de Marine Vacth, que vous avez choisie très vite...


Je ne la connaissais pas, j’avais vu le film de François Ozon et bien sûr, je savais qu’elle était d’une beauté hors du commun. Un jour, elle est venue me voir. Elle s’est assise en face de moi. Elle était très enceinte et, selon la façon dont elle bougeait sur le canapé, elle déplaçait son ventre avec ses deux mains à droite ou à gauche. Elle était là et pour moi, c’était elle immédiatement, Louise, le personnage du film ! Elle est très belle, très vive, mais surtout il y a un mystère en elle, on le voyait d’ailleurs déjà dans le film d’Ozon. Il y a quelque chose d’indéfinissable qui flotte, on ne sait pas quoi. Ce mystère-là fait partie du mystère des grandes actrices et elle l’a déjà.

 

 

 

Elle s’est vite mise à votre tempo légendaire ?


C’est vrai que je suis très regardant sur le tempo, sur le rythme. Un film, c’est comme un ressort qu’on tend et qu’on détend, et il ne faut pas perdre la tension, ne pas laisser le film flotter, comme une voile qui flotte le long du mât quand le vent tombe. Là, tout peut foutre le camp. Pour arriver à ce travail sur le rythme, c’est très long, très compliqué et tout ça, c’est pour aboutir à une grâce. Romain Gary disait : "La grâce, c’est le mouvement". J’aime que les personnages soient en mouvement, dès que ça ne bouge plus je m’inquiète, mais en même temps il ne faut pas que cela se voie.
Patrick Modiano, avec qui j’ai écrit Bon Voyage, disait : "C’est ton serti invisible". C’est un terme de bijoutier, pour certaines pierres, il ne faut pas voir comment elles tiennent. Je veux qu’on ne voie dans la scène que les sentiments qu’elle exprime.
Notre cher Gérard Depardieu avait remarqué, comme tous les acteurs avec moi, que je me balance pendant qu’ils jouent, parce que je bouge dans le rythme des répliques, donc puisqu’il y a des mouvements, autant que le metteur en scène soit aussi en mouvement… Il y a des acteurs que cela gêne beaucoup, mais lui, Gérard, il aimait beaucoup ça. Un jour, sur Cyrano, il est lancé dans une grande tirade, puis, d’un seul coup il s’arrête. "Qu’est-ce qui se passe ?", je pense qu’il a un malaise, mais il me dit : "Non, c’est toi qui ne bouge plus !". Effectivement, il avait oublié un vers, du coup, ça m’avait stoppé net, il l’avait vu immédiatement…

Vous travaillez beaucoup le découpage du film, avant le tournage...


La mise en scène c’est quand même l’art de gérer des personnages dans un espace. Et l’espace, c’est d’abord un lieu, un décor et tant que je n’ai pas trouvé ce lieu, la scène pour moi n’existe pas. Ensuite, une fois que j’ai tous les décors, que j’ai les plans, les maquettes, que je connais les lieux, que je les ai parcourus en long, en large, que je connais la distance entre les murs, la porte et la fenêtre, alors j’attaque ce moment très particulier du découpage. Pour moi, c’est là que le film se fait. C’est un travail que je fais avec ma scripte. Pendant longtemps ça a été ma soeur Elizabeth, maintenant je le fais avec Chantal Pernecker, une technicienne de cinéma hors pair. On s’enferme dans mon bureau pendant quelques semaines, et on fait le découpage. Ca consiste pour moi à inventer, à imaginer le déplacement dans ces espaces que je connais parfaitement, au centimètre près. Donc, devant Chantal, je joue les scènes. J’entre, je me déplace, je parle. Et elle est la première spectatrice. "Mais comment est-ce que tu peux voir le …? Peut être qu’il y a une glace ?". "Ah oui une glace, attends... ". Et je dessine le plan de la glace. Et, petit à petit, le film se construit, imageaprès image, avec aussi les déplacements des acteurs.
Je me souviens de ma soeur Elisabeth avec qui je faisais le découpage de Cyrano qui était allongée sur le tapis, et qui disait : "J’en ai marre de jouer la mort de Cyrano !". J’insistais : "Reste un instant encore, là je regarde si j’ai besoin d’un travelling.... "Oui, mais j’ai mal aux reins !". Ce découpage permet de sentir si les mouvements sont justes, parce qu’au fond on travaille pour les acteurs, ce sont les acteurs qui font le film, qui lui donnent sa chair. Alors pour qu’ils soient bons, pour qu’ils soient à l’aise, il faut qu’ils soient dans un vrai sentiment. Et le mouvement exprime le sentiment, mieux que des mots. Par exemple, dans le film, Marine Vacth fait entrer, grâce à un chemin secret, Mathieu Amalric dans cette maison qui a été leur maison d’enfance à tous les deux, dans des époques différentes. Tout est abandonné, c’est une désolation. Il se tourne vers elle et écarte les bras, elle écarte les bras elle aussi. Et c’est toute la nostalgie de leurs souvenirs qu’ils expriment ainsi, sans un mot.

 

Pour la première fois, c’est votre fils, Martin, qui a composé la musique.


La musique, c’est le seul moment où un type comme moi qui est un peu devenu le film vivant, un type qui s’est occupé de tout, même de la taille des bougies ou de la place des petits pains sur une table, va devoir confier les clefs de la maison à un autre artiste : le musicien ! C’est pour moi et pour d’autres un suspense terrible : qu’est-ce qu’il va nous trouver ?
Cette fois j’ai fait appel à Martin, qui est un grand mélodiste. A sa demande, on avait fait venir un piano dans mon bureau. Il venait chaque semaine et me jouait des thèmes. Certains me plaisaient, d’autres moins, il les écartait immédiatement. Il revenait aux premiers, les modifiait, les améliorait devant moi en direct. Pas de bataille d’égo, pas d’amour propre, il y a une telle connivence entre nous depuis toujours…On avançait ensemble, c’est si rare.
Et l’enregistrement à Londres fut un grand moment de bonheur… filial !

 

Le montage, c’est une étape que vous aimez ?


C’est un moment heureux pour moi. Il n’y a plus de risques. Il n’y a plus la course contre la montre. Si on ne finit pas aujourd’hui, on reprendra demain matin. Alors que, sur le tournage, on passe son temps à regarder l’heure ! Même si les résolutions que j’avais prises après l’arrêt du film qui ne s’est pas tourné m’avait fait choisir un sujet plus simple à réaliser, donc moins stressant à faire, une seule chose me préoccupait : que le monde, la mondialisation soient présents à l’image. Mes producteurs l’ont compris. Grâce à eux, Shanghai, Londres, Zanzibar sont dans le film, nous y avons vraiment tourné !
Véronique Lange a d’abord monté seule le découpage prévu. Je l’ai rejointe à la fin du tournage et là, nous nous sommes autorisés à changer l’ordre des choses. Enfin, légèrement…Véronique fut la monteuse de mon ami Claude Miller, et nous nous sommes entendus à merveille. Ce fut un moment harmonieux. Elle a une grande sensibilité, beaucoup de finesse… et un rire dévastateur.

 

Quand vous voyez le film terminé, qu’est-ce qu’il vous apprend sur vous ?


Il faut que j’y réfléchisse, il est trop tôt ! J’espérais depuis longtemps raconter l’histoire d’un amour qui naît par d’étranges chemins. Mais par pudeur, je ne le faisais pas. Et puis voilà, ça s’est trouvé et je suis content de cela…

 

Belles Familles - Mathieu Almaric

 

 Marine Vacth et Mathieu Amalric

Mon opinion

 

La mise en scène de Jean-Paul Rappeneau est dynamique et ne manque pas d'élégance.

 

Elle tient la cadence face à un scénario, toutefois, sans aucune originalité. Une simple satire de notre époque qui frôle tous les poncifs. Trop alambiqué, aussi, il peine à trouver son véritable envol.

 

Si la dérision est de mise, trop d'intrigues finissent par nuire à l'intérêt que l'on pourrait porter aux principaux protagonistes.

 

Je retiens la très belle photographie. Un beau casting aussi, certes. Mais une course folle ajoutée à la multiplication des personnages ne donnent pas aux acteurs une chance d'exister individuellement.

13 octobre 2015 2 13 /10 /octobre /2015 18:15

 

Date de sortie 9 septembre 2015

 

Les chansons que mes frères m'ont apprises


Réalisé par Chloé Zhao


Avec John Reddy, Jashaun St. John, Taysha Fuller,

Eleonore Hendricks, Irene Bedard, Cat Clifford, Travis Lone Hill


Genre Drame

 

Titre original Songs My Brothers Taught Me


Production Américaine

 

Synopsis

 

Johnny (John Reddy) vient de terminer ses études.

 

Lui et sa petite amie s'apprêtent à quitter la réserve indienne de Pine Ridge pour chercher du travail à Los Angeles.

 

La disparition soudaine du père de Johnny vient bousculer ses projets.

 

Il hésite également à laisser derrière lui Jashaun (Jashaun St. John), sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche. C'est tout simplement son avenir que Johnny doit maintenant reconsidérer…

 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - John Reddy

 

 John Reddy

Interview de Chloé Zhao par Frédéric Strauss.

Publié le 06/09/2015 pour telerama.fr.

 

En compétition à Deauville avec Les Chansons que mes frères m'ont apprises, balade mélancolique dans une réserve indienne du Dakota, Chloé Zhao, née en Chine et installée à New York depuis dix ans, observe avec un regard critique le cinéma indépendant américain.

 

Vous êtes née à Pékin et vous avez tourné Les Chansons que mes frères m'ont apprises dans un réserve indienne du Dakota. Qu'est-ce qui vous a guidée jusque là ?


Je me suis toujours intéressée aux histoires de gens marginalisés dans la société. Je viens de Pékin mais j'ai beaucoup voyagé et je n'ai jamais vécu longtemps au même endroit, je n'ai de racines nulle part. Quand je suis allée au Dakota et que j'ai découvert la réserve de Pine Ridge, je me suis retrouvée comme au fond d'un lac : c'est un monde où rien ne bouge, rien ne change. Même si la culture des Indiens a été en partie détruite par les États-Unis, les choses restent semblables à ce qu'elles ont toujours été et les Indiens qui vivent là sont vraiment enracinés. Pour moi qui vient de Chine, où tout change, où tout est sans cesse modernisé, cet endroit était fascinant.

 

Vous en montrez aussi des aspects très sombres. Il s'agit pour vous de tirer un signal d'alarme sur les conditions de vie de ces Indiens ?


J'ai étudié les sciences politiques et la politique américaine quand je suis arrivée aux États-Unis, je connais donc assez bien l'histoire des Indiens. Mais je n'ai pas voulu faire une démonstration. Ce que je tenais à montrer, c'est une jeunesse livrée à elle-même dans cette réserve où l'espérance de vie est si basse, autour de 45 ans, que la moitié de la population a moins de vingt ans. Il y a de bons parents parmi les adultes, mais il y a aussi beaucoup d'orphelins et les jeunes prennent donc soin les uns des autres. Le suicide parmi eux est malheureusement dévastateur.
Et le danger le plus grand, c'est le diabète, qui tue les gens. Ils mangent essentiellement de la nourriture en boîtes de conserve que leur donne l'État américain. Il y a donc quantité de problèmes et il n'était pas possible pour moi de les aborder tous dans le cadre d'une fiction. Il n'y a de toute façon pas de solution à court terme. Michelle Obama elle-même l'a dit récemment : il ne s'agit plus seulement de donner des aides financières et alimentaires aux Indiens, mais de reconstruire leur nation. Et cela prendra du temps.

 

En tournant dans cette réserve, quel était l'avantage que la fiction vous donnait ?


Il y a eu beaucoup de reportages sur cette réserve. Et beaucoup de mauvais reportages. Tous les chiffres terribles sur l'économie et la santé des Indiens de Pine Ridge ont attiré les télévisions, qui viennent voir ce qui est, en quelque sorte, le "Ground Zero" de la société américaine, l'endroit où les conditions de vie sont les pires de tout le pays. Les journalistes débarquent avec leur liste de problèmes à illustrer : l'alcoolisme, le suicide, la maladie, le chômage...
Et les Indiens sont tellement habitués à ces reportages qu'ils savent comment donner aux journalistes exactement ce qu'ils veulent. Et rien d'autre. Tout est ainsi réduit à un cliché et à un show. Je voulais aller au-delà de ces réflexes, avoir accès à une réalité plus profonde. Pour cela, la fiction était utile, elle cassait les habitudes et ouvrait une autre forme d'expression. Les gens de la réserve étaient très contents quand je leur parlais d'une fiction. Ils pouvaient y mettre leur vérité sans avoir l'impression de devenir des phénomènes de curiosité.

 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - Jashaun St. John &John Reddy

 

John Reddy et Jashaun St. John

Comment avez-vous trouvé les financements pour tourner ce film très différent de tout ce qu'on voit ?


Je n'en ai pas trouvé ! J'ai travaillé pendant trois ans sur un scénario que j'aurais dû tourner avec un budget trois fois plus important et que j'ai dû finir par abandonner. C'était un scénario où l'action et les intrigues avaient plus de place. J'ai eu beaucoup d'aides institutionnelles pour travailler sur ce scénario mais quand nous avons recherché un financement, de l'argent privé donc, personne ne voulait investir dans le film ! On m'a même dit que si je tournais avec les acteurs de Twilight, je trouverais peut-être un producteur.


Pine RidgeMais j'avais trouvé mes deux jeunes comédiens principaux à Pine Ridge et je les voyais grandir, je voyais qu'ils n'allaient plus pouvoir jouer leurs personnages. Alors, j'ai décidé de tourner sans attendre, en organisant les choses de façon à réduire les coûts, car nous n'avions vraiment pas beaucoup d'argent. J'ai adapté l'histoire à mes moyens, j'ai tiré profit de ce qui se passait autour de nous pendant le tournage, j'ai essayé d'exploiter au mieux une situation très difficile. Et j'ai fait mon film.

 

Votre vision du cinéma indépendant est donc critique ?


Je risque de m'attirer des ennuis en vous répondant, mais ce que je vais dire sera heureusement traduit en français. J'ai perdu toutes mes illusions concernant le cinéma indépendant américain. Je ne connais pas assez bien la situation des cinéastes en Asie et en Europe pour faire des comparaisons, mais aux États-Unis, il y a si peu d'argent pour les cinéastes indépendants que la prise de risque n'est plus possible. Les gens veulent être sûrs qu'en mettant de l'argent dans une production indépendante, ils vont récupérer cet argent.
Il y a de grandes institutions comme Sundance qui fonctionnent sur un autre modèle que celui de la rentabilité immédiate mais dès qu'on rentre dans le cercle des vrais investisseurs, on doit pouvoir les rassurer avec un projet sans risque, sinon on n'obtient rien. Même dans les écoles de cinéma, où l'esprit cinéphile était très vivant, c'est la course aux financements qui compte et le cinéma indépendant n'existe plus que dans sa version capitaliste. Mais je suis un cas extrême. Je suis chinoise, je suis jeune, je suis une femme, mon film parle des Indiens de Pine Ridge, n'est interprété que par des non-professionnels et n'a pas une histoire spécialement bien ficelée. En fait, je corresponds à toutes les formes de risque qu'il faut éviter !

 

Vous êtes donc un exemple de résistance ?


Je pense que beaucoup de jeunes cinéastes peuvent être intéressés par une démarche comme la mienne. J'espère que mon film peut représenter un encouragement pour eux mais je me suis sentie très seule dans cette aventure. Les distributeurs américains me disent maintenant qu'ils ne savent pas comment ils pourraient sortir mon film. Parce que j'ai tourné ce film sans entrer dans un moule, je me retrouve à la fin face à des distributeurs qui ne savent plus travailler avec un film indépendant non formaté.
 

Les Chansons que mes frères m’ont apprises - Jashaun St. John

 

 

On va essayer de distribuer nous-mêmes Les Chansons que mes frères m'ont apprises aux États-Unis, pas nécessairement dans les grandes villes mais dans les bonnes villes. C'est important que ceux qui jouent dans le film puissent se voir sur un grand écran. C'est une reconnaissance essentielle. C'est pour ça que je tiens à la sortie en salles. On ira forcément sur une plateforme vod, mais j'espère seulement après la salle.

 

Qui incarne le mieux à vos yeux l'idée d'indépendance ?


Xavier Dolan. J'ai beaucoup pleuré en voyant Mommy et je me suis sentie renaître, c'est un film qui porte de l'espoir pour le cinéma.

 

Jashaun St. John

 

Une définition de l'indépendance ?


C'est comme quand vous allez vous coucher à la fin de la journée et que vous pouvez vous dire que tout au long de cette journée, vous êtes resté fidèle à ce que vous êtes, à ce que vous croyez. Faire un film, c'est être fidèle à une vision, à une approche du cinéma. C'est ça l'indépendance, c'est la seule chose que vous pouvez avoir en dehors de tous les jeux d'argents qui mènent l'industrie du cinéma. Bien sûr, je ne suis pas naïve, il faut trouver un moyen de vivre. Et trouver un public, pas nécessairement énorme, qui s'intéresse à vos films et soit prêt à vous suivre. Mais tout ça peut être possible.

 

Hollywood fait-il toujours rêver ?


J'ai grandi dans la Chine communiste, Hollywood m'a sauvé la vie ! Hollywood m'a permis de rêver et si je suis partie aux États-Unis, c'est sans doute grâce à ce rêve. J'avais onze ans quand, en 1995, la Chine a autorisé la diffusion de MTV, Michael Jackson et Madonna sont aussi entrés dans ma vie. Mais la Chine n'a pas autorisé la sortie des trois premiers Star Wars car des films où le méchant est un empereur envoyaient un mauvais message et ne pouvaient pas être montrés ! Je pense que j'aurais été une personne différente si on m'avait autorisé à voir Star Wars, L'Empire contre-attaque et Le Retour du Jedi ! Il a fallu que j'attende La Menace fantôme, qui a pu sortir, en 1999. Je ne suis donc vraiment pas contre Hollywood. C'est un rêve en soi. Ça pourait être un plus beau rêve, un rêve de meilleure qualité. L'imagination devrait être sans limite et ça, Hollywood pourrait le montrer davantage. Mais j'ai de grandes espérances pour le prochain Star Wars, je crois qu'ils ont compris qu'ils devaient revenir à ce qu'est vraiment cet univers qu'on aime tant, ils ne vont pas refaire la guerre des clones !

 

Dans dix ans, quelle cinéaste serez-vous ?


Wong Kar-wai était mon héros mais il tourne maintenant des films à gros budgets en Chine et je ne crois pas que ça sera mon chemin. La carrière de Lars von Trier est très intéressante à mes yeux, même si sa personnalité est controversée. Il fait les films qu'il a envie de faire et il en trouve les moyens. Il a beaucoup d'audace, il se lance dans des projets très différents tout en défendant toujours sa sensibilité propre. J'aimerais pouvoir un jour me retourner sur mon travail et avoir les mêmes choses à en dire.

 

Songs My Brothers Taught Me

 

Chloé Zhao et John Reddy  (pendant le tournage.)

PhotoEléonore Hendricks

Mon opinion

 

Un film porté à bout de bras par Chloé Zao, à la fois réalisatrice, scénariste et co-productrice. Un financement difficile, quasi inexistant. "Si je tournais avec les acteurs de Twilight, je trouverais peut-être un producteur" a-t-elle révélé.

 

L'ensemble est d'une grande pudeur, d'une extrême simplicité, d'un profond réalisme et magnifié de bout en bout par les deux jeunes principaux protagonistes.

 

Cette région des États-Unis, tout aussi angoissante que belle, est particulièrement mise en valeur par une très belle photographie. Ces "badlands" font penser à La balade sauvage de T. Malick.

 

Pendant toute la durée du film nous suivons, dans un certain désordre, des destinées d'enfants, femmes et hommes, vivant tels des exclus. Entre misère totale, drogue et alcool, leur espérance de vie tourne autour de 45 ans. "Il y a de bons parents parmi les adultes, mais il y a aussi beaucoup d'orphelins et les jeunes prennent donc soin les uns des autres. Le suicide parmi eux est malheureusement dévastateur" indique Chloé Zao.

 

Avant de reconnaitre :"Il n'y a de toute façon pas de solution à court terme. Michelle Obama elle-même l'a dit récemment : il ne s'agit plus seulement de donner des aides financières et alimentaires aux Indiens, mais de reconstruire leur nation. Et cela prendra du temps."

 

Un brin d'espoir avec ce qui reste une prédiction.  Celle de Crazy Horse, leader à son époque des Lakotas. "Le renouveau viendra avec la septième génération". Les regards magnifiques des deux jeunes acteurs poussent à y croire.

 

Ce film a le grand mérite de mettre en lumière ces être humains, qui semblent oubliés par l'ensemble de leurs concitoyens. À souhaiter aussi qu'il bouscule les consciences.

 

Pour ma part, un moment de cinéma, fort, rare et qui restera mémorable.

10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 17:10


Date de sortie 16 septembre 2015

 

Much Loved


Réalisé par Nabil Ayouch


Avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane,

Sara Elmhamdi-Elalaoui, Abdellah Didane, Danny Boushebel

 

Titre original ZIn li fik


Genre Drame

 

Production Marocaine, Française

 

À la 8ème édition du Film Francophone d'Angoulême Much loved reçoit :

- Valois d’or (Prix TV5 Monde)

- Valois de la meilleure actrice pour Loubna Abidar

 

Synopsis

 

Marrakech, aujourd'hui.

 

Noha (Loubna Abidar), Randa (Asmaa Lazrak), Soukaina (Halima Karaouane) et Hlima (Sara Elmhamdi-Elalaoui) vivent d'amours tarifées.

 

Ce sont des prostituées, des objets de désir. Vivantes et complices, dignes et émancipées, elles surmontent au quotidien la violence d’une société qui les utilise tout en les condamnant.

Nabil AyouchNabil Ayouch  est né le 1er avril 1969.

Il vit et travaille à Casablanca.

 

Après quelques années passées au théâtre, trois courts métrages et des spots publicitaires,  Ses films ont été largement primés à travers le monde dans divers festivals et vendus dans de nombreux pays.

 

En 1992, son premier court métrage, Les pierres bleues du désert, révèle Jamel Debbouze. En 1997, il réalise son premier long métrage, Mektoub, suivi de Ali Zaoua, prince de la rue en 2000.

 

 

Les deux films représentent le Maroc aux Oscars en 1998 et 2001 et imposent Nabil Ayouch dans le paysage du cinéma marocain et mondial.

 

Après Les chevaux de Dieu (Festival de Cannes 2012, Sélection Officielle), Much loved, le septième long métrage du réalisateur, est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2015.


Nabil Ayouch revient ponctuellement au spectacle vivant, puisqu’il conçoit et met en scène le spectacle de clôture du Forum Economique Mondial de Davos (Suisse) et l’ouverture du Temps du Maroc au Château de Versailles en 1999.


Il est aussi producteur, via sa société Ali n’ Productions, créée en 1999, qui vise avant tout à aider de jeunes réalisateurs à se lancer. Il découvre et produit les nombreux jeunes talents de la Film Industry, Made in Morocco, expérience pionnière dans l'exploration du cinéma de genre dans le monde arabe.


Il est le fondateur du G.A.R.P. (Groupement des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) - créé au Maroc en 2002 et le Président de l’Association Marocaine de lutte contre le Piratage.

 

Interview de Nabil Ayouch

Propos recueillis par Claire Vassé


Vos films sont très ancrés dans le monde contemporain. Dans Much loved, vous abordez le sujet de la prostitution. En quoi vous semblait-il un spectre important pour parler du Maroc d’aujourd’hui ?


Je me suis toujours intéressé à ce sujet, pour la simple et bonne raison que le rôle tenu par ces femmes dans la société marocaine m’a toujours interpelé. Dans Ali Zaoua, prince de la rue, mon deuxième film, la mère de l’un des quatre personnages principaux est prostituée. Dans Les Chevaux de Dieu aussi... Le sexe est fondamental dans la société arabe, notamment la frustration qu’il génère et qui laisse très peu d’espace à l’amour pour s’exprimer, aussi bien dans la sphère privée que publique. Et, en ce sens, les prostituées servent de catalyseur, encore plus qu’ailleurs.


Pourquoi la frustration serait-elle plus importante dans les sociétés arabes ?


Je pense qu’il y a des environnements dans lesquels l’amour s’épanouit plus facilement que dans d’autres. Et dans le monde arabe, c’est particulièrement difficile.

 

Much lovedDans certains pays, on peut se faire arrêter simplement parce qu’on se balade main dans la main, et des lois empêchent des hommes et des femmes non mariés de vivre ensemble. Les habitudes, la contrainte et l’hypocrisie sociales font que, lorsqu’on est en situation d’aimer, on nous refuse l’espace nécessaire pour apprendre.

 

Car aimer s’apprend, c’est un sentiment qui doit être encouragé, pas contredit. On a besoin de passer par différentes phases pour connaître l’autre. Si on ne peut pas les vivre, on ne peut pas aimer et la femme se retrouve alors considérée comme un ventre, une personne qui est là pour s’occuper des hommes et élever des enfants, mais pas comme une compagne.

 

Comment êtes-vous entré dans le quotidien de ces femmes prostituées ?


Des années d’intérêt, de questionnements sur la prostitution dans le monde arabe se sont transformées en une envie de plus en plus forte d’explorer ce milieu. J’ai d’abord rencontré des prostituées à Marrakech pendant deux jours. Je m’attendais à ce qu’aucune ne veuille parler mais c’est le contraire qui s’est passé : je me suis rendu compte à quel point elles avaient besoin de parler, de se libérer, de s’ouvrir. Et à quel point leur parole était fondamentale à entendre.
Ce qu’elles avaient à dire était tellement fort, tellement prégnant que j’ai eu envie de revenir les voir. Je venais d’ouvrir une brèche qui a conduit à un travail d’enquête qui a duré environ un an et demi, et pendant lequel j’ai rencontré entre deux cents et trois cents jeunes femmes. Elles m’ont raconté leur vie, leur solitude, leurs blessures, comment elles en étaient arrivées là. Et aussi la manière dont elles se voyaient elles, avec évidemment une perte d’amour propre terrible... Ces filles sont des guerrières, des amazones des temps modernes.

Le film s’approprie une réalité mais avec aussi un grand désir de fiction, de créer des personnages…


Au départ, je me demandais si je n’allais pas partir sur un documentaire ou un docu‑fiction. Mais je me suis rendu compte qu’en dehors de toutes ces histoires que j’avais entendues, j’avais la mienne à raconter, c’est-à-dire mon lien à ces femmes, ce qui m’avait bouleversé en les entendant, mon regard porté sur elles. Je voulais m’approcher le plus possible d’une forme de naturalisme qui donne à voir ce qu’est réellement la vie de ces femmes, mais le film est une vraie fiction, que j’assume comme telle, avec des partis pris, notamment en termes de réalisation, d’image, de montage.

 

Vous préférez les longues séquences aux brefs moments…


Dès lors que je décidais de pénétrer l’intimité de ces femmes, d’être dans leur point de vue, je n’avais pas envie d’être dans l’anecdotique, j’avais besoin de prendre mon temps. L’important était d’être extrêmement proche d’elles, de leurs émotions, de ce qu’elles vivent, de leur vérité.

 

Much lovedJe n’avais pas envie de refaire plusieurs fois les scènes, pour ça j’ai décidé de tourner avec deux caméras, dont l’une devait tout le temps rester au plus près des personnages, aller chercher les détails qui révèlent tout. J’ai aussi essayé d’aller chercher en moi ma part de féminité pour raconter cette histoire, je voulais que ce soit un film "de femme".

 

Much loved n’est pas un film sur la prostitution mais avant tout le portrait de quatre femmes. D’où aussi le désir de travailler avec une équipe très féminine : la directrice de la photo, la première assistante, ma compagne avec qui nous avons fait les recherches et travaillé le texte… J’avais besoin d’être plein de leur énergie pour faire ce film.


A la vision de Much loved, on sent chez vous une envie de donner à voir avant de convaincre ou dénoncer…


Je ne veux en aucun cas être moralisateur, condamner, exercer un jugement de valeur, qu’il soit négatif ou positif. Je cherche simplement à dire. Et dire, c’est montrer. Montrer ce qu’est la vie de ces prostituées, montrer leur rapport aux hommes, leur rapport entre elles, à la société, à l’hypocrisie sociale et à la famille, censée être un pilier qui les soutient et qui représente en réalité davantage un manque cruel. J’avais envie de dire cette réalité, loin des mythes. Sans retenue, sans concession ni fausse pudeur. Lever le voile sur cette économie, c’est mettre chacun face à ses responsabilités, à ce qu’il refuse de voir.

 

Much loved

 

Comment avez-vous trouvé vos actrices ?


Ce ne sont pas des actrices professionnelles. Je les ai rencontrées pendant la phase d’enquête. Elles ne sont pas prostituées mais connaissent ce milieu très bien de par les quartiers où elles habitent. On a beaucoup travaillé en préparation sur des exercices qui faisaient appel à leur intériorité. J’ai cherché en elles ce qui les blessait, je les ai aidées à se débarrasser de certaines choses. Ce travail leur a permis de changer le regard qu’elles portaient sur elles-mêmes, de s’aimer et de rentrer petit à petit dans la peau de leurs personnages.
Et sur le tournage, on improvisait beaucoup. Je leur disais où j’avais envie d’emmener la scène, ce qu’elle racontait et je les laissais proposer beaucoup de choses, notamment en termes de dialogues. Ce travail à leurs côtés fut un bonheur. Nos échanges ont porté ce film au-delà de toutes mes espérances. Elles ont accepté de se livrer, de se déshabiller et de me montrer leur âme, "sans maquillage", comme elles disent.

Vous filmez Marrakech comme une juxtaposition de milieux qui ne vivent pas vraiment ensemble… Notamment quand on voit la ville à travers le regard de Soukaina dans le taxi.


Lors de cette balade de jour, on sent Soukaina complètement étrangère à ce qui se passe autour d’elle, comme si elle était dans un vaisseau spatial flottant à travers la ville. Saïd, le chauffeur, a cette phrase qui résume tout : "Ville de fous !", avec tous ces milieux qui se croisent mais ne s’entrechoquent pas. J’aime beaucoup que la ville soit comme un personnage, avec lequel ces femmes entretiennent une relation d’amour et de détestation. Cette ville leur apporte leurs clients, et donc de quoi manger, mais aussi la furie, l’humiliation, l’agressivité…

 

Ce mélange de détestation et d’amour pourrait décrire de manière plus large l’esprit du film. On est tout le temps trimballé entre violence, drôlerie et émotion.


J’ai essayé d’aller chercher ce qui est au plus profond de ces femmes et de le faire remonter à la surface. Pour moi, cette intériorité est belle à voir, belle à entendre, douloureuse aussi, pour elle et pour nous. Moi j’ai mal en tout cas quand je vois certaines images, certaines scènes de ce film. Mais cette émotion-là me transporte et j’aime la traverser avec elles. Aller chercher ce qui se passe dans les tréfonds de l’âme humaine est ce qui m’intéresse par-dessus tout. Toute société qui se construit a besoin de se regarder dans la glace, de regarder ce qu’il y a de beau, mais également de moins beau en elle. Sinon, c’est une société malade et qui souffre en silence. Le cinéma permet de mettre la souffrance en lumière et d’en parler.

 

Much loved

 

En ce sens, le film est noir mais aussi très humain.


Oui, j’aime cette définition. C’est vrai qu’il y a de la noirceur, que l’on reçoit la dureté de cette chronique en plein visage et qu’elle nous fait mal et nous abime. Mais d’une certaine manière, c’est cette même dureté qui nous réconcilie ou nous lie avec ces femmes – selon le rapport que l’on entretenait avec elles auparavant.


L’émotion vient aussi de la volonté de ces femmes de transformer leurs expériences dures et humiliantes en récits vivants, drôles et crus qu’elles se racontent entre elles.


Oui, on voit l’union de ces femmes, leur solidarité, leur humour. Pour ne pas sombrer, elles rient, elles dansent, elles s’amusent des hommes, et d’elles-mêmes. Ces femmes ont de la distance, elles sont extrêmement lucides sur ce qu’elles vivent et très conscientes de leur pouvoir et de la place qu’elles occupent dans la société – en tout cas c’est ce qui m’a marqué en les rencontrant. Elles savent qu’elles jouent un rôle de régulateur face à des frustrations sexuelles terribles, face à une volonté de laisser sortir coûte que coûte les instincts les plus vils, face à une incapacité à aimer qu’ont les hommes, face à leurs familles qui seraient détruites sans leur aide.
Paradoxalement, cette lucidité est tragique car en retour de ce rôle qu’elles jouent dans la société, elles ne reçoivent que mépris, jugement et humiliation. Elles ne demandent pourtant pas grand-chose : juste un peu d’amour, juste que leur famille les regarde autrement que comme une carte de crédit. Leur solitude les agresse, les rend cruelles parfois. C’est dur d’être seules quand on est tellement entourées.

 

Much loves

Vous n’en faites pas pour autant des victimes.


Parce que pour moi, ce ne sont pas des victimes. Je ne ressens aucune pitié à leur égard et je serais peiné qu’on en ressente en voyant mon film. J’éprouve de la tendresse et de l’attachement pour elles. Je les trouve épatantes dans leur liberté, dans leur capacité à faire vivre leurs proches à bout de bras et à souffrir en silence. Elles ont du courage, la rage au coeur des combattantes. L’idée n’était pas de tomber dans le pathétique, le tragique ou le misérabilisme. Ces femmes ne sont ni blâmables, ni formidables, ce sont des femmes, maitresses de leur destin et que l’on doit regarder comme telles.


Un homme fait exception : le client français, sincèrement amoureux de Noha…

 

Oui, cet homme – incarné par Carlo Brandt – l’aime profondément, il est sincère, et c’est ce qui la raccroche à lui. Même si elle continue à manipuler et à jouer, Noha ne brise pas ce lien vrai et rare, indélébile.

 

Et vous filmez la scène d’amour avec lui…


Je la filme parce qu’elle raconte des choses sur leur rapport. C’est d’ailleurs la seule scène d’amour du film où je laisse les corps s’exprimer.


Et le personnage de Saïd, le chauffeur ?


Je l’ai pensé comme une belle âme, qui est là et qui flotte au milieu d’elles. Il les conduit au sens propre et figuré. Il les guide, les protège, veille sur elles comme un ange gardien.

 

L’arrivée tardive de Hlima, la prostituée venue de la campagne, amène un ton franchement plus drôle.


C’est toujours un pari risqué de faire entrer un personnage important dans la dernière partie d’un film, mais Hlima amène de l’humour et de la fraîcheur, elle ouvre une jolie fenêtre. J’avais aussi envie de me rapprocher du personnage de Saïd, présent dès le début mais dont on sait finalement assez peu de choses. Et je trouvais intéressant de le faire du point de vue de ce nouveau personnage qui tombe amoureux de Saïd et vice versa.
Et puis Hlima représente une autre forme de prostitution. Une prostitution beaucoup plus basique et concrète, brute, correspondant à une forme d’exode rural. Ces filles qui viennent de la campagne sont dans un rapport primaire aux hommes, avec la possibilité, comme on voit dans le film, de se faire payer en légumes. Hlima nous permet également de découvrir une autre catégorie de clients que les Européens ou les Arabes du Golfe : les Marocains moins fortunés.

 

Much Loved

 

C’est aussi grâce à Hlima que les autres filles peuvent exprimer une part d’enfance, notamment quand elles dorment toutes ensemble…


Une part d’enfance, oui, mais Hlima est avant tout une bouée de sauvetage. Il n’y a qu’à voir la manière dont les filles se raccrochent à elle…


La musique accompagne la trajectoire des personnages et contribue à nous rapprocher d’eux.


Oui, la musique intervient de manière très intérieure, c’est ce que j’ai demandé aux compositeurs : allez, entrez dans ces femmes et sortez quelque chose qui vient d’elles, de leurs tripes, qui ne prenne pas trop de place mais en même temps exprime la douceur et le rythme de leur coeur.

 

La réalité de ces femmes est à la fois sans issue mais traversée par un sentiment de liberté.


Cette notion de liberté m’a tout de suite impressionné chez celles que j’ai rencontrées et c’est vraiment par ce prisme que j’avais envie de les raconter. Le monde arabe est au fond une société matriarcale où les femmes, malgré les apparences et des inégalités choquantes, sont dominantes au sein du foyer. Dans Much loved, j’avais envie de cette anthropologie inversée – Saïd, leur protecteur, servant, conducteur, en est le reflet palpable. Ce sont elles qui gouvernent les hommes. Elles peuvent choisir un soir de ne pas sortir, de dire non malgré vingt-cinq appels d’hommes aux abois. Elles sont toujours habitées par ce sentiment de liberté.


Notamment lors de la dernière séquence à la mer…


Je n’avais pas envie de fermer le film mais au contraire de l’ouvrir sur cette notion de liberté, avec cette question : "Est-ce qu’on est obligées d’aller à la soirée du 28 ?" Il n’y a pas de réponse, chacun se fait celle qu’il a envie de faire. Elles surtout.

 

Much loved

Et le titre du film ?


Le titre original est ZIn li fik, qui signifie "la beauté qui est en toi", et qui renvoie à l’intériorité, belle à voir et belle à entendre, que j’ai découverte chez ces prostituées. Quant au titre international, Much loved, je l’ai trouvé à la toute fin, quand j’ai compris ce qu’étaient véritablement leur vie et la manière intime dont je la percevais. Much loved, c’est à la fois être trop et mal aimé. Il y a aussi la notion d’usure – on utilise cette expression pour parler d’un doudou qu’on a chéri et qui à force d’avoir été serré et mâchouillé a été abimé…


Comment avez-vous vécu les réactions violentes que votre film a suscitées au Maroc après la projection à Cannes ?


Ces réactions m’ont profondément choqué et ouvert les yeux sur une violence latente, qui était là, enfouie, et qui avait juste besoin d’un révélateur pour exploser. Qu’un film arrive avec des propositions cinématographiques, ouvrant le débat sur un enjeu sociétal de taille et qu’on refuse ce débat… C’est ça qui est choquant. Ainsi qu’une incapacité à se regarder dans le miroir et préférer aller vers la haine, l’anathème, le racisme, la violence verbale, les menaces de mort... Hystérique et incompréhensible, de même que cette censure par anticipation alors qu’ils n’ont même pas vu mon film, juste quelques extraits sortis de leur contexte… Mais, par ailleurs, le Maroc est un pays bourré de diversités, de paradoxes. Beaucoup de gens m’ont soutenu dans cette bataille. Ils ont exprimé une envie de faire sauter ces verrous, d’arrêter cette hypocrisie qui nous tue, et m’ont accompagné dans ce qui est devenu un vrai combat pour la liberté d’expression et contre l’aveuglement.

 

Aujourd’hui, j’ai envie de garder de l’espoir et, même si ce n’est pas facile tant les radicalismes sont forts, de continuer à me battre pour que ce film puisse un jour rencontrer son public au Maroc.

 

Much loved

Mon opinion

 

La vie de quatre femmes qui "ne demandent pourtant pas grand-chose : juste un peu d’amour, juste que leur famille les regarde autrement que comme une carte de crédit. Leur solitude les agresse, les rend cruelles parfois. C’est dur d’être seules quand on est tellement entourées" a déclaré Nabil Ayouch.

 

Marrakech, loin des cartes postales, est le cinquième personnage du film.

 

Quatre " guerrières, des amazones des temps modernes " pour reprendre l'expression de Nabil Ayouch, dont Loubna Abidar absolument remarquable, crèvent l'écran dans ce film attaqué de toute part dans son pays d'origine, le Maroc.

 

"La prostitution est un débat loi d'être clos que ce soit dans le monde arabe ou en occident" déclare avec justesse le réalisateur. Il filme avec courage toute l'âpreté de ce monde de la prostitution. Sa réalisation est à la fois délicate, féroce, limpide et sans compromis. Tous les personnages sont filmés d'une façon quasi documentaire.

 

Le réalisateur dévoile la solidarité bien réelle entre ses femmes, leurs rêves, mais aussi l'envie de sortir de ce milieu. L'envie d'un ailleurs qui paraît impossible. Ces femmes font vivre des familles qui se cachent derrière une duplicité coupable, avant que tout ne parte à la dérive. À cause des voisins, bien entendu.

 

Le film effleurera un autre sujet sensible, l'homosexualité. D'un frère pour l'une, aux riches saoudiens ou encore certains membres de la police, les hommes n'ont pas le beau rôle.

 

Much loved n'a rien de racoleur et ne peut laisser indifférent.

 

Un film à saluer pour la hardiesse nécessaire à sa réalisation, et pour l'ensemble du remarquable casting.

Much loved - Lubna Abidar

En jouant une prostituée dans Much Loved, l'actrice marocaine Lubna Abidar a soulevé des réactions haineuses dans son pays, et recueilli des applaudissements en France.

 

Pour lire l'interview de Frédéric Strauss publié le 17/09/2015 pour telerama.fr.

Cliquez Ici.

8 octobre 2015 4 08 /10 /octobre /2015 20:50

 

Date de sortie 30 septembre 2015

 

L'Odeur de la mandarine


Réalisé par Gilles Legrand


Avec Olivier Gourmet, Georgia Scalliet,

Dimitri Storoge, Hélène Vincent, Fred Ulysse, Michel Robin


Genre Drame


Production Française

 

Synopsis

 

Eté 1918.

 

La guerre fait rage pour quelques mois encore, mais pour Charles (Olivier Gourmet) et Angèle (Georgia Scalliet), elle est déjà finie. Lui, officier de cavalerie y a laissé une jambe. Elle, son infirmière à domicile, vient de perdre au front son grand amour, le père de sa petite fille.

 

Unis par le besoin de se reconstruire, ils nouent une complicité joyeuse qui les ramène à la vie. Sur l'insistance de Charles, Angèle accepte un mariage de raison. Il leur faudra entrer en guerre, contre eux-mêmes et contre l'autre avant d'accepter l'évidence de la passion qui les lie malgré eux…

 

L'Odeur de la mandarine - Olivier Gourmet.L'Odeur de la mandarine - Georgia Scalliet

 

Olivier Gourmet                                  Georgia Scalliet

Entretien réalisé en mai 2015 avec le réalisateur, Gilles Legrand.

Propos relevés dans le dossier de presse.


Gilles Legrand, à l’origine de L’Odeur de la mandarine, êtes-vous parti du contexte historique, des personnages ou du thème de la sexualité ?


Depuis longtemps, il y avait cette envie de m’approcher de la thématique de l’intimité du couple et du désir charnel, de m’interroger sur la chimie des corps, de parler frontalement de sexualité : vaste programme où il est très facile de se noyer… Par ailleurs les envies de film viennent chez moi souvent d’assemblage d’éléments ou d’univers très hétéroclites !

 

L'Odeur de la mandarrine

 

Et donc, dans un tout autre domaine, je nourris une véritable passion pour le "meilleur ami de l’homme", le cheval ! Pas vraiment le côté hippique, course, équitation, mais l’animal en lui-même, son esthétique, son élégance et la sensualité qu’il dégage. J’aime l’observer, le toucher, le sentir, l’écouter … tout sauf le manger ! Bref, les chevaux font partie de ma vie, d’ailleurs je vis avec eux. Et depuis un certain temps, je cherchais avec la complicité de mon ami Jean Louis Gouraud, hippiatre de renom, (éditeur, romancier, journaliste, aventurier…) à mettre un cheval au centre d’une histoire.

 

 

Il me faisait remarquer comment l’homme ou la femme abordent de manière très différente ces créatures cent fois plus puissantes que nous. Animal qu’on dirige en le chevauchant et dont le contact s’établit principalement entre les jambes, ce qui est loin d’être anodin ! La femme le fait généralement avec douceur, confiance, intelligence, tandis qu’à travers les siècles, l’homme a plutôt cherché à le dominer pour en faire un outil de travail ou partir guerroyer. Moins en douceur, quoi… Je simplifie mais il y a de ça !

 

Mais un film c’est comme toujours une histoire de personnages, alors j’ai voulu raconter une singulière histoire d’amour avec du cheval tout autour …

 

En le transposant en 1918…


La mission du cinéaste, c’est d’éteindre la lumière et de vous raconter une histoire. Pour cela, j’ai besoin de m’extraire de mon univers quotidien, besoin de me déplacer –dans le temps et/ou dans l’espace. Dans Tu seras mon fils, c’était l’univers viticole; dans Malabar Princess, une nature assez hostile; dans La Jeune fille et les loups, une autre époque. Et là, encore, on est projeté un siècle en arrière, à la fin de la première guerre dans un contexte mortifère très particulier, avec ce besoin de renaitre et de survivre. Revenir à la nature dans un lieu clos, entouré de forêt. Ça m’a paru plus simple et plus efficace de mettre cette distance par rapport à notre quotidien pour faire vivre et observer ce couple…

Comment êtes-vous passé de ces idées générales à ces personnages très construits ?


Comme j’ai beaucoup de mal à écrire seul – le matin j’écris des pages que je mets le soir à la poubelle – je suis allé chercher Guillaume Laurant, dont j’apprécie le travail, et je lui ai fait part de mes réflexions hétéroclites et en vrac, sur la sensualité de l’animal, l’envie de huis clos et cette histoire d’amour un peu tordue de désir contrarié.

 

L'Odeur de la mndarine

 

Et ça a résonné chez lui. En discutant, on s’est donc vite fixé sur 1918 et ces deux personnages principaux : un officier de cavalerie unijambiste et une infirmière fille-mère, deux personnages que la guerre a rendus bancals, lui ayant perdu une partie de sa virilité, sa raison de vivre, et elle son grand amour. Comment ces deux-là vont-ils parvenir à se reconstruire ?

 

Très vite, Guillaume Laurant a écrit une première mouture du script, qui n’est pas si éloignée du film tel qu’il est aujourd’hui, et nous avons ensemble affiné le scénario final.

 

À travers la figure du cheval, il s’agissait donc bel et bien de parler plus généralement de la sexualité des hommes et des femmes.


Hou là… le terrain est glissant. Un étalon, c’est un étalon : un animal qui n’a pas beaucoup d’autres objectifs que de se reproduire, un animal aux désirs instinctifs extrêmement puissants. Il est très séduisant mais lourdement chargé de symboles. Chacun y voit ce qu’il veut, une métaphore, un catalyseur, un miroir ou juste un moyen de s’évader et retrouver des sensations. Tout n’a pas besoin d’être justifié, surtout là, il faut faire gaffe...

 

Pourquoi faire gaffe ?


On en vient à l’un des thèmes essentiels du film, l’opposition entre notre propre part d’animalité et d’humanité. Bien sûr, les personnages sont sensibles ou perméables à l’univers qui les entoure mais ils ne se comportent évidemment pas comme des animaux ! Les pulsions masculines peuvent être très fortes... les féminines aussi d’ailleurs. Mais si elles sont déséquilibrées, ce qui est le cas dans notre histoire, alors le couple peut très vite se détruire. L’orgueil de chacun des protagonistes va creuser le fossé… A qui la faute ? Mais je me méfie de mon discours, parce que le regard que le film porte sur le désir est un regard masculin, qui plus est à travers un personnage diminué, handicapé, qui a donc à reconquérir une part de sa virilité. J’espère que le public féminin sera sensible à cette dimension. De plus il n’y a pas de généralité à en tirer, cette histoire et ces personnages ont leur singularité. L’important est seulement de comprendre leurs motivations et leurs trajectoires. En fait pour moi c’est une démarche très intime d’aborder ces thématiques, j’espère avoir réussi à les montrer, mais je ne sais pas vraiment en parler …

 

L'Odeur de la mandarine - Olvier Gourmet et Georgia Scalliet.

Le film exprime également une réflexion très subtile sur le rapport féminin au désir.


Je l’espère. Ça passe peut être par l’écriture mais aussi beaucoup par l’interprétation de la comédienne et forcément par le point de vue. Très peu de gens ont pu le voir pour l’instant, mais j’ai pu observer la gêne de certains hommes devant certaines séquences, parce que la caméra y adopte le point de vue de la femme dans des scènes dites d’amour. C’est pour cela aussi qu’il était très important pour moi d’avoir le regard féminin de ma monteuse, Andréa Sedlackova. Elle m’a souvent rassuré, en me disant "Insistons sur cette séquence, c’est exactement ce que la femme peut percevoir face au désir ou au plaisir d’un homme."
Le motif clef du film, cette dialectique homme/femme, animalité/humanité, s’exprime à travers Angèle, le personnage joué par Georgia Scalliet. De sa générosité à soigner l’autre va naître, dans un premier temps, une belle amitié. Mais une fois que le désir survient chez Charles (Olivier Gourmet), comment fait-on pour transformer cela en histoire d’amour ? On peut comprendre que cette fille-mère, en rupture avec sa propre famille, se laisse séduire par l’intelligence, l’hospitalité et la sensibilité de ce type, jusqu’à être prête à faire don de son corps. Mais le jour où elle passe dans son lit, ça coince… Le thème de la jouissance féminine, ce n’est pas que ça m’obsède, mais ça m’interpelle, oui.

 

Que représente la figure du cerf, l’autre animal au coeur du film ?


Faut-il tout justifier ? Le cerf, c’est l’animal le plus sexué de la faune sauvage. Il est libre, puissant, dominant. À la fin de l’été, dans toutes les forêts de France, plein de gens restent des nuits entières simplement pour écouter le brame, qui est l’appel des biches. C’est très émouvant et angoissant ! Si, au sein des animaux domestiques, l’étalon rime avec puissance et élégance, le cerf est son pendant dans la vie sauvage. Angèle est peut être fascinée par cet animal parce qu’elle entend dans son cri la complainte de son propre mari, une sorte d’appel. C’est un peu laborieux à expliquer… c’est en fait une poésie toute personnelle ! J’ai conscience de pouvoir égarer certains, j’espère que d’autres y seront sensibles !

 

L'Odeur de la mandarine

Situer le film en 1918, c’est aussi se poser la question de la place de la femme au sein de la société française ?


C’est un moment de bascule, où a sans doute commencé un lent processus d’émancipation, qui se poursuit encore aujourd’hui. D’abord, parce qu’il y a eu des millions de morts parmi les hommes : les femmes ont été amenées à prendre la maîtrise des familles, de l’industrie, à s’intéresser aux affaires, à diriger les fermes. Elles sont sorties de leurs carcans, les corsets sont tombés, les jupes se sont raccourcies… Le personnage d’Angèle est éminemment moderne. Je ne suis pas historien, mais c’était effectivement intéressant d’envisager la question de la sexualité dans un tel contexte. Je pense d’ailleurs qu’on n’a pas inventé grand-chose depuis des siècles sur cette question-là …

 

Vous mettez en scène un monde clos, tout en parvenant à faire ressentir la guerre et l’environnement de l’époque.


La guerre, on l’entrevoit grâce à quelques plans lointains du front, et on s’est efforcé de la faire vivre au son, avec le bruit constant des canons à l’arrière-plan. On a aussi ceux qui viennent du front, mais on n’y va pas. Le lieu fermé est un choix affirmé qui répond à plusieurs considérations.

 

L'Odeur de la mandarineOn aurait pu partir sur l’idée d’un film d’époque épique. Mais outre les questions économiques, on avait envie de se concentrer sur le sujet, davantage que sur le contexte. Par ailleurs, tourner dans un décor unique, c’est très pratique pour lui donner de la consistance, pour le faire vivre à l’écran.

 

 

Ce lieu fait partie de l’histoire et il est prépondérant pour créer l’atmosphère. Le repérage de ce château a été fait très minutieusement (toutes les différentes pièces, la cour et les points de vue pour s’observer, les écuries mais aussi ce cheval qu’on cache à l’intérieur du château…), et il y a eu ensuite de très importantes interventions du décorateur Jean Rabasse et de son équipe pour répondre aux exigences du scénario. Ce lieu devait être impressionnant sans être trop étouffant.

Et puis, il y a quelques échappées belles dans les forêts qui ponctuent le récit et qui correspondent au besoin de cette jeune femme de partir s’échapper, respirer, revivre.

 

Une des particularités du film est le point de vue partagé entre les deux personnages principaux.


Si une femme avait mis le film en scène, peut-être aurait-elle encore davantage insisté sur le personnage féminin… C’est toujours une question qui se pose quand on réfléchit au découpage de chaque séquence. Soit on prend le parti d’épouser un point de vue unique, soit on se laisse un peu plus de liberté. Ici, comme il s’agit d’une histoire d’amour à deux, aucun ne devait être exclu. Il fallait pouvoir aller de l’un à l’autre, choisir selon les moments. Ils ont tour à tour des comportements intéressants qu’il faut savoir saisir. Il y a l’actif, le passif, le dit, le non-dit, celui qui prononce le petit mot de trop, celle qui fait le petit geste qui blesse – je pense à ce moment où Angèle se précipite vers sa bassine pour se rincer juste après s’être donnée. Là, on ressent clairement la souffrance de Charles, qui la regarde tellement pressée de se laver de lui… Après, forcément, chez le spectateur masculin ou féminin, ça va jouer. Il y a même un troisième point de vue, celui du metteur en scène, la caméra se fait extérieure et les regarde se dépatouiller : on voit alors deux orgueils qui s’affrontent et immanquablement se détruisent… Ensuite, dans le calme de la salle de montage, on alterne assez naturellement, il s’agit de chercher le bon point de vue au bon moment.

 

Et comment abordez-vous les scènes d’amour ?


C’est définitivement ce qu’il y a de plus difficile à tourner. On a tous une forte dose de pudeur à surmonter. Il faut d’abord des comédiens généreux et là j’ai vraiment été très soutenu. On en parle un peu avant avec eux pour ne pas se mentir mais pas trop, pour éviter la pression. On leur fait confiance …Mais heureusement les séquences étaient justifiées et les personnages avaient de vraies choses à faire passer et pas seulement simuler le plaisir … Ensuite créer une ambiance la plus confortable possible, ne pas trop montrer tout en cherchant le détail et laisser l’imagination travailler, rester très près des corps et des visages, tourner en plan séquence et être mobile. Ce fut la méthode adoptée et elle a plutôt bien fonctionné. Mais honnêtement je préfère demander à une comédienne de traverser un étang en nageant avec son cheval à la poursuite d’un cerf …

 

Un mot sur le titre, L’Odeur de la mandarine ?


Ah ah ah ! Au départ, il s’est imposé parce qu’il était justifié par une scène. Mais le film aurait tout aussi bien pu s’appeler "le Bruit des sabots" ou "le Goût du sel". Il y avait l’envie d’évoquer les sens, d’être dans le registre de la sensualité. Et puis la scène a disparu au montage, mais comme le titre plaisait, il a survécu.

 

L'Odeur de la mandarine

Mon opinion

 

Au cœur de la première guère mondiale, deux êtres se trouvent et s'affrontent.

 

Un cadre unique et magnifique, à la limite du front, servira de décor à cette rencontre. Les seuls rappels, du conflit qui fait rage, seront ponctués par le bruit lointain des canons.

 

Lui, meurtri à jamais dans ses chairs. Elle, le cœur brisé par un amour trop tôt disparu, ne se départira jamais d'une incontestable liberté. Un couple improbable avec un premier point commun l'amour des chevaux.

 

L'excellent Olivier Gourmet face à une belle révélation au cinéma, Georgia Scaillet. Tous deux portent le film de bout en bout.

 

Les dialogues entre les deux principaux protagonistes sont souvent joyeux, parfois ironiques, un rien libertins, toujours parfaitement écrits. La complicité du début virera vers une relation quelque peu attendue. "Le thème de la jouissance féminine, ce n’est pas que ça m’obsède, mais ça m’interpelle, oui." a déclaré Gilles Legrand.

 

Il sera également question d'absence, de reconstruction et d'acceptation. La réalisation reste sage et fait la part belle à la nature, aux animaux. Aux chevaux en particulier. De très belles images, et des passages trop oniriques, desservent quelque peu la véritable histoire des personnages.

 

À noter de grands comédiens dans de simples participations, Dimitri Storoge, Hélène Vincent, et Michel Robin

L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
L'Odeur de la mandarine
8 octobre 2015 4 08 /10 /octobre /2015 20:30

 

Date de sortie 30 septembre 2015

 

Je suis à vous tout de suite

 

Réalisé par Baya Kasmi


Avec Vimala Pons, Mehdi Djaadi, Agnès Jaoui,

Laurent Capelluto, Ramzy Bedia, Claudia Tagbo, Camélia Jordana, Anémone


Genre Comédie dramatique


Production Française

 

Synopsis

 

Hanna (Vimala Pons) a 30 ans, beaucoup de charme et ne sait pas dire non : elle est atteinte de la névrose de la gentillesse.

 

Ce drôle de syndrome familial touche aussi son père, Omar (Ramzy Bedia), "épicier social" et sa mère, Simone (Agnès Jaoui), "psy à domicile".

 

Avec son frère Hakim (Mehdi Djaadi), focalisé sur ses racines algériennes et sa religion, le courant ne passe plus vraiment. Mais un événement imprévu oblige Hanna et Hakim à se retrouver...

 

Je suis à vous tout de suite

 

Camélia Jordana, Mehdi Djaadi, Vimala Pons, Ramzy Bedia, Agnès Jaoui, Anémone

Le film est à la fois la trajectoire d’une jeune femme et celle de sa famille, notamment de son frère Hakim.


À la base, c’était vraiment l’histoire d’Hanna et de son frère. L’impulsion m’est venue quand j’ai lu La Contrevie, de Philip Roth, l’histoire de deux frères juifs new-yorkais. L’un est le bon juif dentiste resté dans les traditions. L’autre a écrit des livres très durs sur la communauté juive, il n’est pas croyant, il est un peu le traître et ils ne se parlent plus parce que l’un de ses romans a fait beaucoup de mal à la famille. J’ai été fascinée par le rapport entre ces deux frères, leurs oppositions, leurs choix de vies différents, leur rapport à l’origine, à l’identité, à la religion...Roth est d’une autre génération, d’une autre origine, d’un autre pays, mais j’avais l’impression qu’il parlait de moi, de nous. De la génération des enfants d’immigrés maghrébins, qui, quels que soient leurs choix, sont obligés de se positionner par rapport à leur origine, leur religion, leur communauté supposée. Dans toutes les familles issues de l’immigration, ces tiraillements existent et c’est un sujet qui me passionne.

 

Comment est né Je suis à vous tout de suite ?


Je suis la fille d’un Algérien musulman, mais aussi d’une Française, de parents communistes, convertie à la chrétienté, puis au bouddhisme et à l’hindouisme. J’ai grandi comme beaucoup d’enfants de l’immigration avec un pied en France et un pied en Algérie (du moins dans le fantasme). Aujourd’hui le lien à l’identité passe énormément par la religion. Moi je suis une femme, née en France, qui ne croit plus en dieu et qui se revendique athée (quelque chose qui m’est tout à fait naturel mais qu’on ne peut pas vraiment faire en Algérie), et évidemment je me questionne beaucoup sur ma génération et tous ceux qui ont eu ce besoin d’aller vers la religion alors que j’essayais de m’en libérer.

Je suis à vous tout de suiteMon rapport à ces mouvements identitaires et religieux et à la foi critique et empathique. Ces questions sont obsessionnelles chez moi, chez les gens d’origine maghrébine, mais pas seulement. Au sein de beaucoup de familles issues de l’immigration, des courants contraires existent.

 

 

Il y a ceux qui perpétuent une tradition, ceux qui la quittent, ceux qui la tordent. Après il y a aussi cette omniprésence de l’Islam chez les immigrés de première génération. On débarque dans un nouveau pays, on ne veut surtout pas gêner, on veut être aimé, on pense à ceux qui restent et à qui on doit envoyer de l’argent, à l’avenir meilleur qu’on doit donner à ses enfants, et on s’oublie. Après, il y a la seconde génération, la mienne, qui a compris que la névrose de la gentillesse, c’est aussi ne pas exister. Cette génération est tentée de placer le curseur à l’opposé : dans une revendication identitaire et religieuse extrême parce que leurs parents ont trop "fermé leur gueule". Pour moi, le personnage du père, très gentil, toujours prêt à s’adapter, est très important pour comprendre le parcours d’Hakim.

Votre histoire pourrait être dramatique. Vous saviez d’emblée que vous vouliez la traiter sur un ton plutôt comique ?


Il y avait dès le départ le désir de dédramatiser une situation politique angoissante : le racisme, l’augmentation de la méfiance, la montée du religieux et l’utilisation politique qui en est fait de tous les côtés. J’avais envie d’exprimer librement un point de vue en dehors de l’actualité sur l’Islam, le voile, le hallal. Je voulais en rire de l’intérieur, dans la complexité d’une famille. En tant qu’enfant de l’immigration, on a un regard particulier qui manque dans le débat français sur tous ces sujets obsessionnels : immigration, identité, religion. Cette deuxième génération a une place étrange, inconfortable et d’autant plus intéressante. Au début du XXème siècle, les gens qui se sont battus pour la séparation de l’Église et de l’État, ils se battaient contre leurs pères, contre ceux qui dominaient la société, religieusement, politiquement, socialement, économiquement.

 

Je suis à vous tout de suite.

Nous on réprime ce désir de se révolter contre une religion ou des idées répressives, parce que ceux qui les "représentent", nos parents, ont souffert toute leur vie du racisme et de la précarité. On aurait l’impression d’achever un blessé, qu’on aime de surcroit et qu’on comprend.

 

 

J’ai toujours eu l’impression que c’est ce phénomène qui pousse parfois les enfants d’immigrés à se faire l’étendard d’une culture qui n’est plus vraiment la leur. C’est à nous de parler de notre héritage, de nos souffrances et de notre connerie. Mais quand on écrit dans une France angoissée, inégalitaire et souvent xénophobe, on a la sensation de marcher au milieu d’un champ de mine, on a peur de donner du grain à moudre aux fachos et aux racistes. Pour moi, le seul remède à cette situation, c’est l’humour. Dans l’humour il y a la violence et la tendresse qui coexistent, il y a la dimension comique des personnages, des situations poussées dans leurs paradoxes, une tragi-comédie qui donne de la complexité au gens et à leur choix. Et puis avec Michel, quand on écrit ensemble, on a toujours le rire en ligne de mire. Ça nous rend plus légers et on a un truc de sales gosses provocateurs, tout excités à imaginer la tête des gens quand ils verront les vilains tours qu’on leur a préparés.


Le récit fait beaucoup d’allers et retours dans le temps ?


J’aime quand il y a plusieurs époques, des choses qui se répondent, que des fils qui ne semblaient pas liés peu à peu se rejoignent, que le spectateur soit emmené dans un labyrinthe dans lequel il avance, un peu à l’aveuglette. Les livres ou les films qui me bouleversent jouent avec les ellipses, la remontée des émotions, la profusion. J’essaie d’être claire avec le personnage, son émotion, mais j’aime que l’objet global reste touffu. Il doit perdurer un mystère, même pour le réalisateur, dans le scénario qu’il tourne.


Vous aviez des idées de mise en scène précises ?


Certaines scènes étaient déjà dans ma tête. La scène de l’accouchement par exemple où on a conçu un lit à trucage artisanal pour donner l’impression qu’Agnès accouchait vraiment. C’était très ludique. Avec ma fille, qui jouait Hanna à 3 ans, on n’avait pas le choix, on était suspendu à ce qu’elle voulait bien faire, j’imaginais une situation, on cachait la caméra, on a essayé avec la complicité des acteurs de l’amener à ce qu’on voulait. Mais j’avais dessiné aussi la scène où la fillette de 10 ans va chez le docteur. J’ai aussibeaucoup travaillé les passages d’une époque à l’autre, par exemple les silhouettes dans le tunnel, car le récit était complexe et il fallait provoquer des sensations sans perdre le spectateur trop longtemps. Après, tout était un travail passionnant avec au centre le choix des acteurs et des décors. Pour l’image, j’avais envie de peaux très chaleureuses, de couleurs chaudes, d’éviter la sensation d’image plate qu’a parfois le numérique. J’ai travaillé avec Guillaume Deffontaines, qui avait déjà fait mon court-métrage J’aurais pu être une pute. On s’entend très bien, on aime tous les deux chercher, changer d’avis, laisser entrer la vie dans ce qu’on avait décidé précédemment. Le travail sur le rythme et le récit, avec la monteuse du film, Monica Coleman, a aussi été très important au montage. Et à la musique, j’ai collaboré avec Jérôme Bensoussan un ami de quinze ans. Ses compos me surprennent toujours
et m’émeuvent en même temps.


La scène d’amour entre Hanna et Paul est très belle.


Hanna prend du plaisir avec les autres hommes avec lesquels elle couche, elle ne se punit pas. Mais avec Paul, il y a quelque chose de plus. Quelque chose bascule et se libère avec lui. C’est d’autant plus intéressant qu’un malentendu fait qu’il pense qu’elle est une pute, ce qui fait de lui un client. Pourtant c’est une scène d’amour. Dans cette scène, je voulais être très proche d’eux, qu’on soit dans le détail de leurs visages et de leurs peaux, intégrés au désir, jamais voyeurs. On a lancé une prise, Guillaume Deffontaines était agenouillé, très près du lit, il n’y avait presque personne sur le plateau et là, Vimala et Laurent sont partis pour vingt minutes d’amour de cinéma. Elle l’a embarqué et lui, il s’est laissé faire. L’idée était que ce soit joyeux, tendre. Guillaume a tenu le plus possible avec la lourde caméra. À la fin, il y avait leurs soupirs de plaisir à eux et ceux de Guillaume épuisé, au coeur de la scène !


La femme d’Hakim n’est pas la caricature de la femme voilée soumise.


Kenza a du caractère, un point de vue, elle ne s’écrase pas. Et c’est elle qui amène Hakim à se réconcilier avec sa soeur. Elle conduit, elle fume. C’est une Française qui a envie de rester française, elle n’est pas du tout dans cette guerre contre la France, son rapport à la religion est moins névrotique que celui d’Hakim qui, à un moment s’est senti rejeté et exprime ainsi son hostilité. Camélia Jordana a un visage très régulier, sensuel et apaisant, je voulais qu’elle soit belle avec ce voile, que ça ne coupe pas sa féminité. Je voulais filmer ce couple dans la passion aussi, car ce n’est pas parce qu’ils sont croyants qu’ils n’ont pas de corps, de désir.

 

Je suis à vous totu de suite

 

Camélia Jordana et Claudia Tagbo

 

Cette hostilité ne va néanmoins pas jusqu’au terrorisme...


Même après les évènements de janvier 2015, je suis heureuse d’avoir totalement exclue la question du Djihadisme, car il me semble qu’il y a plus à dire et de manière plus ample sur les milliers de jeunes de cette génération qui n’ont jamais pensé au terrorisme, mais qui ne sont entrés en religion, mettent des djellabas, se revendiquent musulmane dans un temps où il est difficile de l’être. Qu’est-ce que cette attitude dit du rapport à la France et aux origines ? Quelque chose me déplaît dans cette démarche, mais c’est aussi l’expression d’une revendication citoyenne, une manière de dire : je suis Français et tu dois m’accepter tel que je suis. La barbe musulmane ou le voile sont aussi le costume d’une identité sociale et culturelle, pas seulement religieuse. Comme le hallal, qui est à la fois une mode, un filon commercial et un fait de société que j’avais envie d’utiliser pour voir ce qu’il y a derrière. Il y a plein de façons différentes d’être musulman, de se voiler, de faire le ramadan et je voulais que cela se dégage du film. Et puis la religion est un choix, pas une origine. À un moment, c’est important de dissocier les deux. Hanna est aussi arabe qu’Hakim, même si personne ne la voit comme telle.

Le dîner au restaurant avec la famille de Paul est à la fois drôle et émouvant...


La scène du dîner est bâtie sur une situation de comédie. On commence donc par rire, on est très ouvert, on ne se méfie pas. Alors quand tout un coup, Hanna est rattrapée par son passé, on le prend de plein fouet, comme une claque. En annonçant à sa famille qu’Hanna est une pute, Paul lui fait ce cadeau de l’accepter telle qu’elle est. Ce que son frère et les hommes en général n’ont pas forcément fait avec elle. C’est en disant quelque chose de faux qu’il dit vrai. Paul est un homme qui n’a aucun jugement. Quoi qu’Hanna fasse, même si elle baise avec la terre entière, jamais il ne projettera sur elle quelque chose de sale. En ça, il est un homme idéal. Un homme qui n’a aucun rapport au puritanisme, qui regarde les autres avec curiosité et amour. Tout le monde a envie d’être regardé comme ça. Paul n’est pas pour autant un type faible, il a sa vision des choses. À un moment il est cruel avec elle, en lui disant ses quatre vérités à l’hôpital, mais il le fait par amour.

 

Et le choix de Vimala Pons ?


Entre elle et moi, c’est une vraie histoire d’amitié, et de travail depuis mon premier court-métrage. Elle a lu le film très en amont. J’aime écrire en pensant à elle, sa beauté, son mystère. J’ai toujours envie de la filmer. Une fois qu’elle fait confiance, elle donne énormément, elle a une liberté extraordinaire, elle n’a peur de rien. Sauf parfois de sa propre émotion. Vimala a quelque chose de profondément triste aussi, comme tous les grands acteurs de comédie, elle sait transformer cela en rire, elle a un rythme unique et tout son corps est au service du jeu. Comme Laurent Capelluto d’ailleurs. La façon dont il place les répliques génère toujours un effet comique surprenant. Il est pince-sans-rire et sexy. Paul est un médecin gentil, limite banal, Laurent lui apporte cette intelligence pétillante, il est à la fois rassurant et naïf, à la fois l’homme et la femme, à la fois Tony Curtis et Marylin.

 

Je suis à vous de suite

 

Vimala Pons et Laurent Capelluto

 

Et Mehdi Djaadi pour jouer le frère ?


Je recherchais quelqu’un qui n’ait pas besoin de crier pour avoir l’air violent et faire un peu peur. Quand j’ai rencontré Mehdi par l’intermédiaire d’Aurélie Guichard, la directrice de casting, j’ai été impressionnée par son charisme. J’aime son côté physique, allié à une grande douceur dans le visage. Il a une palette de jeu très large et quand on les a mis ensemble, avec Vimala, leurs points communs physiques étaient évidents, on voyait se dessiner une famille.

 

Et Agnès Jaoui ?


C’est une grande actrice. Elle est libre, généreuse, d’une grande finesse. Elle m’a beaucoup aidée pendant le tournage. Dans chaque scène, il y avait potentiellement une phrase gênante à dire pour l’un des comédiens, car on aborde des sujets polémiques... Ça générait de la discussion mais Agnès donnait confiance à tout le monde. Elle était là pour le film.


Et Ramzy ?


Il avait ce que je cherchais dans le rôle, une générosité non feinte derrière laquelle on peut sentir les blessures et l’angoisse. Il est très drôle mais c’est aussi un acteur dramatique qui prend aux tripes. Le casting est fondamental pour moi, c’est là où le film se "joue". J’aime bien que les acteurs de ce film viennent d’horizons très différents, qu’il n’y ait pas de "chapelles".

 

Même les plus petits rôles ont une existence...


Quand tu as la chance d’avoir des comédiens tellement bons et avides de jouer, c’est très exaltant. Ça donne de la réalité au film. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur des amis, des camarades, qui ont accepté des petits rôles, ce que j’ai pris comme des cadeaux. C’était toujours des petits défis. Ces comédiens ont apporté leur expérience et leur personnalité. On essayait de s’éclater, de faire de ces quelques jours de tournage un moment fort. Par exemple, Lyes Salem m’a "emmenée" en Algérie où il a tourné tous ses films en me mettant en contact avec son équipe là-bas. C’était comme un parrainage alors c’était le pied de démarrer avec lui qui joue le douanier, à l’aéroport d’Alger. Idem avec Bruno Podalydès qui avait joué dans mon court avec Vimala que j’ai eu un immense plaisir à retrouver. Christophe Le Masne a accepté de reprendre son rôle "d’emmerdeur en chef" de ses propres films, et j’ai réécrit la scène où Paul croit qu’Hanna est pute, pour que Christophe Paou puisse y trouver un terrain de jeu à sa mesure. Carole Franck et Zinedine Soualem, ont accepté de venir aussi, j'ai une passion pour ces deux acteurs, ils me font tellement rire, j'aimerai qu'ils soient dans tous les films !

 

Je suis à vous tout de suite

Mon opinion

 

Excellente scénariste, Baya Kasmi signe ici son premier long-métrage en tant que réalisatrice et scénariste.

 

Les invraisemblances et les grosses ficelles alourdissent un scénario qui traite un sujet d'actualité sur un ton qui se veut frivole. Cette parodie légère, souvent trop appuyée et alambiquée, rend le film quelque peu rébarbatif.  

 

Ceci étant dit les spectateurs présents dans la salle s'amusaient beaucoup, preuve que le pari de Baya Kasmi semble réussi, pour certains.

 

La bande-annonce semblait alléchante, le film ne m'a pas convaincu. Compte tenu de son histoire, de son talent en tant que scénariste, je m'attendais à un film drôle et profond à la fois. À trop appuyer sur certains points comiques, l'histoire des personnages devient secondaire. C'est dommage.  

 

Seul le talent des acteurs a retenu mon attention. Est-ce suffisant pour parler d'un premier long-métrage ?

 

Je suis à vous tout de suite

 

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"Le bonheur est la chose la plus simple,

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