.
Réalisé par Douglas Sirk
Avec June Allyson, Rossano Brazzi, Marianne Koch,
Françoise Rosay, Keith Andes, Frances Bergen
Lisa Helwig, Herman Schwedt, Anthony Tripoli, Jane Wyatt
Genre Drame, Romance
Titre original Interlude
Production Américaine
Alors en pleine gloire, Douglas Sirk continue à tourner des remakes des films de John M. Stahl et s’attaque en 1957 à Veillée d'amour réalisé en 1939, avec Charles Boyer et Irene Dunne. Il transpose l’histoire principale en Europe, et notamment entre la Bavière et l’Autriche, lui donnant ainsi l’occasion de revenir sur ses terres
Dans le film de John M. Stahl, seul le personnage de Charles Boyer est européen. Ici le tournage a lieu en extérieurs à Munich et Salzbourg.
"Voilà ce qui m’enchante chez Douglas Sirk, ce délirant mélange : classicisme et modernisme, sentimentalisme et raffinement, cadrages anodins et Cinémascope endiablé. Tout ça, on le voit bien, il faut en parler comme Aragon des yeux d’Elsa, en délirant beaucoup… Peu importe, la seule logique dont Sirk s’embarrasse, c’est le délire". Jean Luc Godard
June Allyson et Rossano Brazzi
Synopsis
Helen Banning (June Allyson) arrive à Munich pour travailler aux services d'information, en tant qu'assistante-bibliothécaire. Helen Banning doit assurer à Prue Stubbins (Jane Wyatt), sa supérieure hiérarchique, n’être venue à Munich que pour y vivre, une nouvelle et romantique existence, mais, elle aura beau lancer sur son interlocutrice du moment des regards sincèrement étonnés, des regards qui n’expriment que des désirs de carrière, des regards qui lui disent clairement que non, elle n’est pas la fille qu’elle croit, des regards du genre de ceux que font les gens quand ils ne comprennent pas la question qui leur est posée, elle ne la convaincra pas pour autant. Prue Stubbins, est elle-même américaine et a, elle aussi, traversé l’Atlantique, et ne sait que trop bien pourquoi on quitte son pays, sa ville, son village, son coin de rue étroit. Son travail l’assomme et l’irrite au plus haut point. Prue Stubbins est désagréable avec tout le monde, et paie le prix fort pour sa folie d’avoir cru un jour qu’il lui serait possible d’aimer au-delà de l’amour.
Morley Dwyer (Keith Andes), est une vieille connaissance d’Helen Banning. Il fait son entrée dès le départ de Prue Stubbins. Lui aussi a quitté l’Amérique pour Munich, confessant toutefois que "tout ce qu’il avait appris à Munich il aurait pu l’apprendre là-bas, chez lui, en Amérique." Il avoue à Helen n'être venu dans la capitale bavaroise que pour pouvoir, à son retour en Amérique, "orner sa salle d’attente du prestige d’un diplôme européen".
L'organisation d'un concert lui fait rencontrer Tonio Fischer (Rossano Brazzi), le chef d’orchestre mondialement réputé et si aimé des femmes que son épouse Reni (Marianne Koch) en est devenue folle.
Helen s’éprend de Tonio, dont elle accepte les invitations et suit les concerts en coulisses…
Rossano Brazzi
Le film s'inscrit dans la tradition de certains films musicaux où un grand interprète, pianiste ou chef d'orchestre, rencontre une jeune musicienne. C'est Intermezzo réalisé par Gregory Ratoff en 1939 avec Ingrid Bergman. Le titre original, Interlude, évoque une passion vive mais brève. Cette passion est un interlude européen vécue avec Tonio Fisher, le grand maestro alors que Morlay Dwyer permettra un retour rassurant à la patrie.
Comme bien souvent avec Douglas Sirk, nous voici de retour dans un mélo. Cette fois-ci, le dépaysement est garanti, car comme son titre l’indique nous nous rendons a Salzbourg pour suivre une jeune américaine tout droit débarquée de sa terre natale dans ce pays inconnue. Son problème, qui est finalement un fait de société bien récurent : choisir entre deux hommes. Un médecin et un chef d’orchestre. Le premier va la convaincre de sortir avec lui, tandis que son "adversaire" va lui offrir une journée romantique à Salzbourg. Mais attention, car comme dans toute histoire d’amour qui se respecte, il y a toujours une autre femme et elle l’apprendra à ses dépends. Rien de bien original, mais une histoire bien interprétée et bien réalisée, prouvant une fois de plus s’il est nécessaire, le talent de Douglas Sirk.
S’il y a bien une thématique qui parcourt inlassablement l’ensemble des films de Douglas Sirk, c’est bien cette représentation du rêve américain dont les principaux fondements seraient liés à la réussite sociale et à la glorification des valeurs familiales. Cette question reste fondamentale dans Les Amants de Salzbourg dans la mesure où les principaux personnages, ou leur environnement le plus proche, ne vivent que pour l’accomplissement de leurs rêves bourgeois : retrouver la cellule familiale, pérenniser celle-ci ou vivre un conte de fées.
On constate que Douglas Sirk est réellement passé maître de ce genre de film, qui plus est, tourné en cinémascope. Gommant la plupart des aspects purement mélodramatiques, Douglas Sirk s’applique à filmer des paysages grandioses dans un format Scope approprié et un Technicolor flamboyant.
Tout semble factice, tout droit sorti des clichés et d’un décor d’Opéra, mais la magie du Maître opère : Douglas Sirk et ses cadrages, ses couleurs, son côté "too much", mais tellement esthétique et étudié, que chaque image est un petit chef d’œuvre en elle-même.
Notamment à la première apparition de la femme du musicien, dont le visage se reflète dans le piano, sublime tableau.
Les Amants de Salzbourg se présente comme un conte de fées, toujours ironique chez Douglas Sirk. Helen Banning, jeune Américaine, débarque à Munich pour y travailler. Au cœur de cette vieille Europe, elle succombe au fantasme d’un romantisme décomplexé en tombant amoureuse d’un chef d’orchestre En arrière-plan de cet amour naissant, défilent des images de la Bavière dignes d’un dépliant touristique. Salzbourg, que les amants visitent le temps d’un week-end, incarne cet absolu et ce romantisme auquel Helen croit depuis son enfance, conditionnée par les rêves d’amour que la société fabrique pour elle. Si elle succombe si facilement au charme du musicien, tandis que le médecin qui la courtise aussi en vue de lui offrir un bonheur conventionnel, c’est qu’elle souhaite devenir elle aussi une image d’Épinal, séduite par le cliché de l’artiste torturé et excessif auprès de qui le reste du monde paraît finalement bien médiocre.
La luxueuse demeure dans laquelle il vit, la résidence secondaire au bord d’un lac magnifique, le pique-nique champêtre, tous les codes du conte de fées sont ici rassemblés.
Marianne Koch
Dans Les Amants de Salzbourg, l’enjeu familial est inexistant. La thématique du personnage miroir se déplace sur la relation entre Helen et la femme de Tonio dont la première apparition se fait justement lors d’une très belle scène où son reflet se dessine dans le piano de son mari. Les deux femmes se reflètent autant qu’elles s’opposent : Helen, posée, sage, presque lisse, affronte la jalousie de cette femme borderline, présentée comme instable psychologiquement, qui l’arrache violemment à cette rêverie romantique pour la ramener à une réalité bien plus violente : ce conte de fée n’est pas la réalité et ne peut perdurer. Lors d’une scène de concert, les deux femmes se retrouvent justement dans les coulisses : la première est vêtue d’un blanc virginal tandis que la seconde arbore une robe aux couleurs plus prononcées, reflet des tourments auxquels elle est assujettie et que sa rivale ne peut comprendre.
June Allyson
Les costumes de Jay A. Morley Jr. accentuent l'idée que Reni Fisher, interprétée par Marianne Koch, est une brune mystérieuse et inquiétante alors que Helen Banning est une oie blanche.
Si on ne devait retenir qu’une seule scène dans Les Amants de Salzbourg, ce serait celle dans laquelle la femme de Tonio s’échappe littéralement du cadre et court à perdre haleine vers le lac où elle compte se noyer. Elle entraîne dans cette course Helen pour qui cette rupture, du cliché romantique et cadré, on bascule dans l’excès morbide, est d’autant plus violente qu’elle prouve définitivement en quoi elle n’est pas à la hauteur de ce romanesque auquel elle souhaitait pourtant prétendre, qu’elle n’atteindra jamais la violence des sentiments qui pousse cette femme désespérée à vouloir mourir par amour.
Marianne Koch et June Allyson
Si le film se clôt sur une certaine idée du renoncement, il aura au moins permis au personnage d’Helen de s’ouvrir à une béance, à une abstraction du sentiment qu’elle n’aurait jamais pu imaginer et qu’elle ne rencontrera peut-être plus jamais en faisant le vœu de la raison.
Les interprètes ne sont pas les plus charismatiques que Douglas Sirk ait pu diriger, mais ils deviennent secondaires, ce qui peut sembler contradictoire pour un film. Quant à la musique omniprésente et trop lourde, elle plombe quelque peu le film.
Un film à voir si l’on est fan de mélo, ou fan de Douglas Sirk.
Et une fois de plus, on se rendra compte que l’amour est une chose vraiment compliquée…