Réalisé par Alan J. Pakula
Avec Warren Beatty, William Daniels, Walter McGinn,
Hume Cronyn, Kenneth Mars, Kelly Thordsen,
Paula Prentiss, Bettie Johnson, Bill Joyce, Chuck Waters
Jim Davis, Bill McKinney, William Jordan
Titre original The Parallax View
Genre Thriller
Production Américaine
Date de sortie 16 avril 1975
Né dans les tourments des années les plus troublées de l’histoire américaine contemporaine, les années 1960-70 avec ses assassinats politiques, la guerre du Viêt-Nam, et les menaces sur les libertés individuelles, le thriller sous sa forme dite "paranoïaque", jouant sur l’hypothèse de complots de puissances politiques occultes, trouve probablement sa formulation la plus exemplaire dans À cause d’un assassinat, produit et réalisé en 1973 par celui qui devenait de facto le parrain de ce genre, Alan J. Pakula.
Le scénario de David Giler et Lorenzo Semple Jr.
s'inspire du roman de Loren Singer
Robert Towne n’est pas crédité au générique mais collabora au scénario.
Entre divertissement, discours didactique et expression cinématographique plus secrète, ce film se nourrit, dans sa forme et son fond, d’une véritable, et peu commune dans ce pays, inquiétude citoyenne vis-à-vis des institutions. À cause d'un assassinat trouve naturellement le point d’équilibre entre le désir de fiction et le désir documentaire.
À cause d'un assassinat sort en 1974, la même année que la Palme d'Or Conversation secrète, thriller dans lequel Gene Hackman interprète un spécialiste de la filature. Ces deux films reflètent le climat de paranoïa de l'époque, provoqué par le scandale du Watergate et la méfiance des citoyens américains envers leurs institutions.
Le producteur Gabriel Katzka, et Michael Small, un des meilleurs compositeurs de musique de films des années 1970-1975 sont des collaborateurs de premier ordre pour The Parallax View.
Alan J. Pakula livre avec The Parallax View une œuvre assez impressionnante.
Warren Beatty
The Parallax View qui se traduit par "la vision décalée" renvoyant aussi bien au phénomène optique que doit prendre parfois en compte le tireur d’élite qu’au sens abstrait de "prendre une chose pour une autre" ou "ne pas voir les choses telles qu’elles sont". Quoi qu'il en soit, le film brille d’un sombre éclat qu’il doit en premier au chef à la photo très inspirée, l’immense chef-opérateur Gordon Willis. Celui-ci aime les faibles éclairages voire l’obscurité presque complète, à la fois piège et refuge, noirceur trouant la perception. Il use de plans d’ensemble qui écrasent l’individu sous une lumière glacée et dans un décor naturel hostile, ou l’architecture urbaine. Une des scènes mémorables du film se passe dans une salle de conférence, ou plutôt dans son plafond. L’espace est comme coupé en deux, parfois dans le même plan en plongée. En bas, la salle éclairée dans laquelle s’activent des personnages pour une manifestation publique. En haut, une zone noire et secrète. Ici on marche, on observe, on complote. C'est l'illustration parfaite de la dualité d’un monde où les entités supérieures, qu’elles soient figées ou en mouvement, observent et complotent au sein d’une zone noire surplombant un monde éclairé où tout le monde s’active.
Synopsis
Le sénateur Carroll (Bill Joyce), candidat démocrate aux élections présidentielles américaines, a été assassiné en 1971, lors d'une conférence de presse-buffet, au sommet d’une tour de verre par un serveur (Chuck Waters)
Une commission d'enquête ne retient pas l'hypothèse d'une quelconque conspiration et conclut qu'il s'agit d'un acte isolé commis par un déséquilibré.
Le spectateur a un tour d’avance. L’assassinat en question constitue précisément la scène d’ouverture du film, et il est d’emblée explicite que la thèse officielle rendue par la commission d’enquête subséquente, soit l’acte d’un tireur isolé, est pour le moins éloignée de la vérité. Le point de départ est d’une simplicité désarmante, un meurtre, un coupable identifié. Mais ce n’est évidemment qu’un leurre, le premier stade d’une enquête où chaque indice en amène un autre plus intriguant, où la fragmentation des événements semble définir quelque chose qui nous dépasse, où se projette une succession d’images, apparemment sans véritable sens entre elles, mais que le spectateur, bien plus enquêteur que le protagoniste, devra faire l’effort de juxtaposer jusqu’à parvenir à une hypothèse, aussi dérangeante puisse-t-elle être.
Au cours des trois années qui suivent, la plupart des personnes qui ont assisté à cet événement meurent les uns après les autres à la suite de divers accidents.
Warren Beatty et Paula Prentiss
La journaliste Lee Carter (Paula Prentiss), elle aussi témoin du meurtre de 1971, pense que ces "accidents" sont en réalité des assassinats déguisés : elle fait part de ses craintes à son collègue et ami Joseph Frady (Warren Beatty), un journaliste solitaire et désabusé.
Lee Carter ne réussit pas vraiment à le convaincre.
Cependant, quand Lee Carter est victime à son tour d'un "accident" fatal, Joseph Frady Frady, est désormais persuadé que la jeune femme ne se trompait pas. Il décide d’enquêter avec l’aval de son rédacteur en chef Rintells (Hume Cronyn). Il remonte, au péril de sa vie, jusqu’à une étrange firme ayant pignon sur rue, la "Parallax Corporation" qui recrute des déséquilibrés associaux au moyen de tests sophistiqués…
Hume Cronyn
Lee Carter finira par percer à jour l’existence d’une organisation discrète mais au bras long, qui pourrait tirer les ficelles un peu partout dans la société américaine, des hautes sphères de l’État jusqu’aux simples forces de police locales.
C’est ce décalage entre la vérité officielle et les faits, entre les images autorisées et celles qu’on étouffe parce qu’elles pourraient changer la perspective de leur sujet, que le film tâche de porter sur pellicule. The Parallax View désigne exactement cela : l’incidence du changement de position d’un observateur sur son observation d’un même objet. Le tout premier plan du film illustre consciencieusement ce titre et cette idée. Cadrant d’abord en plan rapproché une reproduction de totem indien, la caméra, d’un léger travelling latéral, révèle ce que ce semblant de vestige du passé dissimulait en arrière-plan, la tour ultramoderne où aura lieu l’assassinat inaugural.
La mise en scène d'Alan J. Pakula sait être ample ou intimiste mais ne conserve jamais assez longtemps la même tonalité narrative pour que le spectateur puisse trouver ses marques et se rassurer. Il finit par être, à l’image de son héros, totalement englué puis broyé par ce périple au cœur de la toile d’araignée technocratique et fasciste que pourraient être devenues les U.S.A. Le réalisateur préserve le non-dit de ses "bourreaux". Ce non-dit, ce poids infernal du secret et du refus de tout discours constitue la force terrifiante de The Parallax View dont le titre français d’exploitation soulignait la nature presque mécanique : les auteurs du premier assassinat sont contraints, "à cause" des effets induits par le premier, d’en commettre plusieurs autres sans qu’on sache à quel point ils pourront stopper le mécanisme qu’ils ont mis en branle. Et dans tous les cas, les juges rendront un jugement passant "à côté" de la vérité.
The Parallax View plus que dans n’importe quel autre thriller politique, invite le spectateur à se méfier de ce qu’il voit, de ce qu’il croit et de ce qu’il perçoit : le flot d’images dans lequel se noie le héros est celui qui inonde le spectateur, si déboussolé et incapable d’échapper à ce qu’il voit que sa propre conscience politique reste la seule bouée de sauvetage.
Associer un tel geste politique à une vaste mécanique de thriller manipulateur où le public serait à la fois enquêteur et témoin est une fabuleuse audace.
Alan J. Pakula fait culminer sa filmographie avec les trois films de ses débuts qu’on a coutume d’appeler la "trilogie paranoïaque" : Klute réalisé en 1971, le présent À cause d’un assassinat et son film le plus réputé, Les Hommes du président en 1976. À cause d’un assassinat inspiré de l’actualité récente avec l'évocation quasi explicite des assassinats des frères Kennedy, le réalisateur travaille l’hypothèse de forces politiques invisibles du grand public, plus ou moins proches des pouvoirs exécutif et législatif, artisans d’une vérité officielle mensongère, et dont les actions secrètes menaceraient les fondements de la démocratie américaine. Dans la même veine, le cinéaste réalisera en 1993 L'Affaire Pélican, l'histoire d'une enquête menée de concert par une étudiante en droit et un journaliste sur l'assassinat de deux magistrats de la Cour Suprême.
En 1975, Sydney Pollack réalisait Les Trois Jours du Condor qui reflétait la même méfiance vis-à-vis des institutions. Le genre aura laissé au moins une empreinte durable à Hollywood. Une place de choix au méchant omnipotent ou celui d’interlocuteur peu fiable place occupée aujourd'hui par les agences de renseignements américaines aux sigles CIA, NSA...
De ce genre-là, À cause d’un assassinat est peut-être le film qui pousse le plus loin la recherche formelle pour suggérer les trucages des vérités officielles.
Warren Beatty
À l’aune de ces ténèbres vivantes qui fendent le champ de vision, la conclusion de la quête de vérité trop solitaire du personnage de Warren Beatty semble déjà condamnée au pessimisme.
Les cinéastes des années 70 et leurs directeurs de la photo aiment souvent prendre leur temps, poser un par un méticuleusement les facettes et les fragments de l’action qu’ils dépeignent. The Parallax View en est un parfait exemple. Le grand mérite de Warren Beatty réside dans l'extrême sobriété de son interprétation qui permet aux seconds rôles de briller d’un éclat particulier. Constellation d’hommes et de femmes dont les masques ne tombent pas toujours ou qui meurent au moment où ils allaient révéler leurs vrais visage ou bien dans l’ignorance des moutons promis à l’abattoir.
Warren Beatty
Penser à la piste du fantastique pur n’est pas une pirouette grossière, tant le film distille une incroyable angoisse. Mais ce que Alan J. Pakula aura réussi mieux que personne, c’est de mettre en perspective le flou du monde contemporain : ces moments de doute et de suspicion, cette paranoïa qui dévore l’être humain jusqu’à le faire s’interroger sur les fondements de son propre libre arbitre, cette incertitude qui sous-tend chaque strate de nos sociétés jusqu’à créer le doute sur leur propre réalité.
Sources :
http://www.courte-focale.fr
http://www.dvdclassik.com - Francis Moury
http://www.imdb.com
http://www.critikat.com - Benoît Smith
http://fr.wikipedia.org
http://www.allocine.fr